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Christiane Passevant
Hakanion Le Chantier / The Mall. Documentaire de Yonathan Ben Efrat
Cinéma du réel (2007)
Article mis en ligne le 14 mai 2007
dernière modification le 23 novembre 2008

Le 29e festival du cinéma du réel a présenté au centre Pompidou, en mars dernier, un documentaire remarquable sur les conditions de vie de travailleurs illégaux palestiniens. Ce court documentaire, réalisé par Yonathan Ben Efrat, est une enquête sur le terrain de la situation de personnes travaillant à Tel-Aviv, sans permis, et dans l’impossibilité de regagner leur domicile en Cisjordanie à la fin de la journée. Ils vivent ainsi toute la semaine dans un chantier abandonné, à proximité d’un échangeur périphérique.

Avant 1993, plus de 100 000 Palestiniens des territoires occupés venaient en Israël pour travailler et gagner leur vie. Depuis les accords d’Oslo, Israël a imposé une politique de fermeture des territoires palestiniens, obligeant les travailleurs palestiniens à être des clandestins et à entrer illégalement en Israël. Le mur de séparation a encore augmenté les difficultés économiques dans les territoires occupés et de nombreux Palestiniens n’ont pas d’autre choix que de venir travailler en Israël.

Ce documentaire a été filmé dans un chantier de supermarché, près de Tel-Aviv.

Sous une autoroute, près de dépôts d’ordure, un trou dans le sol en guise d’entrée. C’est un chantier abandonné, sans eau ni électricité ni aucune aération, où se réfugient plusieurs centaines de Palestiniens clandestins... Les rafles de police et les expulsions ne les empêchent pas de revenir. D’ailleurs ont-ils le choix ?

Dans cet univers de béton et de boue, ils tentent de conserver une dignité. « Quand je suis arrivé ici la première fois, c’était l’enfer. Je ne pouvais pas dormir. L’odeur était insupportable et les moustiques pullulaient. C’était un cauchemar. Au bout d’une semaine, je me suis habitué et j’ai pu dormir. »

Deuxième sous-sol, du béton, de l’eau croupie, des tiges de fer qui sortent des sols en béton armé. « Quand je grimpe à l’air libre, le matin, j’ai l’impression de sortir de la tombe. Je ne peux pas respirer ici. Mais que puis-je faire ? Il faut bien vivre. »

Sur le bord de la route, les travailleurs attendent d’éventuelles embauches, souvent un travail de journalier dans la construction. Les camionnettes s’arrêtent, on négocie et c’est l’embauche. La police s’arrête aussi et le flic prévient : « si je te trouve ici ce soir, je prends le téléphone et toi avec.  »

Retour à l’autoroute. « Jusqu’à il y a quatre ans, nous pouvions venir en Israël et rentrer chez nous le soir. Depuis qu’ils construisent le mur de séparation, ce n’est plus possible. Pour un travailleur sans permis, il est impossible de rentrer le soir à son domicile. »
Le soir, les sous-sols sont inondés. « Quand je quitte la maison, je suis comme un soldat qui part au combat. Il n’y a pas de retour possible, impossible de rebrousser chemin et de revenir désespéré. »

Les hommes nettoient, cherchent un matelas en mousse, une paillasse, s’aménagent un coin de fortune dans le noir et l’air confiné. « À la lumière du jour, on peut voir devant soi, ici absolument rien ! Ici, c’est bloqué. Il n’y a rien à faire, seulement penser, c’est l’obscurité.  »
Une passerelle improvisée entre des carcasses de béton pour atteindre une sorte de petite pièce. Un poster de Julianne Moore au mur. Deux hommes se saluent. Le plus âgé, Abu Naji, raconte : « Nous avons quitté la maison avant midi, nous faufilant par les villages : Hawara, Akraba, Za’atra et Beita. La route est longue. » Un portable sonne, il répond : « Allo. Oui Sima... Je suis bien arrivé... demain, à 8 heures, je serai chez vous... Je suis à Pardes-Katz... Oui, ne craignez rien, j’ai un permis de travail... Je suis jordanien, vous savez bien. Allez, bonne nuit.  » Abu Naji a répondu à une femme, une Israélienne qui l’emploie, et a menti, bien sûr. Son compagnon, Jalal, ironise « vous avez entendu ? Il a dit qu’il dort à Pardes-Katz ! Il ne lui a pas dit : je dors sur un chantier avec quatre cent cinquante autres travailleurs.  » Abu Naji explique : « Ils ne savent rien. Nous sommes obligés de mentir pour survivre. Si les patrons me demandent si j’ai un permis de travail et que je dis la vérité, c’est-à-dire que je n’en ai pas, je ne travaille pas. »

Le matin. Le réveil et le départ. Un garçon de 16 ans témoigne devant la caméra : « Je ne peux pas rentrer chez moi sans trouver du travail. Même s’ils m’expulsent cent fois, je reviendrai. Jamais je n’ai imaginé vivre dans un endroit pareil. À mon âge, je devrais être à l’école. Mais je dois venir ici et trouver du travail, sinon il y a des problèmes à la maison. »

Abu Naji : « Je vais vous avouer quelque chose, j’arrive ici le samedi soir et je reste jusqu’au jeudi soir. Quand je suis chez moi, le vendredi, cet endroit me manque. C’est presque plus qu’un foyer pour moi. C’est le moyen d’existence de toute ma famille. » Jalal ébauche un sourire, dubitatif.

Un peu plus loin, un jeune homme remarque : « Je regarde les travailleurs ici et quand je vois un homme de 50 ans poser son assiette sur le sol pour manger, cela me fait mal et j’ai pitié. Je me demande si cela sera pareil pour moi à 50 ans. Est-ce que je serai dans la même situation, obligé de venir chercher du travail ici ? La vie sera-t-elle la même : venir pour une journée de travail, manger et vivre dans les ordures ? Quand je vois des travailleurs âgés, je suis totalement bouleversé. »

Retour dans la pièce improvisée avec le poster. Jalal déclare : « Tout aura une fin. Cet endroit ne nous appartient pas. Ce n’est pas notre pays. » Abu Naji reprend : « Si la situation politique reste au même point, ce sera la même chose, ici ou ailleurs. Cela recommencera de la même manière. » Jalal affirme : « Laissez-moi vous dire que jamais je ne laisserai mes enfants venir ici et vivre la même chose que moi. Je vendrai plutôt mon sang, mes organes pour qu’ils n’aient pas à vivre cette situation. » Abu Naji : « J’en doute. Ton père dort ici, non ? Un père, c’est ce qu’il y a de plus important pour moi. Personne ne remplace un père. » Jalal rétorque : « Demande à mon père ce qu’il pense du fait que son fils dort ici, en bas. S’il le pouvait, il resterait en me renvoyant à la maison. Je ne dors pas avec lui, en haut, parce que je ne supporte pas de le voir dormir sur un carton. Je dors ici, en bas, et mon père est en haut. Je ne peux pas rester près de lui. »

Beaucoup dorment à l’extérieur, à même le sol, sur des cartons. Un homme répond au téléphone, se voulant rassurant : « Je dors à mon travail ma chérie.  » Un autre mensonge... Mais que dire de cette réalité ? Que dire de l’endroit insalubre et dangereux où ils se réfugient à la nuit tombée ? La maison, la famille est proche en termes de distance, mais il y a tous les contrôles de police, les check points, les blocages, le mur, l’occupation... Une sirène de police retentit et les regards se font anxieux.
Ce film est dédié aux travailleurs du chantier qui luttent pour leur droit de vivre.
Christiane Passevant

Hakanion de Yonathan Ben Efrat, 12 mn 55, Israël, production Video 48.
WHO Office (World Health Organization). Production : Nir Nader assisté de Mahfouz Abu Turk. Repérages : Yonathan et Asma Agbarieh. Son : Yisrael David. Montage : Sari Ezuz et Sharon Horodi.