Des maisons closes de la grécitude, puis de la misère en milieu intellectuel fermé.
PHILOSOPHIE
L’enseignement de la philosophie(φ) débute toujours par « qu’est-ce que la philosophie ? ». Immédiatement, le pensum commence par l’histoire de la notion avec un « référent » obligé à nos penseurs grecs. Comme si le barbare, le métèque ne pensaient pas [0]. Il semble que la lumière méditerranéenne (versant nord) implique une irradiation solaire, un coup de soleil fatal aux synapses égéennes. L’huile d’olive n’était pas une ambre solaire efficace. Notons au passage que l’autre versant de la même mer, celui du monothéisme, (berceau, paraît-il de notre civilisation) ignore cette notion et opte pour un transcendantalisme monothéiste.
Évitons le piège tendu par la tradition scolaire et entrons dans le vif du sujet :
– D’abord, la géolocalisation [1] revêt une importance fondamentale : le versant nord du fond de la Méditerranée. Lieu de vie d’une population dispersée, les temples témoignent d’une activité religieuse doublée d’une ambition de pensée rationnelle. La diversité de ce que l’on nomme les « Présocratiques » montrent la complexité et l’ampleur d’un phénomène nouveau que l’on affubla à partir de Platon (438 347 av. J.–C.) du nom de PHILOSOPHIE.[2]
– La prétention à la pensée s’inscrit dans une mode de production particulier : l’esclavagisme et la misogynie, donc genrée versus mâlistique [3]. La Sophia (sagesse) concerne uniquement des individus « hors-sol », mais propriétaires terriens. Dès le départ, il y a un ver dans le fruit. La sagesse est une pratique de soi et sur soi, mais qui ne concerne en rien les métèques et la plèbe. [4]
– La mort de Socrate, condamné à boire la cigüe, signe l’impossibilité de vivre selon la prétention première de cette Sagesse tant prisée. Ses juges considèrent la philosophie comme corruptrice de la jeunesse. Discours que l’on entend encore dans certains milieux religieux ou politiques. La philosophie est déjà perçue par certains contemporains comme un mysticisme luttant contre la jouissance et le besoin (pulsion de vie). [5]
– Les premiers philosophes s’attirèrent les ires et les rires des béotiens. Il suffit de lire les Nuées d’Aristophane (≈ - 450-445 – ≈ -385) pour constater le mépris populaire pour les prétentieux spéculateurs. Aristophane parle de « Pensoir » où les doctes barbus s’énivraient de bonnes paroles, de picrate (vin-dieu) et de caresses homophiles. Déjà le ridicule ne tuait pas : « Ces gens-là, si tu leur donnes de l’argent, ils t’apprennent à avoir le dessus quand tu parles, que ça soit juste ou faux » précise Tourneboule à l’entrant dans le haut-lieu de la bien-pensence. [1]
Les fondamentaux de la grécitude*.
– Le Chaos* (Ch) représente la grande peur des penseurs grecs, l’indéterminé sans ordre d’une puissance incontrôlable. C’est le règne de l’informel, obscur, vide, antérieur au temps. Toutefois, il est indispensable et indissociable à la normalisation future. Hésiode (≈ fin du VIIIème siècle av. J.-C. ≈ début du VIIème siècle av ; J.-C.) parle d’Abîme. Sa composition relève de spéculations permanentes. Platon précise que « cela n’était point en repos, mais remuait sans concert et sans ordre » (Timée 30a). Nous sommes dans le même registre que le Tohu-bohu* biblique. Situation intenable aux yeux d’un peuple sédentarisé, dominateur et prétentieux. Les ethnies sauvages avec leur croyances surnaturelles et leurs rites chamaniques représentent le comble de l’abêtissement. Cette notion de Ch hante toute l’histoire de la pensée occidentale. On peut dire que le Ch est une représentation* [5bis] nécessaire et indispensable à toute pensée digne de ce nom. Il est une projection d’une peur atavique. Nier l’existence du Chaos revient à une autocastration philosophique : le retour à l’animalité [6]. Sans Chaos, pas de source vitale brute. Très vite, les philosophes grecs dans leur « pensoir » s’acharnèrent à comprendre, puis à mettre en ordre ce que le Démiurge mettait à disposition. Le cosmos est le lieu du Ch. La cosmogonie est cette représentation anthropocentrée du Ch. La multiplicité des cosmogonies est une voie d’accès fondamentale à la compréhension d’une société, d’une civilisation (Cf. la Création*). Par nécessité, ce Ch est auto-producteur, auto-créateur et poly-centrique, de quoi révulser et effrayer le pékin grec. Il se confond souvent comme état l’état de nature primaire et primordial. A lire les cosmogonies, on découvre la richesse d’imagination des peuples et leur pensée originaire.
– La sophia, la sagesse s’atteint par l’éducation, l’ascèse de l’étude des sciences disponibles. Elle est l’aboutissement et le chemin à la fois. Raisonnement élitiste propre à tous les filousophes*.
– Le Logos* (Log) : l’arme absolue des néo-sorciers sédentarisés. Le terme dérive de légein (rassembler, cueillir, choisir, compter, dire). D’origine, il possède un triple sens :
- – 1) Recueillir des données brutes.
- – 2) Opérer une quantification avec des instruments de mesure ou des idées conceptualisantes.
- – 3) Transmettre par le langage d’abord oral, puis par l’écriture.
Dès les présocratiques, le Log devient le pilier central de la pensée grecque. Héraclite y voit à la fois la pensée humaine et le principe induit du devenir cosmique ce qui fonde la communauté humaine. Chez Parménide le Log s’oppose au sens et devient le centre de l’argumentation. On constate que le flou du Log entre l’acte de dire et la chose dite est à l’origine sophistique de la pensée occidentale : les filous du signifiant et du signifié en firent leurs choux gras. Platon y ajoute la notion de dialogue ce qui permet de distinguer Log et Mythe*. Chaque penseur incorpore le Log dans sa batterie de cuisine, apportant, ainsi au terme une puissance sémantique tout terrain, bref le VTT des penseurs des montagnes grecques.
D’où le trigramme : Désordre ⇔ Ordre⇔ Organisation.
L’arme du Log permet à la machine à penser de se pencher sur toutes les questions posées par la nature : l’univers, les astres, les choses, la vie. C’est un missile à longue portée, certes, mais ne pouvant cibler que des éléments matériels avec le soutien efficace de la géométrie et du calcul (Thalès 625-620 av. J.-C. – 548-545 av. J.-C ; Euclide – 4ème siècle avant J.-C. ; Pythagore 580 av. J.-C. 495 av. J.-C.). La diversification des connaissances prend ici ses racines originelles : Aristote étant le prototype du philosophe complet, la philosophie devient la science de toutes les sciences liées au monde physique. La prolifération et la spécialisation à outrance est un processus de longue date. Toutefois, les doctes filous comprennent très vite qu’ils doivent sortir du carcan du réel pour étudier l’immatériel : l’infini, le vide, le néant , le Démiurge, l’âme, le Beau, le Bien…bref tout de qui est au-delà de physique avec un net penchant pour un dualisme quasi systématique [2] La métaphysique* devient l’arme à longue portée de la philosophie
En terme académique, l’étude de la philosophie se réduit souvent à se goinfrer d’histoire de la discipline. Démarche, certes, concevable, mais l’érudition sert de cache-sexe à la stérilité de la pensée et de salariat aux penseurs patentés. Hegel pensait que l’histoire de la philosophie racontait l’éternel à travers la succession des époques historiques avec une coupure entre chaque période. A ce propos, notons au passage l’importance du Marcionisme* dans la l’histoire de la pensée occidentale, sujet que nous traiterons en profondeur, car fantasme il est un fantasme récurent de la pensée occidentale.
– Tyrannie du Logos*. Impossible de clore ce bref aperçu du concept clé de Log, sans signaler l’emprise incalculable de celui-ci sur notre formatage intellectuel et génétique. Nous y consacrerons une notice approfondie. Notons juste que le Log annonce l’avènement d’un sens à l’histoire, une division du travail intellectuel poussé à l’extrême, le langage comme mode privilégié de communication au détriment de tous les autres sens. Détourner de son sens premier, il sert à la collusion entre la rhétorique et le pouvoir en justifiant son caractère absolu (tyrannie). Nietzsche, un helléniste remarquable, perçut la phase terminale qui débutait sous ses yeux, il parle de l’état comme d’un « monstre froid », relire Ainsi parlait Zarathoustra. Le Log devenu l’arme parfaite de domination sert à cacher le trou, la béance du trou noir d’un Chaos fantasmé, il devient la valeur* et le fétichisme* de notre pathos collectif. Il est un tyran-fiction . [3]
– L’Être* (Êt). La grande tragédie grecque fut la pseudo-découverte (?) et l’introduction du concept d’Être dans le corpus philosophique occidentale. La filouterie prend ici une dimension proprement cosmique. L’Êt est une coproduction native de la philosophie laissant la sagesse dans son ombre portée. Pas question de développer, en détails, cette notion virale, mais juste d’esquisser les origines d’un des gènes maudits de notre culture.
En grec, einai provient de la racine es : « ce qui est authentique, subsistant par soi », une autre racine d’origine indo-européenne a le sens de croître, apparaître à la lumière. En latin ex + sistere, la formule verbale manifeste le fait d’être en rapport avec une chose efficience ou finale. Le sac de nœuds est d’abord étymologique, l’imagination et l’angoisse des penseurs en firent très tôt un enjeu capital.
Parménide (fin du VIᵉ siècle av. J.-C. et mort au milieu du Vᵉ siècle av. J.-C) ouvre le feu, deux voies possibles : dire « comment il est et qu’il n’est pas possible qu’il ne soit pas – est le chemin auquel se fier – car il dit la Vérité* –. La seconde, à savoir qu’il n’est pas et que le non-être est nécessaire…On ne peut ni connaître ce qui n’est pas – il n’y a pas là d’issue possible–, ni l’énoncer en une parole » (fragment II, trad de Jean Beaufret) Les traductions varient, l’énigme du sens permet toutes les divagations. Le fragment III : « Le même, lui, est à la fois penser et être ». [4]
Seul ce qui est énonce la Vérité*. La double appartenance à l’être et au non-être est impossible donc un mensonge et une erreur logique. Parménide fonde la pensée occidentale par un dualisme fondamental et ridicule pour des penseurs indiens, chinois, bouddhistes ou animistes. De plus, la grécitude* ( Gtd ) précise que « penser et être » sont la même chose . La Gtd est donc la somme de toutes les filouteries sophistiquées issues des penseurs grecs. Nous verrons dans la notice Être* la longue et triste histoire de ce concept jusqu’aux délires narcissiques d’Heidegger rêvant de faire mieux que les Maîtres. (Cf la notice Heideggeriade*)
Conclusion provisoire.
Rejeter la philosophie en raison de sa difficulté de lecture et de son amphigouri lexical serait une erreur, car la φ gît dans notre ADN. Le « Connais-toi toi-même » socratique reste valide. De plus, la connaissance de l’ennemi est la meilleure façon d’identifier les pièges tendus par les tenants de la pensée unique donc vraie, même au sein de la confrérie des libertaires. Rien de pire que les faux-amis.
[0] Bien évidemment, les brutes animalesques vivaient selon leurs instincts (bas). La prétention grecque mérite qu’on lui rabaisse le caquet. Nous traiterons de ce sujet dans la rubrique « Pensée sauvage * » (Peg). Lévy-Bruhl, Lévi-Strauss, Clastres, Descola, Leroi-Gourhan… seront nos guides.
[1] Le GPS trace la route vers ces contrées ensoleillées, esclavagistes, misogynes, bagarreuses et pinailleuses. Cette situation géographique deviendra au fil des siècles le lieu d’incubation de la pensée occidentale avec ses tares et sa volonté hégémonique.
[2] Les sauvages des confins « ne pensaient donc pas », leur cerveau et leur mode vie (pas question de parler de culture) n’étaient pas à la hauteur des Égéens prétentiards. Cf. [0]
[3] Premier soupçon envers une démarche, dès le début, élitiste et aux mains pures (propres ?). La sueur laborieuse n’a rien à voir avec l’activité cérébrale libre, ici, le paradis est la résidence des élus, l’enfer de la sueur, celui des métèques et du gynécée.
[4] L’ADN de la philosophie est là. Comme on le verra, cette spirale génique sévira à toutes les époques. Les penseurs libres sont rares : Spinoza, Nietzsche, Günther Anders… La sagesse est la première prétention humaine à géométrie variable. Euclide et Thalès ne purent résoudre cette quadrature à n dimensions infernale.
[5] L’angélisme représente la tendance profonde des penseurs « planant » dans les turpitudes inutiles de la pensée. « In vino véritas », le crédo de l’hédoniste grec admirateur des éphèbes et des vertus guerrières. On reconnaît l’influence de cultes : Dionysos, Orphée. L’orphisme comporte des éléments de pensée qui imprègneront durablement la pensée occidentale : immortalité de l’âme donc une inférence à une divinité, une certaine forme de révélation, la cessation des réincarnations : le vrai Salut, une hygiène de vie rigoureuse (végétarisme), absence de sacrifice, l’Incarnation est une mort qui marque le commencement de la vie bienheureuse. « La souillure est supra-humaine » (QSJ ? N° 3018 L’Orphisme) donc l’homme n’a pas la qualité de pécheur originel (Ouf !!!). L’orphisme glorifie la musique contre les anathèmes de Platon et consorts. La mémoire est synonyme de vie, l’oubli de mort. « Orphée est un homme issu de parents immortels (pas forcément des dieux) donc l’âme est d’origine immortelle. L’orphisme comporte une cosmogonie intéressante : la naissance du monde (de ce côté de la Méditerranée on ne dit pas Création) précède l’instauration des dimensions spatiales et temporelles (p.33). Les entités (choses, corps) ne sont pas encore physiques. « Seule une nomination permet de les connaître comme « événements ». « Les noms propres procèdent le monde commun ». Ces quelques énumérations mettent déjà en avant les grandes lignes de la pensée torahïque et monothéiste de l’autre rive de la Mare nostrum. Leur rencontre sera explosive, un séisme qui ébranlera le monde. Ces quelques lignes démontrent que la connaissance des notions fondamentales de notre pathos est le remède et les pansements nécessaires à notre lucidité de pensée…
[5bis] Le concept de représentation* (Darstellung en Allemand) est un des piliers de la pensée occidentale. En l’absence de connaissance précise la représentation comme image et projection mentale sert d’argument, en cela elle ressemble à la métaphore comme démonstration. Nous consacrerons une notice spécifique à ce terme galvaudé chez nos filousophes contemporains.
[6] Au contraire, Nietzsche y verra l’Être* en tant que possibilité et dynamisme. Plus près de nous « il fallait chanter pour empêcher le ciel de nous tomber sur la tête ». Donc le Chaos est un stock de matières premières immatériels qu’il faut dompter et ordonner par des méthodes efficaces et langagières.
Bibliographie
- Le QSJ ? La philosophie, n° 3728, André Comte-Sponville est une excellente première lecture.