Chapitre VII
Article mis en ligne le 29 avril 2024

Vers 7 heures du matin, Jean-Marc atteignit le sommet du Mont Philipappou. Il se dirigea alors vers le Lofos, un endroit qu’il connaissait bien. Et pour cause : c’est là que les jours de déprime, il venait retrouver sa vieille amie, la tortue. Il l’avait baptisée Sophia et, entre deux gourmandises, il avait pris l’habitude de lui confier ses peines, les jours de grand cafard. Sophia était la plus ancienne des tortues du lieu. La vétérane, parmi toutes celles blessées par des pêcheurs peu scrupuleux, qui s’étaient retrouvées dans ce lieu préservé. Elle avait été la première soignée par une équipe de bénévoles, avant d’être en principe, rendue à sa liberté et à son espace naturel. Mais contrairement à ses congénères et aux attentes de leurs sauveteurs, Sophia s’était parfaitement habituée à son nouvel environnement et n’avait plus jamais voulu le quitter. Jean-Marc l’avait surnommée Sophia en référence à ce qu’il avait lu sur les tortues en Grèce et ceci, depuis l’antiquité. Sophia en grec ancien signifie Sagesse.

Mais ce matin-là, il n’était pas venu pour solliciter sa sagesse et lui parler de ses ennuis. Connaissant ses goûts, il lui avait préparé de beaux quartiers d’orange dont il la savait très friande. Il s’assit sur la pierre où ils se retrouvaient régulièrement, lors de ses visites. Il déballa son précieux présent et commença à l’appeler doucement par son prénom. Le temps passait vite et il commençait à s’inquiéter. Mais au bout d’une vingtaine de minutes (qui lui parurent une éternité), il aperçut Sophia qui s’approchait de sa démarche nonchalante et comique. « Ah te voilà enfin ma vieille mémère ! Tiens, regarde ce que je t’ai apporté ce matin. Régale-toi d’abord, et ensuite, tu vas me rendre un petit service. Tu es d’accord ma belle ? » Quand Sophia eu l’air rassasiée, il la prit délicatement dans ses deux mains (elle pesait son poids !). Il la retourna doucement sur la carapace et lui appliqua le petit mot destiné à Guillaume sur son plastron. Il le scotcha à l’aide de quatre pansements antiseptiques (il n’était pas question d’abimer la bonne, mais fragile santé de sa vieille amie) et la retourna à l’endroit, sur le sol. Le plus dur restait encore à faire.

Il reprit Sophia dans ses bras. Elle se laissa faire en toute confiance et ils redescendirent le Philippapou jusqu’à l’entrée du sanctuaire de Pan, où Jean-Marc avait rendez-vous. Il était déjà huit heures moins le quart. Une fois parvenu devant un des cyborgs en faction, il essaya d’attirer son attention par des gestes. Il dut se montrer assez convaincant car, pour la première fois, un cyborg sembla s’intéresser à lui. Ce dernier appela un hilote qui se trouvait dans les parages, afin que ce dernier fasse l’interprète. Un peu récalcitrant, l’hilote s’adressa à Jean-Marc : « - Mon chef me demande ce que vous faites ici à cette heure, avec une tortue dans les bras ». Jean-Marc demanda à l’hilote d’expliquer à son chef que selon une tradition grecque issue de l’antiquité, les tortues revêtaient dans ce pays, un caractère sacré. Non seulement elles étaient le symbole de la sagesse mais aussi, celui de la mémoire de l’humanité, « possédant dans leur carapace toute la connaissance du monde ». L’hilote traduisit. « - Mon chef se fout pas mal de vos explications. Ce qu’il veut c’est savoir c’est ce que vous voulez exactement ! ». « - C’est très simple : respecter la tradition athénienne qui veut que l’on aide les tortues à traverser l’Apostolou Pavlou, lorsqu’elles désirent se rendre de l’autre côté, sur la Colline de Mars ».

Tableau de Picasa représentant Chéloné, jeune femme transformée en tortue pour avoir refusé de se rendre aux noces de Zeus et Héra.

Alors que l’hilote transmettait sa demande au cyborg, comme par magie, Jean-Marc aperçut de l’autre côté du Mur virtuel, un autre hilote qui s’approchait. Sans aucun doute, il devait s’agir du complice évoqué par Guillaume dans sa lettre. Bien conscient cela dit, de prendre un grand risque et de jouer son va-tout, Jean-Marc tourna négligemment Sophia côté pile, afin de lui faire voir le mot scotché sur son plastron, avant de la remettre à l’endroit. C’est maintenant que tout allait se jouer. Après un certain temps, enfin, de l’autre côté du mur virtuel, le cyborg se décida à faire un signe qui semblait positif, à l’hilote-traducteur. Ce dernier fit une gestuelle dans l’espace (digne d’un dessin animé !) mais qui, visiblement désactivait le système de sécurité du mur. L’hilote-traducteur vint alors vers Jean-Marc, lui prit Sophia des mains et la tendit (ouf, sans la retourner !) à l’autre hilote, côté colline de Mars. Ci-fait, le premier hilote refit sa gestuelle en sens inverse, probablement pour réactiver le mur. Ensuite, il adressa un signe qui se voulait sans appel à Jean-Marc, pour lui signifier de « dégager au plus vite » ! Jean-Marc ne se le fit pas dire deux fois… Une fois le Philipappou regagné, il poussa un énorme soupir de soulagement. Son message était bien parti. Parviendrait-il dans les mains du beau Guillaume ? Et si oui, quid de la suite ???...