
Particulièrement réussie, l’affiche de The Bibi Files relie la fumée du cigare à celles d’explosions en arrière plan, explosions dont le spectateur peut imaginer qu’elles ont été produites durant la guerre menée à Gaza. Le port du cigare, le regard de biais en contre-plongée, tout dans son attitude dénote l’arrogance.
La trame narrative du documentaire est ainsi littéralement affichée…
Présenté dans le cadre du FIPA-doc 2025 à Biarritz, The Bibi Files a été réalisé par Alexis Bloom, une documentariste reconnue notamment pour We Steal Secrets, l’histoire de WikiLeaks (2013) ou encore Diviser pour mieux régner : l’histoire de Roger Ailes (2018). Son documentaire se focalise sur les accusations de corruption concernant principalement Benjamin Netanyahou et son épouse Sara.

Alexis Bloom a pu disposer de plus d’un millier d’heures d’images d’interrogatoire enregistrées par la police israélienne dans le cadre de son enquête. Benjamin Netanyahou est entendu dans son bureau, devant une carte de la région et un drapeau israélien. Le premier ministre est assis derrière un bureau très simple : nous ne sommes ni à la Maison Blanche ni encore moins au Kremlin, mais dans un État marqué encore par l’éthique socialiste du kibboutz qui a présidé à sa création. Éthique qui explique que les malversations du personnel politique, admises sous d’autres latitudes, ne sont absolument pas tolérées.
Les autres témoins sont interrogés dans les locaux de la police. Sara Netanyahou est extrêmement agressive avec les policiers, laissant libre cours à ses accès de colère, à sa grossièreté : "Vos preuves sont des conneries totales. Au revoir !". Tout comme leur fils Yair dont les propos et l’attitude feraient passer son père pour un modéré… Leur comportement face à la police traduit un sentiment d’impunité complètement intériorisé ! Sont également entendus par la police, le producteur de cinéma Arnon Milchan [1] ou encore Nir Hefetz, l’ancien porte-parole de Netanyahou.
Lors des auditions, la ligne de défense de Netanyahou est simplissime : il nie en bloc et ne se souvient de rien. Confronté aux témoignages qui l’accusent, il crie : Des mensonges ! Que des mensonges ! Il tape sur son bureau. Bref, il fait du cinéma ! Le magazine américain consacré à l’industrie du spectacle, Variety (le 17 novembre 2024) ne s’est pas trompé en comparant Netanyahou à Al Pacino. En écho, au cours d’une audition, Netanyahou ose même, pour expliquer son attitude face au Hamas, citer Michael Corleone : "Keep Your Friends Close, But Your Enemies Closer". Interviewée par Yasmeen Serhan pour The Time Magazine (le 10 décembre 2024), Alexis Bloom note : "He campaigns using his perfect English and his baritone voice and his good looks. That is how he becomes famous. So the genesis of Netanyahu can be seen through this lens. He’s an actor." [2]
La réalisatrice a complété ces sources officielles par de nombreux entretiens avec des personnalités israéliennes de premier rang comme l’ancien Premier ministre Ehud Olmert, Yair Lapid, ancien ministre des Finances ou l’ancien chef du Shin Bet, Ami Ayalon. Pour ceux qui ont accepté de figurer dans le documentaire. Car nombreux furent ceux qui s’y sont refusés catégoriquement par peur des représailles. Parmi les témoins à charge, son meilleur ami intervient à de nombreuses reprises ; il rappelle, entre autres, que Netanyahou jouit d’une excellente mémoire ! À la limite de l’hypermnésie… Sa dernière intervention se tient en public à la tribune d’une manifestation contre la réforme constitutionnelle : d’évidence, Alexis Bloom sait ménager ses effets.
Enfin, Alexis Bloom brosse rapidement la biographie de Netanyahou en ce qu’elle permet de cerner la personnalité du premier ministre. Et notamment en rappelant le lien affectif avec son frère aîné, le colonel Yonatan Netanyahou, mort en héros en libérant les otages à l’aéroport d’Entebbe en Ouganda le 4 juillet 1976. Puis sa résistible ascension vers la magistrature suprême et sa formidable longévité politique. Dans un régime marqué par l’instabilité politique liée à un parlementarisme obéré par la proportionnelle, Netanyahou a réussi à se maintenir depuis plus de 17 ans… Au cœur de sa politique, on trouve sa volonté de tout faire pour empêcher la constitution d’un Etat palestinien notamment en favorisant le financement du Hamas par le Qatar pour affaiblir l’autorité palestinienne. Une manière de "garder ses ennemis au plus près"… Un travail de documentariste exemplaire par sa rigueur.
Tous ces témoignages se recoupent et certifient que Netanyahou et sa femme, Sara, recevaient régulièrement des cadeaux coûteux de la part d’hommes d’affaires fortunés, notamment des bijoux pour madame, du champagne et les fameux cigares pour Bibi. Ah ! Les cigares Cohiba ! Sur le site La Maison du Cigare, leurs prix varient en fonction de leur taille (diamètre et longueur) ; les plus chics, Esplendidos, les préférés de Bibi, sont à 2.925,00€ la boîte de 25 pièces …
Evidemment, ces "petits" cadeaux impliquent, en échange, des "petits" arrangements, des "petites" compensations… Yair Lapid, affirme que Netanyahou, à la demande d’Arnon Milchan, a personnellement plaidé auprès de lui (démarche exceptionnelle !) pour l’extension d’une exonération fiscale qui ne pouvait bénéficier qu’aux intérêts financiers du producteur. Et pour compléter, Netanyahou a formulé une amicale requête auprès de John Kerry et de l’ambassadeur Daniel B. Shapiro pour faire rétablir le visa américain d’Arnon Milchan suspendu par l’administration américaine après s’être vanté publiquement de son rôle dans un contrat d’armement. Quant à son ancien porte-parole, Nir Hefetz, il affirme que Netanyahou a donné à Shaul Elovitch, magnat israélien de la téléphonie mobile, accès à des fonds pour rembourser un prêt en échange d’une couverture favorable sur le site d’information d’Elovitch, Walla ! News.
Suite à l’ouverture de l’enquête, à sa mise en examen et conformément à la jurisprudence, Netanyahou aurait dû démissionner mais s’y est refusé catégoriquement. Les partis du centre de la Knesset ont alors rompu avec lui. Pour se maintenir au pouvoir, éviter un procès et, in fine, sauver sa peau, Netanyahou s’est allié avec les partis d’extrême-droite et a fait entrer au gouvernement, à des postes clés, des personnalités particulièrement controversées : Bezalel Smotrich comme Ministre des Finances et Itamar Ben-Gvit comme Ministre de la Sécurité nationale. Ces deux suprémacistes se retrouvent dans leur soutien à l’extension les colonies juives en Cisjordanie occupée, illégales au regard du droit international et, bien sûr, défendent une position maximaliste sur Gaza… Alexis Bloom n’a besoin que de quelques images pour les situer : un discours haineux et raciste de Smotrich à la Knesset et une archive montrant Ben-Gvit se réjouissant de l’assassinat d’Yitzhak Rabin.
La réalisation du documentaire a commencé avant le 7 octobre lorsque le gouvernement de Netanyahu tentait d’affaiblir la Cour suprême par une réforme judiciaire fortement contestée qui a conduit dans la rue des centaines de milliers d’Israéliens et cela pendant des mois. Cette réforme qui s’inscrit dans l’évolution illibérale des sociétés démocratiques permettait, entre autre, de mettre un terme à la procédure judiciaire contre Netanyahou… Le pogrom perpétré par le Hamas a constitué une véritable opportunité pour faire passer les ennuis juridiques du premier ministre au second plan. Ils y demeureront tant que la guerre durera…
En réalisatrice expérimentée, Alexis Bloom présente alors le témoignage d’une rescapée du

massacre du kibboutz de Be’eri où plus d’une centaine de ses 1100 habitants ont été tués [3] et 30 autres pris en otage. Gili Schwartz, une jeune femme d’à peine vingt ans fait preuve, en évoquant notamment le malheur de ses voisins gazaouis, d’une grandeur d’âme admirable. Et surtout elle répond à Netanyahou pour qui la victoire totale doit être l’unique objectif. Sans s’adresser à lui directement, elle soutient simplement : "Total victory doesn’t actually mean anything here" pendant qu’un drone filme le kibboutz dévasté. Et elle ajoute : "You know all the death and casualties and suffering, and that’s what it looks like, in reality. That’s what those words actually mean" [4].
Séquence qui offre une perspective, une respiration aux spectateurs : les forces de la nuit n’ont pas (encore) gagné !
Interdit en Israël en raison d’une disposition légale protégeant la confidentialité des sources, The Bibi Files y circule néanmoins sous forme de version piratée. Nominé aux Oscars, The Bibi Files doit être impérativement vu.
Mato-Topé
[1] 1 - Né le 6 décembre 1944 en Palestine, Arnon Milchan est connu pour L.A. Confidential (1997), 12 Years a Slave (2013), Birdman (2014) ou encore The Revenant (2015)
[2] Traduction : Il fait campagne en utilisant son anglais parfait, sa voix de baryton et sa belle apparence. C’est ainsi qu’il est devenu célèbre. La genèse de Netanyahou peut donc être vue à travers ce prisme. C’est un acteur.
[3] Traduction : Il fait campagne en utilisant son anglais parfait, sa voix de baryton et sa belle apparence. C’est ainsi qu’il est devenu célèbre. La genèse de Netanyahou peut donc être vue à travers ce prisme. C’est un acteur.
[4] Traduction : La victoire totale ne signifie en fait rien ici. Vous connaissez tous les morts, les victimes et les souffrances, et c’est à cela que cela ressemble, en réalité. C’est ce que ces mots signifient réellement.