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Tony Gamal Gabriel
Le harcèlement sexuel, la onzième plaie d’Égypte
Article mis en ligne le 23 mars 2012
dernière modification le 18 mars 2012

Commentaires désobligeants, attouchements, exhibitionnisme... En Égypte, le harcèlement sexuel dont sont victimes les femmes est depuis longtemps monnaie courante. La révolution n’y a rien changé.

« Un homme à moto s’est approché et m’a agrippée par-derrière. Je lui ai hurlé dessus alors qu’il s’éloignait. Une dizaine de personnes étaient présentes dans la rue, personne n’a réagi. » Ce témoignage n’a rien d’un incident isolé. Des dizaines de faits similaires sont quotidiennement rapportés sur le site de HarassMap, une initiative recensant les cas de harcèlement sexuel en Égypte. Depuis le lancement du site, en décembre 2010, près de 700 agressions ont été listées.

Dans le pays le plus peuplé du monde arabe, le harcèlement sexuel est depuis des années un véritable fléau. Cela va des commentaires désobligeants aux attouchements inappropriés, en passant par l’exhibitionnisme et les invitations sexuelles. En 2008, une étude du Centre égyptien pour les droits de la femme révélait que 83 % des femmes interrogées ont été harcelées sexuellement ; 46 % ont affirmé subir ce harcèlement de manière quotidienne, 91 % dans des lieux publics. Quant aux hommes, ils sont 63 % à admettre avoir déjà pratiqué le harcèlement.

Longtemps considéré comme tabou, le sujet est aujourd’hui abordé plus librement. Mais si des organisations de la société civile ont rédigé plusieurs projets de loi visant à pénaliser le harcèlement, rien de concret n’a été entrepris par les autorités.

Pour beaucoup, ce sont les difficultés économiques et sociales — qui repoussent l’âge moyen auquel les hommes se marient (29 ans) —conjuguées à des normes sociales prohibant les relations sexuelles hors mariage qui ont contribué au développement du phénomène. « Les gens subissent des pressions très importantes. Et dans une société qui ne permet pas à ses citoyens d’exprimer leurs frustrations, les opprimés reproduisent sur de plus faibles qu’eux ce qu’ils subissent », explique Rebecca Chiao, cofondatrice et directrice de HarassMap.

Fanatisme

Mais l’argument socio­économique ne suffit pas à expliquer l’ampleur du phénomène. « Le harcèlement a lieu partout, dans les quartiers pauvres comme dans les quartiers riches. Ceux qui le pratiquent sont autant des hommes que des jeunes garçons, mariés ou célibataires, riches ou pauvres », précise Racha Hassan, chercheuse spécialisée dans les droits de la femme et l’un des auteurs de l’étude du centre égyptien. « La société égyptienne est devenue une société machiste et patriarcale. Quand une fille se fait harceler, c’est elle que l’on blâme, et non l’agresseur », déplore-t-elle. C’est pour cela que les victimes portent rarement plainte. Pour la chercheuse, ce glissement s’est amorcé avec la propagation d’« un discours religieux extrémiste qui fait de la femme un objet inférieur à l’homme que l’on traite avec mépris ».

Hordes

La révolution du 25 janvier avait redonné espoir. « Durant dix-huit jours, les gens étaient surpris, ils nous appelaient pour nous dire qu’il n’y avait pas d’agression, qu’ils se sentaient en sécurité », se souvient Rebecca Chiao. Mais après la chute de Hosni Moubarak, le phénomène est reparti de plus belle. Dans certains cas, le harcèlement est utilisé comme une arme politique pour briser la détermination des militantes égyptiennes. C’est ce qu’a découvert à ses dépens la journaliste égypto-américaine Mona Eltahawy, brutalement interpellée le 23 novembre 2011 par les forces de l’ordre durant un mouvement de protestation et violentée dans les locaux même du ministère de l’Intérieur.

Mais les manifestations sont aussi particulièrement propices aux agressions sexuelles. Lors du premier anniversaire de la révolution, le 25 janvier 2012, plusieurs femmes ont affronté des hordes de jeunes hommes qui tentaient de les déshabiller. Un incident qui rappelle les cas de harcèlement généralisé qu’a connus la capitale égyptienne en 2006 et en 2008 après le mois de ramadan. Et qui montre que le pays attend encore sa révolution des moeurs.