
L’idée d’un service national universel (SNU) flotte dans l’air depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Pour l’instant, si les avis chez les jeunes ne sont pas figés, ils sont clairement réticents, même s’il est bien loin le temps de l’antimilitarisme radical que les plus anciens d’entre nous ont connu dans des années 1960 à 2000. J’en parle en connaissance de cause, en tant qu’ancien signataire de l’Appel des Cent, gréviste de la faim, ayant tout fait durant mon service militaire pour éviter cette corvée nauséabonde aux futurs générations. Et à force de lutter, les objecteurs de conscience, les insoumis et plus simplement, tous les antimilitaristes, y sommes finalement parvenus après vingt ans de lutte, puisque le service national a été supprimé en 2002. Mais voilà que l’idée du service pour les jeunes civils (malgré les fortes réticences à priori des militaires de carrière) refait surface en 2020, tel le beau phénix (ou dans ce cas, plutôt l’affreux phénix cocardier) qui, "s’il meurt un soir au matin, voit sa renaissance"...
Comment rendre le service obligatoire, "facultatif" ? Ah, ah !...
Au fil de la présidence de Macron, l’idée du SNU a finalement réussi à se faufiler, mais le nouveau casse-tête de l’état est aujourd’hui de trouver comment imposer à la jeunesse un Service national universel (SNU), mais... sans contrarier cette dernière, dans la mesure où Macron veut le rendre obligatoire ? C’est toute la difficulté, les jeunes concernés étant pour l’heure, sinon convaincus d’idées antimilitaristes, voire antinationalistes radicales, tout sont au moins réticents à l’idée de toute contrainte. Aussi Macron a refilé la patate chaude à un militaire, le général Daniel Ménaouine, qui propose une consultation de la jeunesse (validée par Macron). Selon la très bonne synthèse du projet en l’état, faite par un journaliste du Monde, l’idée serait de consulter des organismes de jeunesse (syndicats étudiants, associations, Jeunesse ouvrière chrétienne, etc.). La première étape ayant été de gommer quelques lignes du programme du candidat Macron, qui promettait la création d’un « service militaire obligatoire et universel d’un mois ». Un an plus tard, s’il est hors de question de remettre la jeunesse au garde-à-vous, les auteurs du rapport mettent en garde contre l’un des plus importants écueils sur lequel pourrait s’échouer le projet : la contrainte. « Le service national universel ne doit pas être conçu, ou regardé, comme le projet d’adultes, raisonnables et vieillissants, imposant à une jeunesse turbulente une période durant laquelle on lui enseignerait l’autorité et les vraies valeurs. » Néanmoins, « obligatoire », le SNU le serait selon les propositions du rapport, mais sur une courte période : deux fois quinze jours, entre 15 et 18 ans (un premier temps de « cohésion » de quinze jours, en hébergement, centrés sur les valeurs, puis un second d’une même durée autour d’un projet d’engagement collectif). Ensuite, une deuxième « phase » d’engagement de trois à six mois serait envisagée, uniquement sur la base du volontariat, avant 25 ans, alors que les premiers objectifs affichés du SNU sont de « favoriser un brassage social et territorial » et d’engager chaque jeune au service de la collectivité...
Mais les jeunes sont loin d’être de naïves bécasses...
Les lycéens, étudiants, associations de jeunesse et acteurs du service civique rejettent dores et déjà en bloc, le principe même d’un engagement contraint. « La mixité, la cohésion, l’engagement ne se décrètent pas », a rappelé, dans une lettre ouverte publiée en avril, le Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire. Quelques mois plus tôt, le Conseil d’orientation des politiques jeunesse (rattaché au premier ministre) s’était également prononcé, dans un avis du 30 janvier, pour un service sur la base du volontariat. Selon les préconisations du rapport, la période de « cohésion » aurait logiquement lieu pendant les vacances pour ne pas bousculer le temps scolaire. Ce qui a fait réagir vivement Davy Beauvois, lycéen et secrétaire national de la Fédération des maisons des lycéens, pour lequel, une prolongation estivale de l’enseignement moral et civique reçu en cours au collège et au lycée est bien suffisante : « Il n’y a pas de nécessité à nous rabâcher les valeurs de la République. Nous contraindre, c’est nous couper l’envie de les entendre ». Sur les campus, à présent, la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE, majoritaire) et l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) s’y opposent vivement eux aussi. Ils dénoncent un mauvais choix du gouvernement. « Un service obligatoire sera subi par la jeunesse et voué à l’échec. Si l’engagement est contraint, les jeunes feront tout pour s’y soustraire », selon Jimmy Losfeld, président de la FAGE. Pour Lilâ Le Bas, présidente de l’UNEF « Cela fait partie de la politique infantilisante et paternaliste d’Emmanuel Macron, qui veut imposer aux jeunes leur orientation par sa réforme de l’université et maintenant un service obligatoire. Nous nous y opposons et nous appellerons les jeunes à se mobiliser contre ». A présent, pour ce qui concerne les acteurs du monde associatif, s’ils reconnaissent "la justesse des objectifs visés par le gouvernement", ils s’inquiètent en revanche de la méthode avancée pour y parvenir. Selon Hubert Pénicaud, vice-président de France Bénévolat, association engagée pour le développement du bénévolat associatif « L’engagement se fait sur la base du volontariat par essence. Il doit être choisi, un service sous la contrainte ôterait toute valeur au geste." « Le risque est que cela casse même la notion d’engagement. Les jeunes ont le sentiment d’une mesure punitive, c’est d’autant plus injuste qu’ils sont nombreux de cette génération à être engagés, dans une société qui ne leur propose pas beaucoup d’avenir. »
Et quid des nouveaux insoumis ?
Tout cela est bien joli, mais attention, car un train de bonnes intentions (les missions d’intérêt général) peut en cacher un autre beaucoup plus pernicieux... Pour preuve, Romain Perez, qui a rendu un rapport sur le service national pour tous, ne s’y est pas trompé, puisqu’il affirmait tout de go, en 2017 : "Mettre l’accent sur les missions d’intérêt général, c’est une manière habile de restaurer la notion d’obligation à un service national. La jeunesse aura du mal à retourner à un service militaire, mais participer à des actions de solidarité nationale ouvre la possibilité de dépasser la réticence de la jeunesse à s’obliger. » Ah, oui et dans le cas contraire, quelles sont les sanctions prévues pour les réfractaires ? En l’état, le refus serait sanctionné par « l’impossibilité de passer le code, le baccalauréat ou un autre diplôme, l’exclusion des concours administratifs… », suggèrent les auteurs du rapport. Ok, alors si on a bien compris et si l’on sait bien lire entre les mots : le SNU serait donc facultatif, mais... obligatoire, sous peine de sanctions ?... J’espère bien que la nouvelle génération aura la clairvoyance de voir qu’une fois de plus, l’état se fout de notre gueule et j’ai hâte de réentendre les slogans antimilitaristes et antinationalistes radicaux, du genre : "A bas l’armée et toute autorité" et autres "Merde à l’armée" ! Et j’en serai cette fois encore...
Patrick Schindler, militant anarchiste antimilitariste et ancien signataire de l’Appel des Cent en 1974, auteur de Contingent rebelle, aux éditions de l’Échappée.