
Face à la tourmente financière qu’il affait devoir affronter s’il était élu président de la République, Hollande, selon Mélanchon, avec ses propositions floues sur le plan économique, faisait figure de « capitaine de pédalo ». Ce qui n’empêchera pas le grand timonier du Front de gauche, sitôt connus les résultats du premier tour de la présidentielle, de lui lancer une bouée de sauvetage en sommant ses propres électeurs de voter au second tour pour Hollande « sans rien demander en échange » ni « traîner les pieds ». De fait, sans ce report de voix pour le renflouer, le « capitaine de pédalo » aurait bel et bien coulé avec son embarcation. Point n’était besoin pour lui cependant, n’en déplaise à Merluchon qui faisait semblant de l’ignorer, de disposer d’un plan de bataille contre les pirates des « marchés » puisque son dessein n’était autre que de voguer de conserve avec eux.
Le cap avait déjà été fixé par eux depuis longtemps, en effet. À la manœuvre, les plus émérites d’entre eux, soit une trentaine d’entrepreneurs du CAC 40 regroupés dans le Cercle de l’Industrie. Représentant les intérêts des trusts français à l’échelle européenne, partenaire du MEDEF, de l’Institut de l’Entreprise et de la Table ronde des Industriels européens, ce lobby patronal avait jusqu’à il y a peu pour vice–président Pierre Moscovici, un énarque et politicien arborant le fanion rose « socialiste ». Or, c’est à celui-ci que Hollande avait fait appel comme directeur de campagne pour l’aider aller sus à « la finance », comme il l’avait promis pour mobiliser ses troupes. Proche du milieu des affaires, comme on dit, au point d’en faire partie, Moscovici était secondé, à moins que ce ne soit l’inverse, par un autre forban diplômé, Michel Sapin, dont les états de service au service de l’État, notamment comme ministre de l’Économie et des Finances (1992-93) — en réalité, de la « désinflation compétitive » — laissait augurer le meilleur, aux yeux des marchés », du « projet présidentiel » dont Hollande lui avait confié la responsabilité. Lequel, sitôt arrivé à bon port, c’est-à-dire à l’Élysée, s’empressera de propulser Moscovici et Sapin respectivement à la tête du Ministère des Finances et de celui du Travail, postes stratégiques pour lancer les opérations de piraterie sociales-libérales à venir.
Pour mener à bien ce « changement » sans créer trop de remous, ce fut le branle-bas de combat général. Non pour envoyer par le fond les galions européens surchargés des richesses accumulées depuis trois décennies de surexploitation et de spéculation, mais pour les maintenir coûte que coûte à flots. Tout le (beau) monde des affaires se retrouva sur le pont. À commencer par les matelots brevetés en économie néo-libérale dont Hollande s’était entouré durant sa campagne, les mêmes (Philippe Aghion, Elie Cohen, Jean-Hervé Lorenzi, Daniel Cohen, Jean-Paul Fitoussi, etc.) qui avaient déjà conseillé les gouvernants de droite, et qui, sans doute pour le faire oublier, s’étaient publiquement en déclarés en faveur du candidat Hollande peu avant l’échéance électorale. Le navire sarkozien
commençant déjà à faire eau de toutes part, il était effectivement temps pour eux d’opérer un transbordement. Mais, pas question de virer de bord : plus que jamais, on prétextera la « crise des finances publiques » pour convaincre les travailleurs de se résoudre à galérer indéfiniment entre austérité et régression sociale. En hissant toutefois à leur intention un pavillon de complaisance susceptible de calmer leurs apprehensions et même de leur redonner du cœur au ventre, avec inscrit en grosses lettres
le mot « croissance ».
Les pirates sociaux-libéraux auraient pu naviguer sans encombre sur une mer un peu calmée si une flibustière d’origine bretonne n’avait pas choisi de s’embusquer non loin des rivages nordiques pour semer la confusion.
Depuis des mois, elle avait pris les devants en canonnant sans répit contre le « système ultra-libéral » et les grandes compagnies qui mettaient sur la paille les prolétaires restés à terre. Bien plus, elle tirait à boulets rouges-bruns contre les « complices rosâtres » de ce système, n’hésitant pas ainsi à subtiliser une partie de ses munitions au Front de gauche, lui- même (dis)qualifié de « leurre » et de « rabatteur de voix au profit du PS » par la bougresse, qui gagnait de la sorte une popularité indéniable parmi la populace. Résultat : un score très honorable pour elle au premier tour de la présidentielle qui fit l’effet d’un coup de semonce.
Tandis que les vigies perchées sur les hunes médiatiques signalaient aussitôt le risque d’une bourrasque « extrémiste » dans quelques zones délaissée de l’hexagone, on ressortit à la hâte des malles « républicaines »
le drapeau noir de l’ordre brun, pas mal défraîchi à force d’avoir trop servi comme épouvantail durant les années Mitterrand, pour effrayer une fois de plus le « peuple de gauche » devenu sceptique à l’égard du « socialisme de gouvernement », et l’inciter à voter malgré tout pour ses représentants afin de « barrer la route au fascisme ». Avec un certain succès, même si la vague rose attendue n’eut pas l’ampleur escomptée, et si l’importance des défections dans l’électorat (plus de 43% sans compter les bulletins blancs ou nuls, pour ne rien dire des 12% de non inscrits) en réduisit la portée. Est-ce à dire que la flibusterie frontiste n’est plus à redouter ? On pourrait en douter.
Lors des législatives, quelques craquements désagréables s’étaient fait entendre dans la mâture du côté de l’aile gauche de la flotte sociale-libérale. Habitués à nager entre deux eaux, les Verts étaient non seulement parvenus à placer l’une des leurs sur le pont supérieur du navire amiral alors que le rafiot écologiste était loin d’avoir fait le plein des voix, mais, grâce à une alliance tactique nouée au quartier général de Solferino, ils étaient assurés de voir nombre de leurs candidats surnager aux élections suivantes. Ce qui eut le don d’énerver les corsaires mélanchoniens, forts des suffrages glanés par leur chef au premier tour de la présidentielle.
Il faut dire que le navire du Front de gauche n’avait pas tardé à donner sérieusement de la bande, déstabilisé par les dissensions au sein de l’équipage. Tandis que les vieux briscards du PCF étaient tentés une fois de plus de baisser leur pavillon rouge délavé pour s’accrocher à leur tour au vaisseau amiral du PS et conserver ainsi les derniers sièges que leur avaient laissés les législatives, certains jeunes loups de mer du Parti de gauche se demandaient s’il ne valait pas mieux au contraire mettre résolument la barre à l’extrême gauche. Pour éviter de sombrer, ils étaient, en effet, partisans de faire feu à nouveau sur « les marchés » par tous les sabords, au lieu de prendre Marine la Flibustière pour cible prioritaire. Peine perdue, leur grand Timonier était bien décidé à débarquer au beau milieu du fief de cette dernière pour l’affronter dans un duel homérique, quitte à bousculer au passage un maire PS qui occupait déjà la place.
Ce qui donna lieu à un curieux chassé-croisé, le Front de Gauche accusant le Front national de piller son argumentaire anticapitaliste, alors que celui-ci accusait celui-là d’être une force d’appoint au social-libéralisme. Ce qui devait arriver arriva : alors qu’il avait rêvé de jeter Marine par-dessus bord, ce fut Merluchon qui tomba à l’eau. « Votre incapacité à vous passer de moi relève de la psychiatrie », avait rétorqué la première au second au cours d’un débat télévisé à couteaux tirés. En réalité, la flibustière savait fort bien à quoi tenait cette incapacité. Sans voir qu’il contribuerait à renforcer le prestige de celle qu’il était allé imprudemment défier, le Grand Timonier du Front de gauche avait besoin d’un adversaire à sa taille pour s’imposer comme un corsaire d’envergure face aux pirates sociaux-libéraux qu’il avait fait mine de combattre tout en se préparant à voler à leur secours.
On sait ce qu’il en advint. Pour faire pièce au Front National dans une bourgade devenue emblématique, un « Front républicain » fut constitué.
Un véritable front national, en fait, puisqu’il regroupait, outre le PS, Les Verts et le Front de gauche, le Modem et l’UMP. Et Marine fut éliminée. Mais les pirates de gauche et de droite qui se sont ligués pour se débarrasser d’elle ne devraient pas trop pavoiser. La piraterie capitaliste à laquelle ils ne manqueront pas de se livrer de plus belle dans l’avenir pourrait bien à la longue faire passer, aux yeux de peuple dont ils se réclament, la flibustière pour une justicière.