Le lendemain matin suivant le jour du « tremblement de terre », en voulant ouvrir sa porte pour récupérer la livraison de ses courses quotidiennes sur le palier, Jean-Marc aperçu, très intrigué, un morceau de papier qui avait été glissé sous sa porte. Décidemment, ces derniers jours, sa vie ne manquait pas d’imprévus ! Il prit l’air le plus dégagé possible (sait-on jamais !), rentra les sacs de victuailles et referma sa porte. Pourquoi et surtout comment, une lettre pliée en quatre (et de plus manuscrite, ce qui ne se faisait plus du tout), s’était-elle retrouvée-là ? En reconnaissant l’écriture de Guillaume, son pote qui avant le Grand renversement, travaillait à la librairie francophone d’Athènes, il eut un choc. Ce cher Guillaume ! Malgré sa surprise et son excitation, il décida de garder son calme. Pour plus de sécurité de ne la lire qu’une fois sorti dans la rue, dans un coin éloigné de chez lui. Parvenu sur d’un terrain vague, il déplia le précieux morceau de papier et en commença la lecture :
« Salut mon pote ! J’ai pris un énorme risque en te faisant parvenir ce petit mot. Je ne puis t’en dire plus. Je serai bref. J’ignore où tu en es, de l’autre côté du mur virtuel. Mais j’espère que tu te portes bien et que ces dingues-à-piles te foutent une paix relative. Je ne sais pas si tu te doutes de ce qu’ils attendent de toi en te faisant continuer à recenser tous les livres que tu reçois pour ta rubrique ? Tu as bien sûr remarqué qu’ils dataient tous d’avant 2036, puisque comme tu le sais, depuis, plus aucun livre n’a été imprimé. Ici, de l’autre côté du mur, nous avons la conviction que ce qui les intéressent plus particulièrement, ce sont les notes que tu tires des ouvrages que tu reçois concernant la Grèce et notamment, ceux relatifs à la période de l’âge de bronze.
Te souviens-tu que tu nous avais commandé à l’époque, l’ouvrage de l’historien Moses L. Finley, Les premiers temps de la Grèce ? Eh bien, figure-toi que nous sommes convaincus que c’est celui-là qu’ils ont hâte que tu recenses. Nous nous demandons ce qu’il peut bien contenir pour tant les intéresser ? Mais nous aimerions avant tout savoir si tu es toujours en possession de ce bouquin. Si tu l’as lu et si par hasard, tu en as reçu d’autres sur la même période ? C’est vital pour nous. Je dis bien Vital. Nous préparons quelque-chose. Je te répète que je ne peux pas t’en dire plus pour le moment. Tu te souviens de l’endroit où nous avions l’habitude, (au bon temps), de nous retrouver devant la « soi-disant », prison de Socrate ? Demain matin, un transhumain qui est de notre côté (heureusement, il y en a encore un petit nombre qui ne sont pas lobotomisés et ne leurs sont pas entièrement acquis !), sera de faction du côté nord du mur virtuel. Il terminera sa ronde et sera donc en principe, en face de la prison, à 8 heures précises. Débrouille-toi pour trouver un moyen, n’importe lequel, afin d’y être au même moment que lui. Et surtout de nous faire savoir si tu es toujours en possession de ce livre. Je me répète mais cela est d’une EXTREME importance. Je fais entière confiance à ton imagination pour trouver « le truc » adéquat. Surtout, méfie-toi du Mur virtuel. Nous l’avons testé et il est bel et bien mortel, pour nous mortels ! Nous comptons donc tous sur toi, « ma petit tafiole préférée » ! Bonne chance et Filakia . Guillaume ».
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A ces derniers mots, Jean-Marc sourit et eut un mal fou à ne pas céder à la nostalgie. Guillaume, ce beau mec brun aux yeux bleus ! Cent pour cent hétéro, il l’appelait souvent « ma petite fiotte » et autres noms d’oiseaux, accompagnés en général d’un petit sourire en coin. Aucun doute, ce mot était bien de lui. Sans parler du rendez-vous devant la prison. Lieu où ils avaient l’habitude de se retrouver pour ensuite se balader et parler littérature. Bien sûr qu’il s’en souvenait ! Et puis, quel coup de maître ce petit mot manuscrit.
Guillaume avait donc lui aussi remarqué que les cyborgs, ces « champions du stockage intégré de donnés », étaient devenus à la longue, de comiques et indécrottables illettrés. Incapables de déchiffrer par eux-mêmes, le moindre manuscrit et le moindre livre imprimé. Mais ce qui le perturbait c’était pourquoi voulaient-ils absolument savoir ce qui se trouvait dans le livre de l’illustre historien, Finley. Dans celui-ci précisément ? Personne avant lui ne l’avait donc jamais recensé ?
Était-ce possible ? Ce que Jean-Marc désirait avant tout, c’était de vérifier au plus vite s’il était toujours en sa possession, parmi tous ses autres livres en attente. Ensuite, il ne lui resterait que peu de temps pour trouver un moyen de transmettre un message à Guillaume, par l’intermédiaire de l’hilote. « Demain matin à 8 heures, pétantes ! », avait bien précisé Guillaume. Sacré Guillaume, il en avait de bonnes, lui !...