Ronald Creagh
Le Colloque de Bristol

Juin 2010

C’est du sang nouveau qui est infusé dans les milieux académiques. Presque tous les participants sont des jeunes doctorants, ce qui est peut-être un signe des temps. Ils perçoivent les courants les plus récents de la philosophie et de la politologie : le rejet de l’essentialisme, le constructivisme, le réalisme critique, la théorie de la sélection de groupe, l’approche critique des études de sécurité. Ils se servent de ces divers outils pour aborder des exemples concrets. A l’opposé des postmodernes qui ne distinguent pas entre la réalité et notre connaissance de la réalité, certains d’entre eux adoptent le réalisme critique. Ils ont affronté ces diverses questions en appuyant leur argumentation théorique sur des études d’exemples concrets.

Le thème général proposé était relativement neuf. Il a suscité la comparaison entre le terrain théorique des relations internationales et celui de la pensée anarchiste. Il a ainsi sondé les fondements du libéralisme, du christianisme, du darwinisme social. Il a enfin confronté une discipline où les États et certains groupes hégémoniques ou terroristes sont présentés comme les seuls acteurs, et leur a opposé des exemples de la portée concrète de l’anarchisme au sein des relations mondiales ; ainsi sont passés en revue des mouvements sociaux, notamment en Amérique latine, dont l’impact a été international et le caractère libertaire significatif.
Passons à la liste des sujets traités.

Communications :

Adam Goodwin (Ottawa) ’Evolution and Anarchism in International Relations : The Challenge of Kropotkin’s Biological Ontology’

A partir d’une analyse des travaux de Pierre KROPOTKINE, le conférencier attaque à la fois la critique postmoderne de l’émancipation, l’apologie de l’agressivité par les théories darwiniennes et la philosophie de l’égoïsme proposée par le capitalisme.

Alex Prichard (Bristol) ‘« Discussion sur l’anarchisme de David Held ». Les écrits de cet auteur très en vue sont discutés à partir de la problématique anarchiste des relations internationales.

Shannon K. Brincat (Queensland) and Leah Aylward (Queensland) , « Surmonter par l’anarchisme l’opposition cosmopolite/communautaire. La Via Campesina et les principes de l’anarchisme ». Le « communautarisme » est ici entendu comme espace public d’une collectivité donnée ; on reproche à ce courant de réduire son éthique et son sens communautaire à la seule dimension de ce groupe. Il est comparé à « l’universalisme, » qui prétend ignorer la diversité et la pluralité. Le mouvement paysan international « La Via Campesina » échappe à ce faux dilemme du fait de son recours aux principes anarchistes de mutualisme et de confédéralisme sans direction centralisée.

Roy Krøvel (Oslo) « Les mouvements sociaux mondiaux et les relations internationales. L’anarchisme et les mouvements sociaux à la lumière de l’insurrection zapatiste au Mexique ». Pourquoi les militants du réseau mondial de solidarité se sont identifiés aux communautés zapatistes. Comment les communications entre les deux groupes ont influencé le développement de l’organisation politique des autochtones et le déploiement d’un mouvement altermondialiste plus vaste

Daniel Murray (Stanford) « L’insurrection démocratique, ou qu’y a-t-il de commun dans le mouvement altermondialiste ? ». Forces et faiblesses du courant pour une démocratie radicale, que l’on trouve au sein de l’alter mondialisme. Celui-ci ne cherche ni à réformer les institutions ni à mettre en place de nouvelles identités hégémoniques, mais suppose une nouvelle conception de l’insurrection. L’auteur repose l’éternelle question : un autre monde est-il possible si l’on maintient l’État et les divers groupes hégémoniques ?

April Carrière (Ottawa) « Les mouvements sociaux et l’État bolivien : des courants anarchisants en pratique et en théorie ». La disparition de la modernité, celles du syndicalisme ouvrier et du communisme, permettent de revoir un combat longtemps négligé par les historiens, la résistance des communautés autochtones à travers des pratiques non hégémoniques.

Luke Ashworth (Limerick) « L’Anarchie contre l’anarchisme. L’univers étatique de la société anarchique globale ». Critique du mot « anarchie » qui sert de cadre à l’étude des relations internationales. Histoire de ce concept structurant. Rejet aussi de l’approche qui se cantonne à voir les États comme les principaux acteurs. Proposition de fonder les relations internationales sur une base différente, celle des grandes institutions internationales dans la mesure où celles-ci sont indépendantes des États. L’auteur donne comme exemple les télécommunications, l’Organisation Internationale du Travail ou des institutions qui se préoccupent de la protection sociale, comme l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.

Chris David La Roche and Jordan A. Guthrie (Toronto) ‘“L’anarchie est ce que les universitaires en font : L’analogie anarchiste dans la théorie des relations internationales”. A l’opposé de l’orateur précédent, ceux-ci concèdent que l’analogie établie entre l’anarchisme et la politique internationale a permis de construire des théories raffinées. Ils suggèrent qu’une considération de la pensée anarchiste classique, plutôt que de sa caricature, permettrait un enrichissement de la discipline.

Claire Harrison (Exeter) ‘Beyond the politics of demand : The politics of the act as exemplified by anarchist practices’

Erika Cudworth and Stephen Hobden (UEL) ’« Vers une théorie des systèmes internationaux complexes ». Le système international est plus que la somme de ses parties. Ils proposent, comme on le verra plus loin, de repenser en conséquence le cadre de la discipline.

Nathan Eisenstadt (Bristol) ‘« L’anarchisme comme agencement mondial : le paradoxe des ‘Gouvernementalités émancipatrices’ ». La rationalité du libéralisme consiste à utiliser comme technique de gouvernement l’idée de liberté. Mais cette liberté n’a rien à voir avec l’émancipation que proposent les théoriciens du mouvement anarchiste.

Carl Levy (Goldsmith’s) ‘Anarchism on the Potomac, when Cheney met Ravachol : the historiography of anarchism and securocrats since 9/11’

Paul Stott (UEA) ‘« Anarchisme, études sur le terrorisme et islamisme ». La comparaison entre la violence d’Al Qaeda et les attentats anarchistes du passé sert d’alibi à ceux qui refusent de voir son lien avec le fondamentalisme islamiste.

Chris Rossdale (Warwick) « Reconquérir la capacité d’agir : les interventions anarchistes dans les relations internationales ». L’anarchisme est une théorie de l’action qui prend la forme d’une critique constructive à travers l’action directe et la démocratie directe. Ce thème est illustré par l’action d’une coalition contre la guerre, menée en Irlande du nord. L’occupation d’une entreprise qui fabrique des fusées téléguidées utilisées contre le Liban, a permis d’amener la population de Londonderry à refuser l’installation de cette usine dans sa proximité.

Carissa Honeywell (Sheffield Hallam) « État guerrier et Mutinerie : la poursuite judiciaire des anarchistes de War Commentary. » L’impact sur la société civile d’une expérience militaire : pourquoi le gouvernement britannique a-t-il poursuivi le journal anarchiste War Commentary en 1945, alors qu’il ne l’avait pas fait durant la guerre ?

Alexandre J. M. E. Christoyannopoulos (Kent) ‘« ‘Et Lui seul tu serviras » : Une critique anarchiste chrétienne de l’ordre de Westphalie ». Le système international, né du Traité de Westphalie de 1648, est incompatible avec le christianisme. C’est en effet au nom de l’Évangile que certains pacifistes se considèrent anarchistes : ils ne peuvent accepter l’existence de l’État parce que celui-ci est fondé sur la violence à l’intérieur et à l’extérieur, ainsi que la coercition. Le traité de Westphalie en 1648 légitime cet état de fait.