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Christiane Passevant
Football : opium du peuple et guerre en crampons
Quel Sport ? N° 12/13 mai 2010
Article mis en ligne le 17 juillet 2010
dernière modification le 6 juillet 2010

Quel sport ?

Football. Une aliénation planétaire

N° 12/13 mai 2010

Quatre semaines d’idolâtrie pour les « demi-dieux » des stades entourés cette fois de towships misérables, quatre semaines d’occultation des réformes gouvernementales — bonne affaire pour le gouvernement ! —, quatre semaines où la novlangue se veut guerrière et patriotique avec comme termes repères : coup franc, penalty, tir au but, ailier gauche, droit, centre et autres arrières et milieu de terrain.

L’imaginaire a été dopé au ballon rond et ce fut pour certains et certaines d’entre nous un grand moment de solitude. Dans la rue, les cafés, les gens scotchés aux écrans plats, grand format, en 3D, et dans les transports cela donnait à peu près : «  T’as vu, le shoot qu’il a fait hier ? Grandiose ! Et l’arbitre ? Putain, quel con ! On va perdre si ça continue ! La main ? Mais quelle main ! »

Et je vous passe les commentaires sur les téléphones portables et autres conversations au bureau. Impossible d’y échapper : « Pour que des centaines de milliers de supporters puissent bénéficier de leur train de vie usuel, une acculturation destructrice et une soumission aux valeurs du fric vont réguler les rapports humains pendant un mois de grand show planétaire. »

Les yeux de millions de téléspectateurs rivés sur la baballe, les cris de joie aux buts marqués, de frustration pour les balles manquées… Ce n’était plus « Va chercher la baballe ! », mais « Regarde dans quel camp atterrit la bababalle ». Pas étonnant qu’il faille s’abrutir de bière pour s’exciter sur un enjeu aussi absurde qu’illusoire. « On a gagné ! » hurlent les supporters à l’issu d’un match, d’une confrontation qui met face à face 22 mecs surpayés et hissés au rang d’idoles. Mais gagné quoi ? Un moment de nationalisme délirant qui gomme les frustrations quotidiennes, les problèmes, les médiocrités et les drames ?

Photo Charles Cournet

Les politiques ne s’y sont pas trompés qui enfourchent le train des supra supporters « communiant » ainsi avec le peuple l’espace d’un match et d’un hymne national. Le foot, la coupe et tout le cirque marchand : beau miroir aux gogos et abrutissement assuré !

Il fallait déjà se planquer dans un trou pour échapper à cette excitation footballistique et à ce moment d’hystérie collective autour du ballon et maintenant, c’est la folie des deux roues. Tous et toutes aux abris !
On en sort plus.

Les médias nous assomment avec des résultats assénés aux JT et dans tous les flashs d’infos. À croire qu’il ne se passe plus rien ailleurs. Des "spécialistes", anciens "champions" et sociologues aux ordres nous servent des analyses, les enfants sont utilisés pour donner un avis… Vous voyez bien que ça concerne "tout le monde" ! Il serait intéressant d’analyser ce que couvre ce "tout le monde" pour le moins totalitaire.

Cela concerne certainement la fabrication des gadgets qui accompagnent ces grand messes soit disant sportives et les multinationales qui sous traitent en Chine, dans les pays où l’on fait travailler les gosses et les personnes dans des conditions dont on ne parle pas. Et surtout pas dans la pub pour tous les gadgets accompagnant les délires compétitifs appelés sports populaires… Il n’y a pas de petits profits. Le fétichisme de la marchandise atteint des sommets et se double d’une messe extatique dont les acteurs sont deux fois « onze bandits manchots », comme l’écrivent Fabien Ollier et Christophe Dargère, qui se disputent une balle.

La bande son ? Des hymnes patriotiques, holas et hurlements de beaufs internationaux.

Et après le tennis, le foot, voici le vélo ! Bon courage !

Fabien Ollier [1] : La revue Quel Sport ? est née en 2007, à l’occasion de la campagne de boycot des Jeux olympiques de Pékin et les six premiers numéros y étaient consacrés. Avant, il y avait la revue Quel corps ?, dirigée par Jean-Marie Brohm de 1975 à 1997, qui s’est arrêtée faute de participants. Il se s’agit pas en effet d’avoir la seule ambition de publier, mais d’avoir une critique effective dans la "mêlée" avec des interventions dans l’espace public, des campagnes de boycott, de dénonciation. Dix ans après, Quel Sport ? a repris le combat abandonné par beaucoup sauf par Jean-Marie Brohm qui a toujours eu cette critique radicale du sport depuis les années 1960.

Agnès Pavlowsky : En quoi cette critique radicale du sport est-elle différente d’autres critiques ?

Fabien Ollier : Elle est radicale dans le sens où, comme le disait Marx, elle prend les choses à la racine, c’est-à-dire qu’elle ne s’intéresse pas seulement aux dérives ou aux dérapages du modèle sportif. Il ne s’agit pas de montrer qu’il y aurait un sport pur et un sport altéré par les méfaits du capitalisme, la récupération par l’argent, le dopage, mais d’aller au fond des choses, au centre de ce qu’est le sport, de ce qu’il représente au bas et au haut de l’échelle, c’est en cela que notre démarche est radicale. Notre objectif, dans les deux revues, est de détruire l’institution sportive, non pas d’asséner des formules maximalistes dans le genre "plus
de sport !", mais de travailler à partir d’événements sportifs planétaires, de fédérer avec les différents courants critiques une critique effective de l’institution sportive. La définition du sport est importante, car il ne s’agit pas de confondre une activité sportive et le sport tel qu’il s’est déployé par le biais d’institutions particulières qui sont apparues avec l’avènement du système capitaliste. Le sport se définit par des pratiques compétitives à dominance physique. Sans compétition, il n’y a pas de sport.

Il faut faire une distinction entre quelqu’un qui fait un footing dans les bois, sans circuit établi et sans panoplie vestimentaire, et une autre personne qui s’habille de manière à favoriser la performance, qui s’entraîne pour améliorer son record sur le même circuit, qui cherche à se dépasser.
Ce désir de se dépasser, cette compétition contre soi-même traduit le passage phénoménologique d’un loisir à une activité sportive qui se rattache à des institutions non seulement sportives, mais aussi multinationales, que ce soit Décathlon ou Coca cola. C’est en cela que l’institution sportive est puissante et dominante aujourd’hui, car elle capte et phagocyte toute activité sportive. Il y a même eu, par dérision, des championnats de sexualité dans les années 1970-1980. On peut donc sportaliser toute forme de pratique, même sexuelle. Il suffirait de prendre un chronomètre, d’établir des paramètres, de créer une institution et une bureaucratie. Il faut bien comprendre que l’institution sportive est indissociable d’une bureaucratie.

Il est important de savoir qu’il n’existe pas de sport anarchiste, communiste, ou autre. Il peut exister des activités plus libertaires que d’autres, plus libératrices que d’autres, mais le sport est une chose très particulière qui a une histoire et qui ne rentre pas dans tout sous prétexte qu’on le désire. L’idéologie sportive fonctionne par ce type de mésinterprétation.
[…]

Christiane Passevant : Est-ce toujours la formule "du pain et des jeux" ? Et quels sont les liens de ces jeux organisés avec le fascisme ?

Fabien Ollier : Le football, la FIFA et ses multinationales créent du cerveau disponible pour toute forme d’abrutissement et tout le monde se tait. Il est évident que le cerveau d’un supporter en ébullition n’est pas franchement du domaine de la critique. C’est le cerveau reptilien qui se met en place, le cerveau de la revanche, de la vengeance, de la victoire à tout prix et le cerveau de la meute qui est parfois prête à tuer. Il ne faut pas oublier que des personnes se font tuer, tabasser aux abords des stades. […] Et nous sommes actuellement dans une médiatisation mondiale, marchande, mercantile qui dépasse largement la logique spectaculaire du "pain et des jeux".

Il faut savoir que Jules Rimet, inventeur de la coupe du monde en 1930, était un fervent admirateur de Mussolini. Pierre de Coubertin, inventeur des jeux olympiques en France, était admirateur du régime hitlérien et Borotra dans le gouvernement de Pétain. Il serait intéressant que les historiens intéressés par cette thématique travaillent sur le lien entre la fascisme français et le sport. Mais revenons à la première coupe du monde 1930) en Uraguay où il y a eu des violences sur et hors les terrains. Dans la revue, on peut retrouver toute l’historique des coupes du monde jusqu’à nos jours. Nous y avons rassemblé le maximum de documents critiques sur l’histoire des coupes du monde. Et en 1930, c’était déjà la guerre dans les stades. En 1934, c’était la récupération par l’Italie fasciste. Les gouvernements ont depuis bien réalisé que c’était un moyen formidable pour mobiliser les masses. En 1978, en Argentine, des millions de spectateurs applaudissent leur équipe nationale pendant que la dictature torture des milliers d’opposants au régime près des stades. Le gouvernement acquiert ainsi une honorabilité incroyable. Et les hurlements des torturés étaient couverts par ceux des supporters.

C’est toujours le même scénario, les matches sont prévisibles, les violences, les problèmes de dopage et de surentraînement, et enfin la récupération politique, idéologique, commerciale. Tout est lié et il est impossible de dissocier ces éléments.

Quel Sport ? n° 12 et13 - mai 2010

Introduction avec Cathy Louvoyé et Ingrid Quévot :
Le sport, stade suprême de l’enfer estivale. Les imposteurs de la
critique : méfions-nous des contrefaçons !

Jean-Marie Brohm : La violence de la compétition sportive.

La critique radicale du sport, expliquée aux pseudocritiques ou à ceux qui n’ont jamais été critiques.

Claude Javeau : Violence symbolique.

Histoire du mondiale : une longue infâmie politique

(Etudes, archives et documents).

Avec Jean-Marie Brohm, Michel Caillat, Fabrice Auger, Fabien Ollier, Henri Vaugrand, Marc Perelman, Robert Redeker, Christophe Dargère et Jérôme Ségal.

Foot, Tennis, Cyclisme : la bacchanale des dopés.

Avec Jean-Pierre Mondenard et Matthieu Douérin

http://quelsport.org/