Source :Sudan War Monitor
Sudfa est un blog participatif franco-soudanais, créé par un groupe d’ami-e-s et militant-e-s français-e- et soudanais-e-. Il se donne pour objectif de partager ou traduire des articles écrits par des personnes soudanaises, ou co-écrits par des personnes soudanaises et françaises, sur l’actualité et l’histoire politiques, sociales et culturelles du Soudan et la communauté soudanaise en France. Il publie le blog https://blogs.mediapart.fr/sudfa, d’où est tiré cet article.
En janvier 2024, le collectif « Taqqadum » – composé de plusieurs partis politiques – a signé un accord avec les RSF à Addis-Abeba, dans lequel les RSF s’engagent à garantir une transition civile et démocratique s’ils gagnent la guerre. Cet accord – qui a notamment été signé par Abdallah Hamdock (l’ancien premier ministre de la période de transition) – a été largement contesté et décrié par les Soudanais-e-s, qui considèrent qu’aucune compromission n’est possible avec les RSF.
Si cet accord survenu à un moment où les RSF prenaient l’avantage sur l’armée, il s’inscrit également dans une « normalisation diplomatique » des relations avec les RSF. De janvier à mars 2024, Hemedti a ainsi effectué une série de visites officielles dans les pays voisins, où il a été reçu comme un allié diplomatique. Mais plus récemment, l’armée soudanaise a remporté – grâce à des drones iraniens – plusieurs combats majeurs sur les RSF. A ce jour, l’issue de la guerre reste donc toujours très incertaine.
Une guerre difficile à comprendre
Les raisons profondes de cette guerre sont obscures et font l’objet de débats au sein des Soudanais·e·s, comme le constate Khansa, militante soudanaise en exil :
« Il n’y a pas une seule analyse profonde sur la situation actuelle au Soudan, et c’est ça qui nous rend confus. Il y a des gens qui soutiennent la guerre, qui veulent que les militaires écrasent les RSF quoi qu’il arrive, mais il y a aussi des gens qui qui considèrent les RSF comme un allié politique, ou encore d’autres qui ont des intérêts directs dans la guerre. Et il y a des gens qui disent : « Non à la guerre ! », qui pensent que c’est la pire chose qui peut arriver. Avec tous ces discours, on n’arrive pas à trouver une bonne orientation, ni de bons outils de travail pour être plus efficaces. Parce qu’il y a un manque d’analyse et on n’a pas de boussole. »
Certains estiment que c’est une guerre de pouvoir entre deux hommes, pour leurs simples intérêts personnels. Pour Khaled – militant soudanais en exil – la guerre peut être analysée d’un point de vue féministe, comme une « compétition de virilité entre deux généraux qui prennent en otage la population soudanaise ». D’autres estiment qu’il s’agit d’une « guerre entre différents groupes sociaux et culturels de la société », avec une dimension raciale qui conduit à des génocides. D’autres considèrent qu’il s’agit d’une guerre « impérialiste », car chacun des deux groupes qui s’affrontent est soutenu par différentes puissances étrangères qui convoient le Soudan pour ses ressources naturelles et pour sa localisation stratégique. Khansa considère ainsi que : « la guerre est une étape très violente qui se traduit par le fait qu’il y a des organisations armées qui essayent de monopoliser les richesses et le pouvoir du pays par les armes, par n’importe quel moyen. »
Mais pour beaucoup, il s’agit avant tout d’une guerre « contre-révolutionnaire ». En mettant le pays à feu et à sang, elle a fait s’effondrer les espoirs de la révolution civile et démocratique. Et a poussé sur les routes de l’exil de nombreux·ses militant·e·s engagé·e·s dans la révolution. En déstabilisant complètement le pays, cette guerre permet aux cadres de l’ancien régime de rester en place sans être jugés pour les crimes qu’ils ont commis durant des décennies (durant la dictature militaire puis du coup d’État).
Se mobiliser et résister
Malgré l’immense douleur et la colère, les Soudanais-e-s n’ont pas dit leur dernier mot et la flamme de la résistance est toujours présente. La mobilisation demeure active dans le pays (voir notre précédent article). Du côté de la société civile, les initiatives se sont multipliées pour réclamer la fin de la guerre. En novembre 2023, les comités de résistance (organisations autogérées par quartier de la société civile, et fer de lance du mouvement de contestation depuis 2018) ont publié une déclaration avec des pistes concrètes de propositions pour mettre fin à la guerre[2], réformer les forces armées soudanaises, mettre en place un gouvernement civil et obtenir justice pour toutes les victimes de guerre. De nombreuses initiatives locales mettent en œuvre une solidarité dans les différents quartiers, malgré une situation humanitaire catastrophique.
La résistance se poursuite également dans la diaspora soudanaise à travers le monde, même si la guerre affecte aussi fortement les Soudanais-e-s à l’étranger (voir notre précédent article). Rashida – militante soudanaise en exil – note une différence entre la période post-révolutionnaire et la situation aujourd’hui :
« Les gens sortaient en masse après le coup d’État, parce qu’il y avait de l’espoir. Mais maintenant, nous ne sommes pas nombreux aux manifestations. C’est la guerre, et il n’y a plus d’espoir, nous sommes perdus. Les manifestations sont tristes, car il n’y a personne qui n’a pas été touché directement par cette guerre. »
Pour autant elle continue à se mobiliser, en considérant que « c’est le minimum que je peux faire » pour soutenir son pays depuis la France, et « qu’il ne faut rien lâcher ».
A Paris, des militants ont manifesté place de la République contre la guerre, et d’autres ont fait entendre leur voix en perturbant la « Conférence sur la crise humanitaire au Soudan » organisée par les puissances internationales, accusée par de nombreux militants soudanais de poursuivre la normalisation des relations internationales avec les RSF et d’aller à l’encontre de la volonté de la population soudanaise. Des manifestations ont eu lieu hier dans différentes villes du monde, à Paris, Londres, Boston, New York, Oslo, Whasington, Phoeniw, Cardiff, dans le cadre de la « Global March for Sudan » qui vise à demander la fin immédiate de la guerre.
Notes
[1] Aujourd’hui, des journalistes soudanais·e·s et organismes d’investigation tentent de comprendre ce qui s’est passé à Al-Geneina au cours de ces derniers mois, et d’estimer le nombre de morts : certaines études évoquent entre 10 et 15 000 mort·e·s rien que dans cette ville, ce qui est autant que le nombre total de mort·e·s dans tout le pays évoqué par l’ONU.
[2] La déclaration des comités de résistance sera traduite prochainement sur Sudfa.