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Retour du cinéma italien ? (1)
Riparo de Marco Simon Puccioni
Article mis en ligne le 29 septembre 2008

La crise du cinéma italien depuis les années 1980 a fait dire un peu rapidement que le cinéma italien était mort.
Après les chef-d’œuvres réalisés après la guerre et jusque dans les années 1970, on serait revenu à la période des « téléphones blancs » !

Il est vrai que pour la nouvelle génération de cinéastes, la comparaison avec le génie des illustres prédécesseurs n’est pas facile. C’est ce que dit Marco Puccioni qui souligne néanmoins, de même que Toni d’Angelo [1], la déliquescence des moyens de production et de distribution.

Les idées de films ne manquent pas, les scénarios s’élaborent, mais avec quel espoir d’être produit ?
Toni d’Angelo a créé sa maison de production pour son film, Una Notte, et a dépensé une grande énergie pour le faire connaître. Marco Puccioni a, de son côté, créé un groupe de réflexion sur le cinéma et les solutions pour améliorer les moyens de production et de diffusion cinématographiques [2]. Le cinéma italien n’est certes pas mort et de nouveaux cinéastes prennent le relais des plus grands.

Peut-on encore faire des films comme Novecento (1900) ?

Question posée à Bernardo Bertolucci qui aurait répondu qu’il existait à l’époque de la sortie du film une sorte de lien fusionnel entre le public et un cinéma ancré dans une vision sociale et politique, ce qui n’est plus le cas. Mais si l’on regarde certains films contemporains comme Nos meilleures années (La Meglio gioventu) de Marco Tullio Giordana (6h 06 en deux parties comme 1900), Une histoire italienne (Sanguepazzo) du même réalisateur [3], Mon frère est fils unique de Daniel Luchetti, Gomora de Matteo Garrone [4] ou encore Il Dolce e l’amaro d’Andrea Porporati, il ne s’agit pas là de films de divertissement. Il n’est guère possible de nier leur engagement, leur force et le regard lucide qu’ils portent sur les dernières décennies XXe siècle et ces dernières années, sans parler de leur succès. Il s’agit de grands films issus d’une nouvelle génération talentueuse de cinéastes.

Il faut également compter avec les grands réalisateurs dont la filmographie est impressionnante et qui continuent de tourner même si les productions ne sont pas suffisamment prêtes à prendre des risques pour des sujets de société et si les aides à la création sont inexistantes. Marco Bellocchio, Le Sourire de ma mère [5] et Buongiorno Notte [6] et le grand Mario Monicelli, présent au 29e festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier avec Le Rose del deserto (Les roses du désert) [7].

Et les frères Olmi qui seront à l’honneur durant le 30e festival international du cinéma méditerranéen, cette année à Montpellier.

Riparo, une histoire à trois qui met en scène une bourgeoise, une ouvrière et un jeune immigré. Héritière d’industriels de la chaussure, Anna vit avec une des salarié-e-s de l’entreprise, Mara. Un récit où chacun des trois protagonistes est en quête d’une intégration dans une société qui souligne leur marginalité. En toile de fond, les différences sociales…

Anna est l’héritière d’une famille d’industriels de la chaussure et vit avec Mara, plus jeune et employée dans son entreprise. De retour de vacances, elles découvrent un adolescent, Anis, dans le coffre de leur voiture. Le jeune clandestin veut rejoindre un oncle installé à Milan. Mais l’oncle est introuvable et Anis revient frapper à la porte des deux femmes. Mara est hostile, Anna l’accepte et lui trouve un emploi dans le magasin d’usine que gère son frère Salvio.

Christiane Passevant : Pourquoi ce titre, Riparo [8]  ? Et pourquoi avoir choisi le Maroc comme pays de l’immigration clandestine ?

Marco Puccioni : Le titre, Riparo , signifie abri. Et j’ai pensé que c’est ce que cherchaient les trois personnages du film, de façon différente bien sûr. Pour le jeune immigré, qui veut échapper à la misère et rêve d’une vie meilleure, l’abri est évident. Pour les deux femmes homosexuelles, se protéger l’une et l’autre se fera peut-être à travers cette rencontre avec le jeune Anis. Elles ont un désir de famille, l’envie d’être intégrées. C’est la lutte actuelle des homosexuel-le-s. Pour être accepté-e-s dans la société, on devient parents, on crée une famille. C’était la base du film : être différent et différentes.

J’ai choisi le Maroc et l’Afrique du Nord parce que c’est un passage important et, par ailleurs, c’est un très beau pays avec une culture très riche. Mais pour venir en Europe, il faut passer une barrière, l’immigration clandestine est une réalité quotidienne. Cette difficulté fait partie de l’histoire du film. L’homosexualité féminine est pour Anis inacceptable et même culturellement inconcevable, ce qui ajoute aux difficultés à se connaître, à se respecter.

CP : L’homosexualité des deux jeunes femmes ne permet-elle pas de mieux accepter les problèmes de l’autre, peut-être plus facilement qu’un couple hétérosexuel ?

Marco Puccioni : De la part des deux femmes ? Non je ne crois pas. Le jeune garçon aurait au contraire moins de difficultés avec un couple hétéro, il retrouverait ses repères. Deux femmes qui dorment ensemble, ce n’est pas un couple à ses yeux. Il ne reconnaît pas un foyer, une famille.

Larry Portis : C’est un film sur l’identité ? Vous avez étudié aux États-Unis, avez-vous été influencé par ce contexte ?

Marco Puccioni : Il est vrai que lorsque j’étais aux États-Unis la réflexion sur l’identité sociale, sexuelle, personnelle, était très importante. Tous mes premiers travaux étaient des lettres, des lettres vidéo. J’étais dans une école de cinéma, une école d’art où l’on insistait pour que nous partions de bases personnelles, autobiographiques. J’ai poursuivi dans cette voie, même après mon retour en Europe. Il y a toujours quelque chose de moi dans mes films, avec bien sûr des camouflages et des transformations. La question de l’identité est également débattue dans mes travaux précédents. Dans Riparo, l’identité sexuelle bascule et n’est pas définie. L’identité culturelle elle-même bouge. On part d’une base, mais une rencontre peut tout changer, surtout dans un monde contemporain en mouvement. L’identité est peut-être un leurre, car rien n’est fixe. On peut être né au Maroc et rêver de cowboys.

LP : Votre film est actuel et fait référence à un monde mondialisé où l’identité devient presque obsessionnelle parce qu’elle est justement difficile à déterminer ?

Marco Puccioni : Oui, elle est difficile à déterminer et même s’il y a cette mondialisation qui uniformise tout, apparemment, on lutte pour être spécial, particulier, sinon on se perd. Cela est aussi lié à l’immigration. D’un côté des gens sont libres de voyager partout sur la planète et d’autres sont prisonniers dans leur pays. Pourtant tout le monde devrait avoir les mêmes droits. Il n’en demeure pas moins que certains endroits doivent être préservés. Paris ou New York sont cosmopolites et vivent de la différence, mais un village doit garder son équilibre en limitant le nombre de ses habitants.

LP : Pensez-vous que nous soyons fragilisés du fait que le monde paraisse plus proche, plus petit ?

Marco Puccioni : On est plus confus et, dans ce sens, plus fragile. On ne sait plus ni où on est et ni qui on est. La communication augmente la confusion. Il faut pouvoir choisir et définir son propre monde.

LP : C’est ce que vous avez voulu faire dans ce film ?

Marco Puccioni : En tant que porteur d’images, je dois montrer des expériences, des exemples… C’est pourquoi j’ai voulu une fin ouverte au film. On ignore si le garçon va s’échapper ou mourir, si les deux femmes vont rester ensemble. Je voulais montrer comment des différences peuvent vivre ensemble un moment, avoir un témoignage des difficultés, mais la conclusion reste ouverte. Je voulais faire un film à la Bazin, qui aimait un cinéma proche de la réalité dans le sens où il garde des ambiguités et n’est pas explicatif. C’est une partie de la vie des protagonistes, mais sans une fin. On ne sait pas ce qui va arriver aux trois personnes. Rien ne se met en place.

LP : La réalité est mouvante.

Marco Puccioni : Dans notre vie, certaines choses se règlent, provoquent des compromis, d’autres sont éphémères. J’aurais pu choisir de faire mourir le garçon. Cela arrive dans les faits-divers, c’était réaliste. Je n’ai pas voulu être définitif. Je pense souvent aux films sur l’adolescence comme celui de Truffaut, Les quatre cents coups, [9] ou à d’autres films qui se terminent au bord de la mer et l’on regarde l’horizon avec angoisse. Tout peut arriver. Pour Riparo , c’est un champ de maïs et l’on ignore où cela va finir. Je sais ce qui est arrivé à l’acteur. Jouer dans ce film a été une bonne expérience pour lui, mais cela a été un peu comme un rêve. Il est ensuite retourné à sa vie précaire. Il fait des chantiers, est un peu délinquant et a parfois des problèmes. Le fait d’avoir tourné dans un film n’a pas changé sa vie.

LP : Comment peut-on changer les choses ?

Marco Puccioni : C’est une question politique. Et un réalisateur ne peut pas donner des solutions pour changer le monde. Ce sont des questions pour les responsables politiques. En tant que réalisateur, je ne peux donner qu’une opinion personnelle. C’est bien loin du film qui est une histoire.

CP : Pensez-vous travailler encore sur le sujet de l’immigration ?

Marco Puccioni : Oui et non. L’identité, l’immigration sont des sujets qui m’intéressent beaucoup. J’ai un projet de fiction qui n’a rien avoir avec ces sujets. Je travaille aussi sur un documentaire concernant un artiste du Cameroun qui vit en Italie depuis trente ans. C’est un des premiers immigrés. C’est un poète, un griot. Il se dit Italien, mais, en même temps, tout son travail consiste à faire connaître la culture de son village, de son pays, ici en Italie. C’est quelqu’un d’une autre culture qui fait la synthèse personnelle de deux mondes. C’est vraiment personnel l’identité alors que si l’on parle de peuple, c’est la généralisation. Par exemple, ce griot est très impliqué dans la culture romaine tout en travaillant sur l’art africain et l’importance de la culture orale. Le titre du film est la Couleur de la parole. Il n’est pas encore terminé. Nous avons tourné au Cameroun et nous devons maintenant tourner en Italie.

CP : Et le prochain long métrage ?

Marco Puccioni : Le scénario est tiré d’une histoire vraie, le drame d’une femme directrice de prison. Mais je ne veux pas en parler encore.

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