« Bon, pas de panique », se dit Jean-Marc, après avoir déchiré en tous petits morceaux, le petit mot que son ami Guillaume avait glissé le matin-même sous sa porte. Puis, comme le Petit Poucet, il prit un malin plaisir à les disperser (après tout ce n’était que du papier), tout au long du chemin qui le ramenait vers chez lui. « Et si jamais, les cyborgs se mettent en tête de le reconstituer, bon courage à eux ! D’autant que si j’ai bien compris, ils ne savent même plus lire nos messages écrits à la main » ... Jean-Marc décida de ne pas se presser et de prendre son temps, afin de ne pas céder à la première impulsion. « J’ai encore tout l’après-midi, toute la soirée et toute la nuit pour trouver un moyen de faire parvenir une réponse à Guillaume ». Tout en marchant, il se remémora ce que son ami avait sous-entendu dans son petit mot. « Je dois tout d’abord vérifier, si je suis toujours en possession du bouquin de Moses L. Finley. J’espère que je ne l’ai pas prêté à quelqu’un avant de le lire ». Sitôt dit, sitôt fait.

A peine rentré, il se mit à fouiller méthodiquement dans sa bibliothèque et dans les piles de livres qui attendaient ses recensions. Il finit par mettre la main dessus. Heureusement, il n’était pas trop volumineux. Il commença à le parcourir fébrilement. Il avait l’habitude de la lecture rapide. A première vue, rien de lui semblait capital ou susceptible d’intéresser les cyborgs. Peu importait : Guillaume serait content de savoir qu’il avait toujours le bouquin. Mais quoi faire ensuite ? Attendre un nouveau signe de son ami pour savoir s’il devait ou non, le recenser ? Il lui revint à l’esprit que ce dernier lui avait également demandé s’il était en possession d’autres ouvrages sur la période de l’âge de bronze. Ou, plus exactement comme Jean-Marc le pressentait, sur les siècles « dits obscurs » de la Grèce antique. Soit : de l’effondrement de la civilisation mycénienne, vers moins 1.200, à la période archaïque, vers moins 800 avant notre ère. Mais en quoi le bronze pouvait-il intéresser les cyborgs ? Allaient-ils se transformer en vulgaires récupérateurs de métaux non-ferreux, et pour quoi en faire ? Mystère.

Pour l’heure, tout ce qu’il retirait de sa lecture, c’est que Finley restait bien flou sur toute la période et encore plus circonspect, sur les Siècles obscurs. Mais, il est vrai que son ouvrage datait de 1953. Sans doute depuis, d’autres spécialistes de l’antiquité avaient-ils fait de nouvelles découvertes ? C’est d’ailleurs ce que son voisin de palier, (un Français historien spécialiste de l’antiquité, marié à une Grecque, auquel il se souvint d’ailleurs, avoir prêté le livre), lui avait confirmé avant le Grand renversement  : « Depuis Finley, la science avait bien progressé, grâce aux nouvelles technologies et notamment à l’ADN ». Son voisin lui avait également confié qu’il préparait justement, un ouvrage sur le sujet. Mais qu’était-il devenu depuis ?

Son appartement, comme tous ceux l’étage, s’était retrouvé vidé du jour au lendemain. Bon, l’heure qui avançait, inexorablement, n’était surtout pas à la nostalgie. Jean-Marc se concentra alors, sur sa mission du lendemain matin. Avant de trouver le moyen de faire parvenir son message à Guillaume, il lui fallait déjà l’écrire ! Il se décida pour le plus simple : un petit quart de feuille. Sur lequel il indiqua dans l’ordre que « oui, il était toujours en vie », puis il le rassura sur son état, « « tant physique que psychique ». Sans développer, il lui confirma aussi qu’il était toujours en possession du Finley, mais qu’il n’avait rien de plus récent qui puisse éventuellement l’intéresser. Pour plus de précautions, il replia encore le petit bout de papier manuscrit en quatre. Ne lui restait plus qu’à trouver « LE » moyen de le délivrer au « trans », avec lequel il avait rendez-vous le lendemain matin, à 8 heures.

Au lieu de paniquer, lui revint à l’esprit la première chose qu’on lui avait enseigné dans son école de journalisme : « Ne jamais se précipiter à retranscrire une interview ou un papier. Au contraire, laisser le tout reposer, au moins une nuit ». Cela devait être valable pour bien des choses ! Il décida donc de se coucher. Alors, il se remémora également de ses cours de danse moderne à Paris, chez le fameux chorégraphe Peter Goss : « Quand on était sous pression, il suffisait de respirer profondément et de mettre son sommeil en mode veille, un peu comme on le fait pour un ordinateur ». Excellent moyen pour laisser venir une idée d’ici le lendemain.

Il n’était que minuit. Il régla son réveil sur 6 heures. Se laissa aller au sommeil léger et… Bingo : à quatre heures du matin précises, l’étincelle jaillit. Il avait trouvé ! Il lui restait donc deux heures de vrai sommeil avant d’agir…