Nous avons décidé de déplacer l’analyse de "Groja" qui nous est parvenue par le courrier des lecteurs - en ligne- pour la mettre dans ce numéro afin de lui donner la place qu’elle mérite et pouvoir aussi lui répondre.
Le CR de Divergences
Je trouve l’analyse de David GRAEBER très intéressante. Contrairement à d’autres analyses qui surinvestissent le champ religieux stricto-sensu, il a le mérite de ramener les éléments "civilisationnels" vers des fondamentaux politiques tels que le pouvoir et l’économie.
Je suis d’accord pour dire que le monde arabe est aujourd’hui acculé à être dominé politiquement, économiquement et culturellement dans un espace plus large dont il fait partie et que nous nommons "occident". ( Je ne sais pas si Graeber va jusque là, mais c’est mon point de vue).
Ce point de vue dynamique (parce que multifactoriel) nous permet de saisir des problèmes qui sont complètement obscurcis par des points de vue que je qualifierais de culturaliste/essentialiste. Catégorie dans laquelle je range l’analyse de Sommermeyer. Ce type d’analyse fait une part belle au facteur religieux (l’Islam) en laissant de côté les relations qu’entretient la religion avec le pouvoir politique et la société civile. De manière complètement paradoxale, le sort du monde arabe est complétement surdéterminé par le facteur religieux. A tel point qu’on attend encore de lui (le facteur religieux) qu’il se réforme pour prendre moins de place ( autrement dit on attend de lui qu’il libère l’espace public et devienne un pur acte de foi individuelle.
Encore une fois, l’analyse de Graeber nous donne des clefs pour comprendre de manière dynamique le drame du monde arabe. La totalité des pays arabes subissent une domination culturelle, politique et économique qui se manifestent au niveau de leurs "Etats" (Cette situation est aussi valable pour la quasi-totalité des pays africains, où par extension l’Islam se développe). Leurs Etats sont incapables de jouer le rôle d’espace politique et encore moins d’articuler les moyens et les besoins des populations. Malgré la décolonisation "officielle" des pays qui furent colonisés, les Etats et leurs dirigeants participent encore aujourd’hui à une impuissance publique "organisée". Leurs Etats sont faibles parce que tout le monde a intérêt à ce qu’il en soit ainsi. (Chef d’Etats, capitaines d’industries locaux, multinationales, etc.) Cette situation laisse au religieux un espace trés important de développement et de crédibilité. Ainsi dans de nombreuses régions du monde arabe et du monde arabo-berbère les populations peuvent vivre sans aucunement avoir besoin des institutions étatiques ( dans certaines régions, elles ont mêmes tendance à s’en méfier et à s’en écarter). Cette constante n’est pas fait pour réjouir des anarchistes en mal d’utopie "Islamique". Au contraire les populations paient chèrement le fait de ne pas avoir d’Etat à même de défendre leurs intérêts sur la scène internationale. Elles le paient chèrement, au sens strict du terme car elles doivent payer au prix fort des besoins élémentaires qu’elles ne produisent pas (santé, biens manufacturés etc.). Parce qu’elles restent perpétuellement dans un état de précarité généralisée : le moindre imprévus (baisse d’un cours, sécheresse/inondation etc.) a des répercussions directes pendant plusieurs années.
Les Occidentaux malade de l’Islam
Ainsi le monde arabo-musulman a plus mal à son Etat qu’à sa religion. Cette situation que nous connaissons depuis longtemps a été réinterprétée par les tenants de l’analyse culturaliste qui ont fait de l’Islam la raison de l’arriération technique et culturelle. Voire "civilisationnelle". Ce qui est encore une manière d’imputer à la victime son état (un peu comme les bourgeois imputaient aux pauvres leur pauvreté). Cette analyse complètement renversée de la situation a fait tellement de dégâts que tout le monde (du libéral au progressiste) veut donner des leçons d’Islam aux musulmans en les incitant à faire leur aggiornamento.
Derrière une façade religieuse se cache une véritable guerre politique déclarée par les élites occidentales (économiques et politiques) prêtes à nous construire des intégristes plus vrais que nature.
A bon entendeur salam