Mon gâteau préféré ou le cauchemar de l’ayatollah

Mon gâteau préféré ou le cauchemar de l’ayatollah
La production cinématographique est un indicateur fiable de l’état d’un pays. Tout film est une entreprise collective et pour le réaliser, il faut, en premier lieu, que des producteurs s’engagent et prennent le risque d’investir dans une activité oh combien aléatoire. Certes, Mon gâteau préféré a été sélectionné par la première année du programme New Dawn en 2022 (neuf fonds publics européens réunis pour accroître la diversité cinématographique). Il a, en outre, bénéficié d’un financement multinational : France, Suède, Allemagne et Iran. Soft power oblige, un grand nombre de pays soutiennent la production cinématographique nationale. Mais dans cette partie du monde, l’Iran est bien seul, avec Israël, à posséder un cinéma fécond. Les cinémas égyptien ou libanais ne sont plus que des souvenirs nostalgiques…

Outre le financement, tout film doit mobiliser des acteurs qui incarnent les personnages en risquant fort d’être identifiés à eux (y compris par les services de police), de très nombreux techniciens qui rendent possible l’existence matérielle du film… et bien sûr un réalisateur. En l’espèce pour Mon gâteau préféré, un couple de réalisateurs : Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha à qui nous devons Le Pardon sorti en France en 2021.

Mina (Maryam Moqadam) dans Le Pardon

Le Pardon était déjà un film très fort sur une femme, Mina (interprétée par Maryam Moqadam), qui apprenait que son mari était innocent du crime pour lequel il avait été exécuté : ainsi même inspirée par le très Haut, la justice iranienne pouvait tragiquement se tromper et… déplaire à dieu. Dans la vidéo tournée en 2015 dans la province d’Idleb et qui montre l’exécution de deux femmes accusées de "corruption et prostitution", Shadi Al Waisi, le cadi (actuel ministre de la justice syrien) prononce la sentence et tient à préciser que ce jugement plait à dieu avant qu’un milicien n’abatte les femmes d’une balle dans la tête.

Coécrit et réalisé par Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha, Mon gâteau préféré sort en France en ce début d’année mais quelques privilégiés ont pu le voir au Festival de La Rochelle l’été dernier. Le film avait été présenté en avant-première à La Berlinale le 16 février 2024. Mais en l’absence de ses réalisateurs dont les autorités ont confisqué le passeport. Menacés de poursuites pénales, ils ne peuvent plus quitter l’Iran. La mobilisation du cinéma, avec en première ligne La Berlinale, a, pour le moment, suspendu les poursuites judiciaires. Mais Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha auront bien du mal à monter leur prochain film…

Pour autant, le pouvoir iranien ne s’est pas trompé : Mon gâteau préféré est profondément séditieux.

Qu’on en juge ! Veuve septuagénaire, Mahin (Lily Farhadpour) n’en peut plus de l’isolement dans lequel elle est contrainte de vivre : sa fille est à l’étranger, ses copines se font de plus en plus rares depuis le COVID. Un après-midi, après avoir justement pris un thé avec elles, Mahin décide de faire à Faramarz (Esmail Mehrabi), le chauffeur de taxi, qui la ramène chez elle, une proposition à l’indécence insupportable : partager le gâteau qu’elle va cuisiner et, pourquoi pas, passer la nuit avec elle... À peu près, du même âge (il est las de travailler mais il n’a pas le choix !), Faramarz souffre également de solitude. Il accepte donc sans hésitation et après avoir fait une halte dans une pharmacie, la raccompagne chez elle. L’essentiel du film va donc se dérouler dans l’appartement de Mahin et au cours d’une seule nuit : unité de temps et de lieu. Unité de lieu qui limite les tournages en extérieur et donc l’obtention d’autorisation.

Mahin (Lily Farhadpour) & Faramarz (Esmail Mehrabi)

Pendant que Faramarz se rend utile en réparant l’éclairage du jardin (les rôles sociaux sont respectés), Mahin commence donc la préparation de son gâteau préféré avec un grand plaisir. À quoi bon maîtriser la recette d’un gâteau, si on ne peut le partager. C’est la première leçon du film. Le partage, l’échange sont le ciment de toute culture. Et le projet totalitaire en Iran (comme ailleurs) consiste à effacer toute transversalité pour la remplacer par la soumission à la verticalité du pouvoir ici théocratique, ailleurs incarnée par le Führer, le Caudillo ou le Líder máximo.

Puis, Mahin s’isole dans sa salle de bain et se prépare pour la suite… Mahin est bien vivante. Après le partage du gâteau, un peu de tendresse ne saurait se refuser. Devant la glace, elle se met un peu de parfum sous les bras ; marque un léger temps d’arrêt et envoie, également, un petit jet de parfum sous sa jupe. On imagine bien l’horreur que ce geste peut revêtir pour un ayatollah (quelque soit les religions !). Un geste radicalement révolutionnaire !

Mato-Topé