
Ce texte voudrait discuter les commentaires émis sur cette liste de
diffusion par Irène Pereira au sujet de notre ouvrage L’Anarchisme
aujourd’hui. Son « À propos », loin de s’en tenir à une simple
présentation du livre, questionne certaines des thèses qui y sont
développées. Parce que les propos d’Irène Pereira sont à la fois
intéressants et stimulants, nous ne saurions les laisser sans réponse...
Même quatre mois après leur parution.
Parmi les comptes rendus de L’Anarchisme aujourd’hui jusqu’ici publiés,
celui d’Irène Pereira est l’un des plus éclairants. Il expose avec
précision et clarté la structure argumentative de notre ouvrage. Pour
autant, cette description, mais surtout l’ensemble des questions et
critiques qui lui succèdent, repose sur une compréhension de notre
réflexion comme relevant d’une problématique que nous ne reconnaissons pas
nôtre : « Où se situe l’anarchisme par rapport aux positions
philosophiques issues de la modernité et celles issues de la postmodernité ? »
L’intention fondatrice de notre travail entendait éviter l’écueil que
constitue, de notre point de vue, cette question.
Le léger fléchissement qu’Irène Pereira fait subir à notre problématique
n’est cependant pas incompréhensible. Il a probablement trait à
l’importance que prend, pour une bonne part des travaux actuels traitant
de l’anarchisme, le problème sus cité. D’ailleurs, si ce dernier ne
constitue pas notre problématique, il n’en est pas moins omniprésent dans
notre livre. C’est autour de lui que se bâtit de part en part l’entreprise
théorique que nous avons choisi de discuter : le postanarchisme. Au-delà
de l’horizon de notre ouvrage, c’est encore sur ce problème que s’ancre
une multitude de débats, et ce là où parfois l’on ne saurait s’y
attendre. En France, pays où le postanarchisme est presque inconnu, on
rencontre de plus en plus de farouches oppositions entre anarchistes «
postmodernes » et opposants « modernes ». On peut en trouver une
illustration des plus flagrantes dans le numéro 17 de la revue
Réfractions. On y lit plusieurs articles qui envisagent la thématique du
numéro (« Pouvoirs et conflictualités ») sous l’une ou l’autre des deux
perspectives.
Postanarchisme et allers-retours conceptuels.

Ce contexte précisé, il peut être opportun de revenir sur les raisons qui
nous ont amené à choisir de discuter, en particulier, les thèses
postanarchistes. Outre l’importance qu’elles ont pu prendre
(principalement outre-Atlantique), elles offrent l’expression la plus
poussée des tenants d’un anarchisme poststructuraliste et/ou postmoderne.
Mais, surtout, ces thèses illustrent combien les problèmes qui les amènent
et les conclusions philosophiques qu’elles portent sont propres à une
grille de lecture culturellement marquée. D’où notre insistance pour
relier le postanarchisme à ce que l’on appelle French Theory. On peut,
certes, comme semble le faire Irène Pereira, comprendre cette expression à la
manière d’un synonyme qui désignerait les positions poststructuralistes ou
postmodernes. Mais on peut tout autant, c’est là notre position, choisir
d’employer cette expression afin de remettre en contexte un certain nombre
de questionnements. Parler de French Theory, ce n’est pas simplement faire
référence à des théories d’auteurs dits poststructuralistes ou
postmodernes comme le lecteur français peut les percevoir ; c’est prendre
en compte la réception de ces théories aux États-Unis en particulier.
Parler de French Theory, c’est insinuer que les questions et les schèmes
conceptuels qui émergent de cette posture sont aussi le fruit de
marquages, de réorganisations conceptuelles, d’inventions de corpus de
textes.
Discuter les textes postanarchistes impliquait alors de réfléchir à leur
sujet en prenant en compte ce contexte, en ne multipliant pas les
allers-retours. Il ne s’agissait pas de défendre une position particulière
concernant l’appartenance ou non de l’anarchisme à des catégories
philosophiques - trop succinctement définies - de modernité et de
postmodernité. Plutôt que nous ériger en supporter d’une équipe de cette
sportive rhétorique, nous avons cherché à questionner la pertinence de
l’opposition qui l’anime. En somme, la réflexion que nous avons essayé de
mener dans L’Anarchisme aujourd’hui cherchait à dépasser les limites du
prisme à travers lequel il a été lu par Irène Pereira. Nous voulions nous
poser la question de savoir si la grille de lecture opposant pensée
moderne et pensée postmoderne pouvait suffire à l’endroit d’un objet aussi
singulier que l’anarchisme. Dans une certaine mesure, Irène Pereira le
remarque. Elle écrit en ce sens qu’il lui semble que nous « tent[ons] de
dépasser certaines limites de la dualité entre modernité et postmodernité
» Pereira I., « À propos de “L’Anarchisme aujourd’hui” de Vivien García »