Faisant partie des fondateurs du mouvement du 6 Avril et membre de la coalition de la révolution, Asmaa Mahfouz est devenue l’une des figures emblématiques du 25 janvier. Cela lui attire les foudres des uns et l’admiration des autres.
Une militante en herbe ?
Qui est cette fille qui se voit en leader ou en porte-parole du peuple ? Une question posée par tous ceux qui ont visionné les vidéos lancées sur Youtube, avec notamment Asmaa Mahfouz défendant la révolution en toute confiance, mobilisant le peuple à observer des grèves ou à organiser des manifestations. « Je suis une fille ordinaire du quartier populaire de Aïn-Chams ; je n’hésite pas à dire NON à haute voix à toutes sortes d’injustice ». C’est ainsi que s’exprime Asmaa Mahfouz, spontanément. Elle n’hésite ni à défendre une autre jeune fille humiliée et battue dans la rue par un policier ni à demander un rendez-vous avec le chef de la police du quartier d’Al-Bassatine. « C’était pour comprendre pourquoi ils ont souvent recours à la torture. J’ai été surprise lorsqu’il a répondu que c’était la seule manière valable pour traiter les criminels. Et, quand j’ai protesté, en argumentant que c’est la loi qui doit régir leur rapport au lieu du bâton, il a éclaté de rire en me disant que les lois sont lettre morte. Ce qui m’a poussée à poursuivre mon petit bonhomme de chemin, celui du refus et de la mobilisation ».
De l’audace ? « Pas du tout. C’est par intuition ou par ignorance politique », affirme-t-elle. « Ma formation politique était essentiellement fondée sur les dessins animés, surtout avec des films comme Bug’s Life et Lion King. À travers ces films, j’ai appris des valeurs humaines comme la coopération, la dignité et la justice », souligne-t-elle avec modestie. Et d’ajouter : « Je n’avais l’habitude ni de suivre les nouvelles à la télévision ni de lire les journaux. Mais je pouvais dire qu’avec le temps, j’ai commencé à acquérir un savoir lié aux souffrances quotidiennes du peuple. Celui-ci n’a cessé de croître, vu mon aptitude d’être à l’écoute de ce que disent les autres. Dans le métro, le microbus ou chez le boulanger, en famille ou avec les amis. J’ai découvert que finalement, tout le monde partageait les mêmes maux qui tournent autour de deux axes principaux : la corruption et l’injustice ». Quant à Asmaa, elle était toujours hantée par la même question : « Pourquoi baisse-t-on les bras ? Pourquoi ne dit-on pas simplement Non ? ».
Ce rejet monte d’un cran après l’obtention du baccalauréat. « J’ai ressenti une grande injustice lorsque j’ai été obligée de m’inscrire à la faculté de commerce alors que mon rêve était de me spécialiser en informatique. J’ai eu de mauvaises notes en chimie et en biologie et cela n’avait aucun rapport, à mon avis, avec l’informatique. Après quelques années à la faculté de commerce de Aïn-Chams, j’ai décidé de m’inscrire en gestion au Modern Academy, où le système était plus flexible et je travaillais en même temps dans un centre d’appels ».
Asmaa Mahfouz passait des heures devant son ordinateur, surtout pour naviguer sur Internet. Une navigation qui lui avait toujours permis de flâner dans des cieux, de rêvasser et surtout d’aspirer à plein de choses. C’était un autre médium, outre sa capacité d’écouter, pour découvrir les autres. « C’est par hasard que je suis tombée sur un groupe nommé Idrab am fi Masr (grève générale en Égypte) appelant à organiser des grèves ouvrières aux quatre coins de la République, afin de soutenir la cause des ouvriers d’Al-Mahalla Al-Kobra (ville du Delta connue pour la fabrication du textile), souffrant de la dégradation continue de leurs salaires. J’ai commencé à découvrir le sens de certains termes comme grève, équité sociale, etc. Et j’ai décidé de me joindre à ce mouvement ».
Elle se rappelle le jour où elle a publié une déclaration sur le site du mouvement à propos de la crise des salariés. « J’ai distribué cette déclaration dans le métro. Et je me rappelle toujours l’expression sur les visages des dames du métro qui n’ont pas hésité à jeter les feuilles par terre en m’engueulant et me blâmant d’avoir mis ma vie et celle de ma famille en danger. À l’époque, je ne comprenais pas que c’était vraiment dangereux ».
Faire partie du monde des blogueurs était un souci quotidien d’Asmaa. Elle voulait partager l’expérience journalière, exprimer ses opinions ou apprécier celles des autres. « J’étais satisfaite d’avoir un grand cercle d’amis sur Internet ». Mais un jour, elle a décidé de passer du virtuel à la réalité. « J’ai alors assisté à une grève organisée devant le syndicat des Journalistes. Là-bas, j’ai rencontré des amis blogueurs, et depuis, j’ai tenu à assister à tous les rassemblements sur Internet, dans les jardins publics ou les cafés ». Durant ces réunions, on critiquait les mesures gouvernementales, et parfois on rencontrait les familles des détenus. « J’ai commencé également à apprendre grâce à Ahmad Maher, fondateur du mouvement Idrab am fi Masr, quelques notions politiques : le libéralisme, le communisme, le socialisme, la démocratie ... On a fondé ensemble, et avec Israa Abdel-Fattah, le mouvement du 6 Avril préoccupé par les soucis de toutes les tranches de la société égyptienne ». Asmaa Mahfouz s’est lancée alors dans un univers très différent de celui de sa famille.
Ses parents, directeurs d’école, lui ont inculqué le sens du devoir et de la responsabilité. « Si on me critique parce que je parle au nom du peuple alors que je ne le représente pas dans sa totalité, j’ose dire que j’exprime l’opinion d’une grande majorité du peuple. Et c’est le sens du devoir qui m’oblige à le faire ».
D’ailleurs, il paraît que cela a tourné contre cette famille tranquille, étant cependant loin de la vie politique. « Ils n’ont pas su que je suis activiste jusqu’au jour où mon frère aîné, engagé dans l’armée, a été convoqué par le service des renseignements. Il était en rogne et m’avait forcée à signer une déclaration selon laquelle je ne devais avoir aucun lien avec le mouvement du 6 Avril ou avec n’importe quelle forme d’activisme. J’ai refusé. Et depuis, on ne se parle plus ».
Les problèmes qu’affronte la famille à cause du militantisme d’Asmaa ne s’arrêtent pas là. « Mon frère est un policier honnête. Pour ce, il a toujours eu des problèmes avec son chef à tel point d’être renvoyé. Dernièrement, on a essayé de conclure une affaire avec lui : si j’accepte de renoncer au militantisme, il restera dans son poste. Mais j’ai bien sûr refusé ».
Si d’aucuns prônent l’activisme d’Asmaa, d’autres réfutent complètement l’image qu’elle se donne d’elle-même, notamment lorsqu’elle se proclame parmi les instigateurs de la révolution. Ceux-ci la taxent d’ignorance, l’accusent d’être manipulée par l’étranger. « Je n’ai jamais prétendu être une spécialiste en politique. De plus, tout ce que je demande aux gens c’est de ne pas hésiter à revendiquer leurs droits. Cela est tout simplement humain et n’exige pas qu’on soit titulaire d’un doctorat. En outre, ceux qui m’accusent d’avoir un agenda quelconque ont oublié que l’ancien régime autoritaire suivait au pied de la lettre les ordres dictés par l’Occident. Je suis certaine que ce sont ces gens-là qui ont divulgué l’histoire des repas de Kentucky distribués aux manifestants de Tahrir payés, selon eux, en euros », explique-t-elle sur un ton confiant. Et d’ajouter : « Il y a des conditions qui ont fait office de catalyseurs, comme l’injustice sociale et l’affaire Khaled Saïd, jeune Alexandrin tabassé par la police et torturé jusqu’à la mort … Et il y a le déclencheur de la révolution qui n’est autre que Bouazizi en Tunisie ».
Asmaa Mahfouz refuse d’être considérée comme une héroïne. « Les héros, ce sont les martyrs, ceux qui ont été gravement blessés sous les feux de la police ou des baltaguis. J’ai vu un jeune homme répéter Vive l’Egypte jusqu’au dernier soupir. Un autre, plus vieux, a perdu un œil et s’avançait en direction des soldats répétant qu’il offrirait son autre œil pour l’Egypte. Moi, j’étais terrifiée et courais pour me cacher ».
Le 25 janvier, elle n’a jamais pensé qu’il y aurait une révolution. « Notre mouvement avait déjà lancé un appel, une semaine auparavant, pour tenir des manifestations et chasser Habib Al-Adely, ex-ministre de l’Intérieur. Le nombre était vraiment minime, au départ. Cependant, en faisant du chating avec les autres mouvements tels Kolena Khaled Saïd et Kéfaya, on a décidé de nous réunir sous un même slogan : Du pain, de la liberté, de la dignité. On a conclu que c’était toujours cette question de coopération qui nous manquait ».
Ces jeunes, pour qui l’informatique est considérée comme l’air qu’ils respirent, se sont mis à faire des plans de quartiers entiers sans oublier les entrées et les sorties des ruelles par lesquelles ils ont voulu commencer leur marche. « Mais c’est la stupidité du régime, ayant recours à la violence, qui a transformé cette manifestation en une vraie révolution. C’était vraiment génial de voir le nombre incalculable d’Egyptiens revendiquant en même temps la chute du pouvoir ».
Asmaa Mahfouz est membre de la coalition de la révolution, représentant les jeunes révolutionnaires durant les négociations avec le Conseil suprême des forces armées. Elle ne cesse d’exprimer sa reconnaissance à l’armée qui passe des heures à les écouter. « Des organisations telles que l’Onu, le NDI (National Democratic Institut) et des ambassades nous ont exprimé leur soutien et ont proposé de nous aider. Or, on leur a demandé la suppression des dettes égyptiennes et le retour du tourisme ».
Enthousiaste et optimiste, Asmaa est sûre et certaine que l’Egypte connaîtra la Renaissance. Mais, une fois que toutes les revendications de la révolution seront mises en œuvre, le mouvement du 6 Avril se transformera-t-il en un parti ? « Non. Notre rôle sera toujours de critiquer librement le gouvernement et refléter l’opinion publique ». Asmaa se voit-elle fondatrice d’un parti ? « Jamais. Je ne comprends rien aux enjeux politiques », réplique-t-elle.
Biographie
– 1/2/1985 : Naissance au Caire.
– 2002-2004 : Employée administrative au centre d’appels AmecoTech.
– 2007 : Responsable des ventes et de comptabilité à la compagnie d’Internet Link.net.
– 2008 : Début de son activisme et fondation du mouvement du 6 Avril.
– 2010 : Licence en gestion de Modern Academy.