Hier, 1er mai, dans la matinée, j’ai reçu la visite inattendue d’un homme
que je ne connaissais pas. Il m’a dit s’appeler "Tacho Canastal" et s’est
présenté comme l’envoyé d’Ulises Ruiz Ortiz et de Sergio Segreste Ríos,
censés l’avoir chargé de s’entretenir avec moi, lors d’une prétendue
réunion tenue la veille. Leur message était on ne peut plus clair :
j’étais prié d’accepter que quelqu’un de ma famille négocie ma liberté
avec le gouvernement. Les menaces aussi : on savait qu’un membre de ma
famille était mêlé à ce que le personnage décrivait comme "ce bordel" et
on me demandait de faire en sorte qu’il abandonne, en m’avertissant que si
je refusais le dialogue je serais transféré au pénitencier d’Altiplano ou
à celui d’Almoloya et que "le gouvernement possédait tous les arguments
nécessaires pour me briser" (je cite ces dernières paroles textuellement).
Je n’ignore pas que le pragmatisme en politique recommanderait de
négocier, de garder secrète cette visite et de tenter d’obtenir (en
conservant au mieux la dignité) ma liberté et d’éviter ainsi qu’on me
brise. Mais je ne suis pas un politicien et j’avoue ne par voir une grande
différence entre pragmatisme politique, négociation et trahison.
Je voudrais faire savoir à tous ceux et à toutes celles qui pourront
recevoir ce message que si l’une des choses que je mentionne plus haut
m’arrivait, les responsables ont un nom et un prénom. Je veux aussi dire
au peuple digne et combatif d’Oaxaca que je suis pleinement confiant dans
le fait que sa lutte et sa mobilisation parviendront à obtenir ma
libération, et celle de tous les prisonniers et de toutes les prisonnières
politiques de l’Oaxaca.
Aujourd’hui, le gouvernement m’a fait savoir qu’il y a pire que d’être
enfermé en prison, c’est d’avoir aussi sa famille menacée.
Le gouvernement n’en a pas eu assez en me jetant en prison, il voudrait
maintenant que je lui serve de pompier pour étouffer la révolte du peuple.
Je me doute que beaucoup auraient accepté pour pouvoir recouvrer la
liberté. Ce sont les mêmes que ceux, quand le peuple crie "Rébellion !",
qui crient "Négociation !"
Je tiens bon grâce à la conviction qu’ont mes frères et sœurs du peuple
d’Oaxaca d’obtenir ma libération et celle de tous les prisonniers et de
toutes les prisonnières politiques de l’Oaxaca. Si ce n’était pas le cas,
et si le peuple baissait la tête et cessait de lutter, même dans cette
éventualité bien improbable, je n’en refuserais pas moins de dialoguer ou
de négocier ma liberté. Ricardo Flores Magon, alors qu’il était prisonnier
et abandonné par une partie des syndicats et du peuple, avait déclaré
qu’un tel abandon ne l’autorisait ni à s’exiler ni à trahir ses idéaux.
Je me dis qu’il vaut mieux être prisonnier politique que domestiqué et
prisonnier au service du gouvernement. Je ne pourrais plus regarder en
face votre visage honnête et droit, vous mes frères et sœurs qui luttez,
au dehors, pour un monde meilleur.
David Venegas Reyes "Alebrije".