Divergences Revue libertaire en ligne
Slogan du site
Descriptif du site
Chapitre II
Article mis en ligne le 12 novembre 2023
dernière modification le 29 avril 2024

Dans le numéro d’octobre de Divergences, nous avions laissé Jean-Marc, le sexagénaire solitaire expatrié en Grèce, retraité n’ayant plus comme activité que celle de critique littéraire bénévole pour une revue anarchiste française. Ce dernier avait été la proie du « nouveau gouvernement » des cyborgs, ayant pris le pouvoir en 2036, lors de ce qu’ils avaient appelé le « grand renversement.

Lorsqu’il avait repris ses esprits, une seule et unique question obsédait Jean-Marc.

- Pourquoi m’ont-ils renvoyé chez moi ? Pourquoi me laissent-ils évoluer librement dans les rues de la partie sud de la capitale hellénique ? Pour me mettre à l’épreuve ? Pour me tester ?

Et quelles rues ! A présent, celles-ci étaient visiblement totalement dénudées d’humains, tout du moins dans cette partie sud de la ville. Jean-Marc avait eu tout loisir de constater que visiblement, la ville avait été scindée en deux parties.

- Mais pour quelles raisons ? Lorsque l’on avait érigé le Berliner Mauer le mur en plein Berlin, dans la nuit du 12 au 13 août 1961, encore celui-ci pouvait plus ou moins avoir un sens, puisqu’il resta durant presque durant trente ans et devint un des symboles physiques les plus marquant de la Guerre froide.

La chute du mur en novembre 1989 avait d’ailleurs eut d’énormes conséquences, comme Jean-Marc avait pu le lire dans le formidable roman de Lutz Seiler, Stern 111. Mais dans le cas présent, si Athènes elle aussi était divisée, elle l’était à présent : « virtuellement » ! C’est lors d’une de ses pérégrinations quotidiennes que Jean-Marc s’en était rendu compte. La ville avait visiblement été découpée suivant une diagonale allant du nord-ouest au sud-est. L’épicentre se situant, comme par hasard, entre la colline de l’Acropole et le Mont Philippapou lui faisant face !

Mont Philippapou

C’est dans un quartier plutôt déserté de la périphérie qu’il avait réussi à approcher le plus près du mur. Il en avait été immédiatement repoussé par des ondes néfastes et très désagréables.

- Et si subies à forte dose, ces ondes se révélaient être mortelles ? s’était-il dit. Il avait beau se torturer le cerveau dans tous les sens, il ne comprenait pas l’utilité d’une telle mesure.

- D’autant moins si, comme j’en présume, je suis le dernier humain survivant dans la partie sud ! ».

En revanche, dans la partie sud, les cyborgs circulaient à foison. Comme ils y étaient nombreux et curieux ! Ils semblaient tous bâtis tous à peu près sur le même format que ceux qui composaient l’assemblée du congrès à laquelle avait participé Jean-Marc. Et non seulement dans la rue on ne les « croisait pas », mais on était comme « obligé » de les éviter … Non qu’ils eussent une quelconque odeur ou autre aspect rebutant, c’était plutôt une espèce de « différence intrinsèque » qui interdisait qu’on s’en approche.

- Ils donnent l’impression de se déplacer sur des coussins d’air. Le regard toujours porté en avant, comme s’ils suivaient des rails qu’eux seuls pouvaient apercevoir. Age approximatif ? La trentaine. Aucune distinction de genre. Ni hommes ni femmes. Le rêve unisexe/intersexe, en quelque sorte que tant d’individus avaient désiré, durant les années antérieures au Grand renversement. Pas de vieux et encore moins de jeunes. Ni enfants, ni bébés. Si ça se trouve, ils n’ont plus ni sexualité, ni fonction reproductive dite « naturelle ». Ils me font penser à Gabriel, l’automate de Gaston Leroux dans La Poupée sanglante :

« L’effet de la respiration ne produisait chez lui aucun mouvement appréciable... Ni sa bouche, ni ses mains, ni aucun trait de son visage ne remuaient. Les vers de Baudelaire semblaient avoir été fait pour ce merveilleux échantillon de la beauté masculine :

Je hais le mouvement qui déplace les lignes ;
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris... »

Depuis ses dernières mésaventures aux Congrès, Jean-Marc s’était juré de ne considérer QUE le positif dans tout ce qui lui arrivait.
- Au moins, on ne voit plus aujourd’hui dans Athènes de vieilles yayas gâteuses s’extasier sur les pedia et leur parler comme s’ils étaient aussi débiles qu’elles ! On ne voit plus non plus non plus, les gens parler sur le même ton aux chiens-chiens promenés en laisse. Ils ont l’air d’avoir totalement disparu. Seuls les chats, ces éternels extraterrestres, sont inchangés. Fidèles à leur nature initiale, ils n’ont pas tardé à recommencer à se débrouiller tout seuls. Finies les petites attentions des riverains grecs …
Pour ce qui concernait les autres individus qu’il croisait, Jean-Marc avait constaté qu’ils ne ressemblaient déjà plus vraiment à des humains, mais pas encore à des transhumains …
- Ils doivent tous être en « transformation », ou peut-être lobotomisés ? D’ailleurs, eux non plus ne regardent plus personne. Sinon furtivement, comme fautivement. Et contrairement aux cyborgs, ce sont eux qui m’évitent ! D’ailleurs plus personne ici, ne s’adresse la parole. Comme si essayer de communiquer signifiait : danger ! Le silence règne partout. On ne voit plus ni voitures, ni trams, plus de bus. Plus aucun magasin d’ouvert, aucune taverne, ou tout autre lieu d’activité, ni salariée ni sociale. Une ville dévitalisée ! Plus de petits vieux le matin à siroter leurs cafés grecs dans les kaféneion en égrainant leurs komboloï. A quoi tout cela rime ?

Et si je suis effectivement le dernier prototype humain, pourquoi les cyborgs me conservent-ils ? Dans quel but ? Jusqu’à qu’à ce que je pète un plomb ? Que je devienne fou ? Que je me suicide ? Eh bien, c’est non ! NON, peut-être le seul et dernier mot qui ait une quelconque consonnance humaine !
*


Dans la même rubrique

Chapitre VII
le 29 avril 2024
Chapitre VI
le 27 mars 2024
Chapitre V
le 25 février 2024
Chapitre IV
le 30 janvier 2024
Chapitre III
le 11 décembre 2023
Premier épisode
le 13 octobre 2023