Chapitre VIII
Article mis en ligne le 30 mai 2024
dernière modification le 26 mai 2024

Une fois encore, il allait falloir un peu de patience à Jean-Marc. Deux jours plus tard, en rentrant de sa Volta (promenade), il était toujours dans l’expectative. Son mot était-il parvenu dans les mains du beau Guillaume ? Comment savoir ? Or en pénétrant dans sa salle-à-manger, quelle ne fut pas sa stupéfaction : bien installé dans un fauteuil, il y trouva Guillaume qui feuilletait un des livres de sa pile « en attente de recensions » … Guillaume ! En chair et en os ! « - Quelle surprise, mon pote ! Mais, comment as-tu fait pour entrer chez moi ? – Rien de plus simple. Tu te souviens du jour où nous étions allés nous baigner à Glyfada ? Ensuite je t’avais raccompagné devant chez toi et tu m’avais montré où tu planquais le double de tes clés. Je m’en suis souvenu. Alors, je suis là ! » Bien sûr que Jean-Marc s’en souvenait. Et comment ! C’est ce jour-là qu’il avait découvert sur la plage, la parfaite harmonie du corps de son ami, mais hélas, inaccessible !

Ce qui turlupinait Jean-Marc, ce n’était pas tant sa présence inopinée, mais plutôt d’avoir enfin depuis tant de mois, claqué la bise et reparlé à un humain. Ce qui lui semblait un siècle. Il lui proposa de partager son repas. Celui-ci refusa. Il avait déjà mangé. « - Soif ? » - « Non ». Guillaume ne buvait plus, ni bière, ni vin. Jean-Marc se mit à table et ils commencèrent à échanger leurs impressions sur la situation à Athènes, depuis le Grand Renversement. Lui au Sud, Guillaume au Nord. Il ne put s’empêcher de lâcher : « Dis-donc, tu es toujours aussi sexy, toi. » – « Arrête ton char, s’il te plait. » Changeant instantanément de sujet afin de ne pas être lourdingue : - « Au fait, comment vont Salima et les gosses ? » - « C’est terrible. Salima a disparu du jour au lendemain, sans un mot. Quant à mes gosses et le chien, des cyborgs sont venus les chercher. Ils les ont embarqués de force et télé déportés, soi-disant pour les mettre en sécurité. Et je suis loin d’être le seul dans ce cas, au Nord. Toujours est-il que depuis ce jour, je vis seul chez moi. Désemparé et plongé dans l’angoisse. Tout comme tu me l’as affirmé dans ton mot, je ne sais pas plus que toi, pourquoi ils tiennent tant à me garder en vie. Toi encore, tu leur fais des recensions, mais moi ? Bref, je meurs de solitude et de tristesse, Jean-Marc. Je suis désespéré. Tout ce dont j’ai besoin, c’est d’un peu de chaleur humaine. Tu comprends ? C’est pourquoi dès que j’ai pu, je suis venu te voir, à mes risques et périls. J’ai un service à de demander pour cette nuit. Je ne pourrais pas rentrer au Nord à cause du couvre-feu. Je peux passer la nuit chez toi ? Ça ne t’ennuie pas au moins ? Je ne pourrai regagner mon quartier que demain matin, via le sanctuaire. Tu te doutes grâce à qui … ».

Après un petit temps, il ajouta : « Tu te souviens du jour où je t’avais avoué que, bien qu’hétéro à 100% comme tu disais, si j’avais à le faire avec un homme, ce serait avec toi ? Eh bien, je crois que ce jour-là est arrivé ! ». Inutile de décrire le sentiment qui envahit Jean-Marc. C’était dingue comme situation. Une nuit entière avec Guillaume ? Il n’aurait pu, malgré les circonstances, rêver mieux. Inutile de s’appesantir sur ce qui se déroula dans la chambre de Jean-Marc cette nuit-là. Le lendemain très tôt, quand il se réveilla, surpris, ce dernier n’aperçut pas Guillaume à son côté dans le lit. Il le découvrit, lavé et habillé dans le salon. Il avait l’air désabusé et distant. « Incroyables ces hétéros », se dit Jean-Marc, « Il ne faut pas chercher avec eux. Ils se donnent corps et âme une nuit entière. Une nuit entière : rien de trop pour leur faire découvrir ce que signifie l’amour entre deux hommes. Et aux premières lueurs du petit matin : Pfuit, plus rien ! ». Dépité et n’osant aucun commentaire, il alla prendre sa douche. Quand il revint dans la pièce, Guillaume était tranquillement installé devant l’écran de son ordi allumé. Il lisait, semblait-il avec le plus grand intérêt sa recension du livre de Kinsey. Pourtant, Jean-Marc l’avait résumée à son impression première : que des suppositions. Il s’était dit alors : « Tiens : que les cyborgs se débrouillent avec ça, ils seront bien avancés ! ». Guillaume se tourna alors vers lui : « Passionnant tout ça. Mais je ne sais pas ce qui peut intéresser les cyborgs dans cette histoire sans intérêt pour eux. Tu n’as pas d’autres livres sur le sujet en attente ? Tu as déjà recensé tous les ceux que tu as reçus ? » - « Bah, oui, pourquoi tu me demandes ça ? » - « Tu ne m’avais pas dit, à l’époque de la librairie, que tu en attendais un autre beaucoup plus pointu sur l’âge de bronze ? » - « Je ne sais pas. Peut-être. Mais quelle importance ? Guillaume, j’ai l’impression que tu me caches quelque-chose. Tu n’as pas confiance en moi ? Même après ce qui vient de se passer entre nous cette nuit ? ».

Guillaume le regarda droit dans les yeux. Ses fameux yeux, couleur bleu-émeraude qui avaient toujours fait craquer Jean-Marc, mais qui ce matin-là l’impressionnaient. « Ne m’en demandes pas plus, JM. Oui, bien sûr qu’avec mes quelques camarades rescapés de la télé déportation, nous en savons plus. Mais pour ton bien je t’assure, il vaut mieux que tu restes en dehors de tout ça. Du moins, pour l’instant. C’est beaucoup trop dangereux. Tu es sûrement surveillé. Je suis désolé. Quand nous aurons trouvé ce que nous cherchons, je te raconterai tout. Pas avant. Je te ferai signe. A présent, je dois y aller. Il faut que je sois à l’heure au sanctuaire. Je file ! ». Avant que Jean-Marc n’ait fait « ouf » et qu’il n’ait eu le temps de remercier Guillaume pour le cadeau qu’il lui avait fait cette nuit-là, (même si elle s’était terminée en queue de poisson), ce dernier avait déjà claqué la porte derrière lui. Il l’entendait dévaler l’escalier. A présent, il devait probablement filer vers le bas du Mont Philippapou pour retrouver l’hilote du mur, leur complice.