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La visite de la fanfare : un conte de Noël
Mato-Topé
Article mis en ligne le 20 mai 2017
dernière modification le 22 mai 2017

La visite de la fanfare arrive à point nommé sur nos écrans pour les fêtes de fin d’année, comme un conte de Noël en quelque sorte. Co-production franco-israélienne, La visite de la fanfare a d’ores et déjà été plébiscité par le public des Festivals : présenté au dernier Festival de Cannes, dans la section Un Certain Regard, le film a remporté le prix "Coup de Cœur", à Pessac fin novembre, il a été élu par le jury étudiant. Mais c’est en Israël qu’il rencontre le plus grand succès : 1er prix du 24ème Festival international de Jérusalem et meilleurs comédiens pour les deux têtes d’affiche Sasson Gabbay et Ronit Elkabetz en 2007, puis huit Ophir (les César israéliens) sur les douze possibles… La Visite de la Fanfare est le premier long métrage d’Eran Kolirin, un jeune réalisateur de 34 ans qui a choisi la parabole pour exprimer son désir de paix et qui est en mesure de toucher le grand public.

Tout raides dans leurs uniformes, les membres de la Fanfare de la Police d’Alexandrie débarquent dans un aéroport désert où personne n’a pris la peine de venir les chercher. Le chef de la fanfare, Tewfiq (Sasson Gabai) est trop fier pour appeler l’Ambassade à l’aide et surtout, il sait que les temps ne sont plus à la musique, que désormais, seule la rentabilité importe : en Egypte aussi, les comptables ont ouvert la chasse aux poètes.... Ils se débrouilleront donc pour trouver un moyen d’atteindre le centre culturel arabe où ils doivent donner un concert pour son inauguration. Une maîtrise de l’anglais imparfaite et une attention trop grande à une belle israélienne de la part de Simon (Khalifa Natour), le jeune violoniste, engendrent une confusion sur les lieux et la fanfare se retrouve paumée au milieu de nulle part dans une banlieue à l’israélienne : le béton, les éclairages publics, les avenues à quatre voies pourraient signifier la ville occidentale, mais le vent et la poussière rappellent le désert et le Moyen-Orient. La situation serait désespérée (il n’existe pas d’hôtel) si la fanfare ne trouvait pas aide et réconfort auprès d’israéliens qui leur offrent le gîte et le couvert en attendant le car qui ne passera que le lendemain.

Le temps d’une soirée et d’une nuit, les huit musiciens vont partager, au sens fort du terme, la vie des israéliens : le pain est rompu et des matelas disposés sur le sol pour dormir. Tewfiq et Simon sur qui le chef de la fanfare tient à garder un œil sont hébergés par Dina (Ronit Elkabetz, la réalisatrice du très beau Prendre Femme). Pendant que Tewfiq et Dina vont prendre un pot en ville, Simon accompagne des israéliens de son âge dans une patinoire pour patins à roulettes sur fond de musique disco et sous les lumières crues des néons : la trivialité comme expression du vide culturel dit par Dina dès la première rencontre.

Comme chacun sait que les relations seront forcément éphémères, les échanges gagnent en intensité, en profondeur et les carapaces se fissurent. Même Tewfiq, le chef austère, avoue ses blessures intimes à Dina quand son second joue son concerto irrémédiablement inachevé à ses hôtes israéliens. En montage parallèle, Simon professe l’art d’aimer pour aider son compagnon à se déniaiser et lorsqu’il parle d’amour, Simon ne peut le faire que dans sa langue maternelle : toute la sensualité de l’arabe (que Dina évoquera également avec nostalgie à propos des feuilletons égyptiens regardés en famille en Israël : et si les antagonismes n’étaient pas aussi simples que l’on veut nous le faire croire) s’exprime devant les yeux ébahis du jeune israélien. Enfin, le caractère éphémère de la rencontre affecte un prix supplémentaire à l’attitude des personnages de ce récit : gratuite, la générosité des hôtes israéliens ne sera pas payée en retour et ils le savent ; un séjour sans lendemain et donc sans conséquence, n’empêche pas les Egyptiens de se conduire dignement.

Plus tard dans la nuit, lorsque Tewfiq comprend que Dina et Simon font l’amour, un léger sourire exprime simplement sa complicité et que, paternel, il se réjouit de cet acte de vie que son fils de substitution accomplit à sa place : un grand acteur et un cinéaste qui sait capter l’instant pour faire juste des images de cinéma, mais quelle vérité dans ce simple plan ! Au cœur du récit, Dina, magnifique aussi bien au dehors qu’au-dedans, dont la beauté liée à la force vitale qui émane d’elle, incarne à la perfection la prophétie de Louis Aragon sur l’avenir de l’homme. Et bienheureux l’homme qui, dans sa vie, a pu et su aimer une Dina même le bref espace d’une nuit !

Dépourvus de tout discours et a fortiori de tout pathos, le film à travers le comportement des différents protagonistes de La visite de la fanfare montre ce qui constitue l’être humain : l’hospitalité, l’entr’aide chère à Kropotkine, considérer l’autre comme un égal, comme un autre soi-même (Tewfiq donne du madame, en français dans la VO, à Dina qui vit seule et libre jusqu’à l’effronterie), la sexualité comme manifestation essentielle de la vie… L’application de ce code intériorisé, fondement de la dignité, construit sur des valeurs toutes simples (honnêteté, convivialité, respect de l’être humain, etc.) par ces petites gens qui vivent dans un environnement hostile à l’épanouissement culturel exprime en images parfaitement la "common decency" chère à George Orwell. Sans prétention aucune, ce film constitue également un manifeste contre toutes les formes d’intégrisme. Amos Oz a écrit un petit recueil salubre intitulé Comment guérir un fanatique (Paris, Gallimard, 2006) ; la projection obligatoire de La visite de la fanfare dans les conditions d’Orange Mécanique constituerait sans doute un moyen efficace d’en guérir quelques uns et, à défaut, de faire périr d’horreur les autres…

Mato-Topé