A l’écran, elle s’appelle Basma. Sur la place Tahrir, c’est la citoyenne égyptienne Basma Ahmed El-Sayed. Sans être militante ou activiste, la jeune femme ressemble aux révolutionnaires du 25 janvier. Avec un slogan : « Changement, liberté, justice sociale ! ».
Un sourire à Tahrir
Élancée, cheveux longs, douce mais catégorique, ferme mais nuancée, au regard vif et intelligent, Basma est l’exemple parfait de sa génération : sans être politisée, sans slogans démagogiques, elle revendique des droits principalement humains. Une nouvelle manière de s’engager dans le politique. On est presque certain, avant de l’interroger sur son parcours qui l’a amenée à se joindre à la commune de Tahrir, que sa famille a dû l’influencer depuis sa plus tendre enfance. Son grand-père, Youssef Darwich, étant l’un des groupes fondateurs du Parti communiste égyptien, se rangeant du côté des travailleurs, sa mère Nawla, activiste féministe, son père, journaliste de gauche. « Pas du tout, dit-elle, j’ai toujours voulu, au contraire, échapper à leurs discours, une réaction tout à fait naturelle pour une enfant, puis une adolescente qui cherchait à s’affirmer loin des chemins battus de la famille ». Mais Basma (sourire, en arabe) se reprend très vite pour admettre que les valeurs et les principes formulés par les membres de la famille étaient ses premiers référants dignes d’estime sur le plan moral et intellectuel. Elle a toujours partagé avec eux le sens de la justice et de l’égalité entre les hommes. Cela dit, elle résistait au fait d’adhérer à un quelconque mouvement politique. Ses proches, à cause de leurs idées, étaient soit en prison, soit en exil ; ils ne lui permettaient pas de les prendre en exemple. Elle constate qu’ils avaient combattu toute leur vie pour voir le fruit de leur lutte, jamais réalisée. Elle cherchait alors une vie calme, stable et sécurisante.
Basma grandit, travaille et prend conscience dans la pratique de ce que peut être la corruption. Mot qu’elle avait maintes fois entendu à la maison sans en percevoir l’ampleur. Comme la corruption qu’elle vient de découvrir, l’injustice sociale se révèle comme un mal standardisé et codifié. Chez elle, elle entendait des concepts qu’elle ne comprenait pas, comme la séparation des pouvoirs. Elle assistait à des discussions entre marxistes, socialistes, trotskistes, dont elle n’assimilait pas les différences. « On n’a pas besoin d’être politisé pour voir et comprendre les mécanismes de la corruption, on n’a pas besoin d’être politisé pour se révolter contre cette corruption généralisée. Je suis donc descendue à Tahrir comme tout le monde, comme tous ces gens qui ne se révoltaient pas pour le pain, mais pour leur dignité ». Basma, dans la rue, revendiquait le changement. Elle veut que ça change, elle sait que seul le changement de tous les rouages du pouvoir et de la société pourrie peut rendre au peuple sa liberté et lui offrir une vie meilleure, plus humaine. « J’avais été avec un groupe de personnes rencontrer Mohamad ElBaradei. Il parlait de changement. Il répétait le mot à plusieurs reprises. Changement … changement … au départ, cela n’avait pas d’écho bien que je constatais la vie médiocre imposée à la classe moyenne, sans parler des pauvres.
Comment changer ? Pouvait-on réellement changer ? Je me posais ces questions, perplexe et méfiante de la capacité des Égyptiens à faire face à l’injustice et à la répression qu’ils subissaient ». Elle savait que toute la société était disloquée, que chacun s’arrangeait pour survivre en acceptant les pots-de-vin ou en soudoyant les autres, mais elle n’avait pas le courage, toute seule, de dire non ou prendre l’initiative de combattre ces « crimes » presque légaux. Petit à petit, elle prend conscience de la force du mot changement : il ne suffit pas de changer quelques articles de la Constitution, mais de changer le pouvoir, changer la société. Elle sait que cela va prendre du temps, mais elle sait aussi et en est profondément convaincue que la ténacité et le temps sont les seuls garants pour l’acquisition du peuple de ce qui lui est dû. Elle donne l’exemple des premiers jours de la révolution. « Je croyais, dit-elle, comme tout le monde, que ce n’était que des émeutes, des manifestations populaires comme il était courant d’en voir depuis quelques années. Mais très vite, il a suffi de 3 jours de résistance, et surtout après la bataille du chameau, pour que la révolte prenne l’aspect d’une révolution. De quelques milliers, le nombre de manifestants s’est élevé à des millions ».
Quand on demande à Basma de décrire son rêve pour l’avenir, sa réponse est toute simple, disons possible à réaliser. Elle souhaite voir un pays « plus beau », c’est-à-dire où règnent la justice et l’égalité entre les individus. Un pays où l’on ne côtoie pas 40 % d’illettrés et une masse de pauvres misérables qui constitueraient une boule de violence. Un pays où la liberté d’expression ne serait pas un tabou auquel il faut faire face. Elle rêve d’un enseignement scolaire où l’on tient compte des aptitudes de chaque élève. Elle pense qu’elle aurait pu peut-être faire carrière dans un autre domaine si dans son établissement scolaire on avait remarqué chez elle un potentiel latent, en travail manuel par exemple. Elle souhaite une école où il y aurait de la musique, de la gymnastique, de la danse, du chant, ce dont elle a été privée. Une méthode d’enseignement qui bannirait le par cœur pour donner libre cours à la réflexion et la discussion.
À propos de carrière, elle avoue qu’elle n’avait pas choisi de faire du cinéma. Yousri Nasralla, lui, a un jour proposé de faire un test pour son film La ville. Elle y participe et depuis, elle choisit d’être actrice. D’ailleurs, quand elle était petite, son jeu préféré était de « faire semblant ». Aujourd’hui, elle fait semblant d’être un personnage sur l’écran, un jeu bien plus difficile mais qui lui apprend à donner au rôle une profondeur et d’en tirer une nouvelle expérience. Elle n’avait pas non plus choisi de faire des études de littérature anglaise, mais elle pense qu’elle en a beaucoup profité. Elle revient au pays de son rêve : « Un pays où personne n’aurait plus peur ». Et si on parlait à sa place, on aurait pu dire de voir une Constitution avec un article citant « le droit au bonheur ». À son avis, ce qu’elle revendique n’est pas utopique. Puis, elle se rappelle que les bombes lacrymogènes étaient périmées ! Encore un signe de corruption, dit-elle.
On revient à la révolution comme étant le seul sujet qui intéresse le peuple égyptien aujourd’hui. Basma nous fait remarquer que sur la place Tahrir, elle a appris à mieux connaître ses compatriotes, « il y avait des jeunes, des vieux, des femmes, des hommes, des enfants, des pauvres, des riches … une vraie coalition née du même désir de se libérer d’un système au pouvoir qui avait étouffé tout le monde ». Elle avoue avoir souvent ressenti être étrangère dans son propre pays. Mais elle se reprend pour avouer que « ces gens » dont parlaient son grand-père, sa mère et tous les membres de la famille, ces gens qui ne se concrétisaient pas dans sa tête, elle les a rencontrés en chair et en os dans la petite-grande république du centre du Caire. Ainsi, elle a pu visualiser les autres, dans toutes les provinces d’Egypte.
Elle parle aussi des listes qui ont été faites pour classer les bons et les mauvais (honnêtes/malhonnêtes) artistes, les pro et les anti révolution. Elle y voit un manque de démocratie alertant. « Il faut savoir accepter les personnes qui ont des idées différentes. D’ailleurs, on est tous en train d’apprendre la démocratie dont on a été privé durant 30 ans ! Cependant, je condamne ceux qui ont insulté les révolutionnaires et qui les ont qualifiés de traîtres. Je condamne de même ceux qui ont soutenu l’ancien régime puis qui sont passés dans l’autre camp quand la révolution a réussi, ce sont des hypocrites imposteurs ».
Basma aimerait à la fin de cet entretien rendre hommage à son grand-père. Combien aurait-il été heureux d’assister à ce grand événement, dit-elle avec regret. Ce grand-père qui lui racontait l’histoire de l’humanité comme on raconte aux enfants des contes de fées. Basma a appris l’Histoire à travers les récits enjoués de Youssef Darwich. Elle, elle a eu la chance d’assister et de participer à la révolution égyptienne alors qu’elle prenait forme. Elle pourra dire à ses enfants : « J’ai fait partie de
l’Histoire ».
Biographie
– 1976 : Naissance au Caire.
– 1997 : Licence des lettres anglaises.
– Premier rôle de cinéma dans la Ville de Yousri Nasrallah.
– 1998-2002 : Animatrice de télévision.
– 2009 : Prix de la meilleure comédienne pour le film Zay el-naharda (comme aujourd’hui).
– 2010 : Principale protagoniste de Rassaël Bahr (messages de la mer) de de Dawoud Abdel-Sayed