Chapitre XIII

Enfin de retour dans son appartement, Jean-Marc bouillait d’impatience. Que pouvait bien renfermer le manuscrit qu’il avait enfin réussi à dénicher chez son voisin ? Un pressentiment confus arrêta net son enthousiasme. Il se remémorait parfaitement les dernières phrases du second message de mise en garde que lui avait fait parvenir son ami Guillaume. Celui qu’il avait pris soin de détruire par précaution, afin de n’en laisser aucune trace, au cas où ... Depuis, il s’en répétait les termes en boucle comme les bouddhistes énoncent leurs mantras.

Mantra Le joyaux du Lotus

Et si une menaçante vérité se dissimulait derrière les derniers mots formulés, formels et assez énigmatiques ?

« Les cyborgs te soupçonnent de leur cacher quelque chose. Et si ce quelque chose est en ta possession, je t’en supplie au nom de notre amitié, de t’en débarrasser le plus vite possible. Il s’agit pour toi comme pour nous, d’une question de vie ou de mort. Il me semble me souvenir qu’un de tes voisins t’avait confié écrire un livre sur les dernières découvertes archéologiques sur les terres rares, grâce aux techniques de l’ADN. Et figure-toi qu’ils sont prêts à te tuer pour mettre la main dessus. Alors je te le répète, détruits-le sans aucun regret.

Bien à toi, Guillaume ».

Et effectivement, Jean-Marc n’entendait résonner que la dernière phrase, tel un avertissement. « Détruits-le sans aucun regret ». Mais pour quelles raisons son ami avait-il écrit « sans aucun regret » ? Pourquoi devait-il au juste, n’avoir aucun regret ? N’ayant pour l’heure aucune idée de ce que pouvait bien renfermer le document de l’archéologue, il décida de remettre à plus tard ses interrogations. D’autant que nulle part Guillaume n’avait mentionné une quelconque notion de temps ou de délais lors desquels il devait se débarrasser du manuscrit. Il n’était donc pas nécessaire de précipiter les choses. Après avoir vérifié que tout était calme au-dehors puis à l’intérieur de l’immeuble, Jean-Marc se persuada de pouvoir bénéficier, à minima, de toute la nuit, voire au mépris de toute prudence. Il avait besoin de calme pour comprendre en quoi ce qu’il était supposé découvrir était si crucial, non seulement aux yeux de son camarade mais encore plus, semblait-il, à ceux des cyborgs. Une seule chose lui paraissait évidente : les préoccupations de ces derniers tournaient surtout autour des terres rares. Certainement en tant que source d’énergie ?

Plus concrètement, son estomac commençait à se plaindre sérieusement. Il faut dire que ses dernières aventures l’avaient bien creusé. Jean-Marc prit donc le temps de se concocter un bon petit frichti pour fêter ça. En garçon méthodique et bien organisé, après avoir débarrassé la table de la cuisine et lavé la vaisselle, il se cala dans son fauteuil préféré et étala sa dernière découverte sur la table du salon. Il commença avant toute chose, par relire en diagonale l’exemplaire qu’il avait également rapporté de chez son voisin sur Les premiers temps de la Grèce de Moses Finley. Lorsqu’il l’avait glissé dans sa poche de jean après l’avoir feuilleté, il avait constaté qu’il était parsemé de lignes surlignées en jaune. En y regardant de plus près, il remarqua que seuls étaient mis en exergue, les chapitres conclus par une interrogation ou une supputation. Et ce n’est qu’en commençant à déchiffrer le manuscrit qu’il comprit que les premiers chapitres écrits par l’archéologue débutaient tous sur une interrogation laissée sans réponse par Finley. Ainsi son voisin avait-il organisé les bases de sa réflexion avant d’y ajouter le résultat des découvertes faites sur les terres rares et les métaux stratégiques depuis 1973, à parution de l’ouvrage. Jean-Marc put alors constater combien les méthodes de recherche et d’analyses avaient évolué depuis. Tandis que les heures passaient, il remarqua qu’au fil des chapitres, l’archéologue avait éliminé l’une après l’autre, la quasi-totalité des nouvelles détections d’impacts de météorites ne correspondant visiblement pas à ce qu’il recherchait. La seule qui pour finir avait retenu son attention était celle qu’il avait découvert dans Les météorites messagères de l’espace de Bernard Melguen. Ou plus exactement comme l’avait exprimé l’auteur de l’ouvrage : « Le mystère ayant longtemps entouré le cratère de Popigaï, résultat de la chute d’une grande météorite durant le Priabonien, soit durant l’étage final de l’Éocène supérieur de 37,8 à 33,9 millions d’années » !


Le cratère de météorite, Popigaï

Jean-Marc était de plus en plus intéressé. Et encore davantage quand il apprit que les informations tenues jusqu’alors secrètes depuis les années 1970, n’avaient été déclassifiées par la Russie qu’en septembre 2012. Ainsi il était apparu qu’à l’époque, une quantité considérable de diamants « de qualité industrielle » avait été découverte dans le cratère, « deux fois plus durs que les diamants habituels ». L’archéologue avait rajouté cette mention : « Par diamants industriels, on entend des diamants de toute petite taille ne pouvant servir qu’à des usages industriels. Ces gisements pourraient s’avérer dix fois plus importants que la totalité des réserves mondiales, avait déclaré en 2012, le directeur de l’Institut de géologie de la branche sibérienne de l’Académie russe des sciences ». Et naturellement les Russes avaient alors songé à exploiter ces gisements, notamment dans le numérique qui venait de révolutionner le monde. Mais, il s’avéra que c’était tout bonnement impossible car « difficilement envisageable économiquement en raison de leur médiocre concentration et des difficultés d’accès au gisement ». Jean-Marc commençait à mieux comprendre pourquoi les cyborgs s’intéressaient aux recherches de son voisin. En effet, ce dernier rapportait ensuite que « le diamant de qualité industrielle était capable de produire une charge en étant simplement placé à proximité d’une source radioactive. Mais la difficulté consistait alors de réussir à maintenir la matière à l’état de plasma plus de quelques secondes. Chose tout-à-fait impossible à faire dans l’état actuel des recherches ». C’était donc sans aucun doute après cette information que les cyborgs couraient car peut-être en avaient-ils les moyens, eux ? Jean-Marc n’avait jamais été très fort en physique/chimie et commençait à être largué par tout ce qu’il venait de lire. C’est alors que lui revint en mémoire l’épisode des fouilles que les robots avaient entreprises dans le quartier de Palio Faliro. Les cyborgs auraient-ils été d’une manière ou d’une autre eux aussi au courant de ce type d’informations et recherchaient-ils désespérément de nouveaux gisement ? Mais alors dans ce cas, pourquoi quelques jours plus tard, avaient-ils brusquement abandonné leurs recherches ? Tout devenait de plus en plus compliqué. Tout-à-coup, Jean-Marc se sentit bien seul et bien isolé. Combien aurait-il apprécié d’échanger avec un complice. Pourtant, il n’était pas au bout de ses surprises. En effet, l’archéologue avait continué à étendre son investigation à tous les ouvrages disponibles écrits par les spécialistes des météorites avant la date fatidique de son arrestation. Il s’était intéressé aux quelques vingt cratères de météorites sous-marins alors recensés. Y compris le vingt-et-unième, découvert en 2022. Jean-Marc était pratiquement parvenu au bout du manuscrit lorsqu’il apprit qu’un vingt-deuxième cratère venait d’être récemment découvert dans la fosse marine méditerranéenne située… à l’ouest de la Grèce ... C’était donc ça : les cyborgs certainement mal informés (intentionnellement ou pas ?), étaient partis sur une mauvaise piste !

Stupéfait, Jean-Marc lâcha prestement le document comme s’il lui brûlait les mains. Il venait d’avoir un flash, un éclair de lucidité en se rappelant l’avertissement de Guillaume : « Ils sont prêts à te tuer pour mettre la main dessus. Détruits-le sans regret ». Le plus sage était donc d’en rester là et de cesser IMMEDIATEMENT de lire la fin du document. Ainsi, dans le pire des cas s’il pouvait détruire le document sans laisser de traces et que les cyborgs décidaient de le kidnapper pour le faire parler, il serait alors certain de ne pas parler de ce qu’il n’avait pas lu : la localisation exacte de l’impact ! Jean-Marc se dit qu’il n’avait pas trop de ce qui restait de la nuit déjà bien entamée, pour réfléchir à ce qu’il devait faire pour essayer de se sortir vivant de ce guêpier, si cela était encore possible !