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Jean-Pierre Garnier
Marxisme lénifiant : le retour
Article mis en ligne le 19 janvier 2012
dernière modification le 3 janvier 2012

Dans l’un de ses ouvrages majeurs, non réédité jusqu’à présent, le sociologue marxiste dissident Henri Lefebvre exposait une thèse au
« caractère central » selon lui : « Les classes moyennes, malgré leur diversité, à travers leurs divergences politiques supportent l’État dans le sens fort de ce mot : supports matériels — supports idéologiques, vaille que vaille, coûte que coûte » [1]. Dans cette partition, les intellectuels de gauche, y compris radicaux, jouent le rôle que leur impartit l’État.
« Dans la démocrate libérale, les intellectuels, parmi lesquels se comptent des esprits critiques ne reculant pas devant l’audace, se voient parfois dans les ghettos : protégés, neutralisés [...]. Le pouvoir politique s’arrange dans les pays démocratiques pour que les intellectuels disent ce qu’ils pensent et que cela ne serve à rien ».

Il aurait pu ajouter que ceux-ci s’arrangent aussi fort bien de cet arrangement. D’où la floraison de ce que Lefebvre appelait les « idéologies de ghetto » qui prennent souvent la forme de discours sur le discours, du « métalangage », de la « logologie ». À cet égard, note Lefebvre, « le discours sur le discours marxiste ne vaut pas mieux que le discours sur tel autre philosophe ou penseur ». Il ciblait à l’époque le structuralo-marxisme althussérien, en particulier celui des sociologues Manuel Castells, Jean Lojkine, Edmond Préteceille, Jean Topalov, François Ascher.

J’ai remis le couvert dans une intervention lors d’un colloque récent consacré à la pensée de Henri Lefebvre, revenu en grâce en France parmi l’intelligentsia universitaire après une longue éclipse. Le thème du colloque Lefebvre à Paris X était « Une pensée devenue monde ». Au vu du pedigree de certains de ses organisateurs et intervenants, antimarxistes patentés pour lesquels Lefebvre n’existait pas il y a encore quelques années, mais qui prennent le train de la radicalité de campus en marche pour ne pas rester à la traîne, un autre intitulé eût mieux convenu : « Une pensée redevenue mode ». Quand j’ai affirmé que la question « que faire ? » était considérée comme hors sujet dans les enceintes universitaires, un ange (léniniste ?) est passé parmi l’auditoire.

On peut effectivement faire carrière dans la critique de l’urbanisation du capital, comme d’autres chercheurs, économistes « non orthodoxes », le font depuis des années en prenant pour cible le modèle socio-économique
« néo-libéral », sans que cela contribue le moins du monde a embrayer sur le mécontentement croissant des classes dominées pour le transformer en force politique susceptible de mettre en branle une contre-offensive populaire. Mais il semble que le temps ne soit pas encore venu, aux yeux de l’intelligentsia « radicale », de cesser de parler (ou d’écrire) pour ne rien faire, sinon, précisément, carrière, académique ou/et médiatique.
Et, en matière d’engagement pratique, mettre éventuellement un bulletin de vote dans l’urne, quand les politiciens « degôche » qu’ils fustigent par ailleurs pour leur « complicité avec le capital » ou leur « manque de volonté politique », les en pressent pour « faire barrage », selon le slogan républicain consacré, à la droite ou à l’extrême droite.