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La Phynance
Article mis en ligne le 30 mai 2006

LA SITUATION

1500 milliards de dollars transitent tous les jours pour spéculer sur les différentiels de taux de change, de valeurs boursières, de rentabilité, de taux d’intérêts, ce qui est très supérieur aux valeurs marchandes effectivement échangées sur les marchés mondiaux.

Les 1 000 personnes les plus riches du monde (magazine Fortune de ces jours-ci) regroupent 2 600 milliards de dollars, soit 3 fois le PIB de l’Inde. I milliard de personnes vit avec un dollar par jour. 1 milliards deux cents millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable (conférence de Mexico qui s’ouvre aujourd’hui 16 mars 2006). Les entreprises du CAC 40 en France ont dégagé 84 milliards d’euros de profit en 2005 soit plus 50 %. La dette publique française représente 1125 milliards d’euros et augmente chaque année du déficit de 3 % du PIB, soit 50 milliards d’euros par an. La part du travail dans le revenu nationale est descendue de 70 % à 60.

Les récentes faillites ou quasi faillites sont retentissantes : Enron, Worldcom, Tyco, Arthur Andersen, Vivendi, Parmalat, Crédit lyonnais. La prétendue « nouvelle économie » fondée sur les nouvelles techniques d’information et de communication (NTIC) s’est effondrée en mars 2000 ruinant des millions de petits actionnaires ou titulaires de retraites capitalisées ou d’assurances vie.

Les monnaies n’ont plus aucune référence réelle ; les investissements directs à l’étranger (IDE) sont axés principalement sur les prises de participation, les fusions et les absorptions et ne sont pas pour l’essentiel des créations d’entreprises et des investissements productifs.

Pendant ce temps là, la France compte 14 % de familles pauvres (en dessous de 50 % du revenu médian, c’est-à-dire celui qui partage la France en deux : au-dessus et en dessous du revenu moyen) et 7 % d’enfants dans la pauvreté, ce qui s’est accru y compris sous les gouvernements socialistes. Il y a toujours environ 2,5 millions de chômeurs officiels. Il y a 1,125 millions de érémistes (plus 4,5 % en 2005). Et encore les statistiques officielles sont-elles incapables d’enregistrer les avantages de la fortune mobilière ou immobilière.

Comment cela a-t-il pu arriver ?

Causes politiques

Les choses sont complexes et combinent une multiplicité de facteurs, de décisions, d’interactions, de convergences voire de collusions.

En 1971, l’accord deBretton Woods, qui organisait la convertibilité du dollar en or, a été supprimé par Nixon, parce que les USA, englués dans la guerre du Vietnam et incapables de faire face à leur déficit budgétaire, en ont décidé ainsi. Les monnaies devenaient flottantes et ne reposaient plus sur aucune valeur réelle. La spéculation internationale sur les taux de change était ouverte.

Les mêmes USA, suivis par les gouvernements européens, ont ouvert la dette publique (bons ou obligations du trésor) aux étrangers. Cela veut dire qu’elle pouvait être financée par l’étranger et échangée sur des marchés financiers comme les obligations ou les actions du secteur privé. Cela veut dire que si les taux d’intérêts de la dette publique diminuent ou, s’il y a des menaces sur la solvabilité du pays, les détenteurs vont essayer de s’en débarrasser au profit de titres mieux rémunérés. Ainsi la dette publique est-elle mise en concurrence avec les occasions de profit du secteur privé. Aux dernières nouvelles, les principaux détenteurs de la dette publique des USA sont la Chine, le Japon et l’Europe. La Chine, qui a en plus indexé sa monnaie sur un dollar totalement surévalué compte tenu de la dette des USA, et le Japon détiennent aujourd’hui dans les 800 milliards de dollars de bons du trésor américains. Ces pays n’ont pas intérêt à jouer contre cette dette. En effet, réclamer son remboursement ou la vendre, ferait perdre beaucoup de valeur (vendre massivement des obligations du trésor américain conduirait à une perte massive de valeur de ces titres sur les marchés boursiers internationaux). Et, surtout, cette dette américaine, qui fonde une création monétaire en Chine finançant en partie sa croissance (tout crédit est une création monétaire), permet à l’Amérique d’acheter des produits chinois.

La chose a été rendue possible parce que tous les gouvernements ont libéralisé le marché des capitaux. Ainsi, dès 1983, le gouvernement français a-t-il forcé EDF à emprunter à l’étranger pour financer le programme d’investissement électronucléaire (56 tranches à 15 milliards de francs pièce). Les avantages à court terme, seul horizon de temps que gèrent les politiciens, étaient multiples. D’abord, l’Etat était dispensé d’investir à ses frais pour financer les investissements (d’où la disparition des dotations budgétaires aux entreprises publiques) puisqu’il était déjà impécunieux. Ensuite, les prêts de l’étranger, en tant qu’entrée d’argent, amélioraient la balance des paiements du pays (à court terme, parce que les sorties d’argent pour payer les intérêts et rembourser le capital ont l’effet inverse).

Enfin, l’appel au financement international diminuait les taux d’intérêt à payer vu qu’il y avait d’énormes capitaux à la recherche d’un investissement sûr, garanti par l’Etat, l’épargne française trop liquide et peu organisée vers le long terme. Cela supposait évidemment la libre circulation des capitaux, d’où la suppression du contrôle des changes, ce qui fut encouragé par la construction européenne sous la houlette de Delors. Cette libre circulation des capitaux (et des marchandises) est le leitmotiv du FMI (plans d’ajustements structurels et consensus de Washington) qui en même temps prône la privatisation des entreprises publiques, la disparition des codes du travail, le libre marché du travail et des salaires.

De fil en aiguille, les gouvernements ont tout permis à la phynance. On a autorisé les banques de dépôt à se lancer dans les affaires. On a permis la « titrisation » (transformation de toute chose ou presque en actions ou obligations). Ainsi, aux USA, les crédits hypothécaires sur l’acquisition de logements sont-il centralisés dans deux énormes boites qui transforment et consolident ces dettes en titres boursiers. Par ailleurs la loi américaine (c’est proposé maintenant par Sarkozy sous forme « d’épargne rechargeable ») permet aux emprunteurs dont la valeur du logement augmente par suite de la spéculation immobilière d’emprunter en plus sur cette différence, ce qui permet l’augmentation de la consommation. Toutes les créances, y compris les « junk bonds » (obligations pourries car émises par des firmes ou des pays presque insolvables), sont « titrisables », titres souvent gérés dans des paradis fiscaux par des « hedge funds » (fonds d’arbitrage et de courtage). Ont été autorisées les OPA, OPE, fusions, etc. par rachat des concurrents par les multinationales avec leur propres titres, c’est-à-dire sans sortir d’argent frais. La chose était mirifique lors de l’expansion de la « nouvelle économie » et de la bulle internet car des boites sans actifs réels (genre Netscape) dont le titre était énormément surévalué en bourse (valeur calculée non pas sur les actifs mais sur les espérances de gain [ et non sur les dividendes observés] de l’action en dehors de toute estimation du marché potentiel et par engouement boursier au nom de « l’exubérance irrationnelle des marchés ») pouvaient racheter bien plus grosses qu’elles en payant avec des assignats ou du Law, c’est-à-dire avec leurs propres actions sans valeur réelle. C’est ce que veut faire Mittal sur Arcelor, compte tenu de ce que les actions Arcelor sont sous-évaluées parce que les dividendes servis sont faibles. Pour contrer cette OPA hostile, Arcelor a décidé illico d’augmenter drastiquement les dividendes servis (plus 30 %) aux actionnaires. Rappelons qu’en univers boursier la valeur d’une action dépend des dividendes alloués (cela fixe le rendement du capital investi en actions par lesdits actionnaires, le fameux ROI, return on investment désormais exigé à 15 %) et des plus-values sur les titres.

D’où un cercle vicieux peu signalé. Les nouveaux acheteurs du titre payent un titre au prix fort du marché boursier, au-dessus de sa valeur d’émission puisqu’il a monté grâce aux dividendes servis car plus une action reçoit de dividende plus sa plus-value augmente. Ces nouveaux investisseurs financiers ont donc, par exemple, payé 200 ce qui a une valeur faciale de 100, prix consenti par les premiers investisseurs lors de l’émission des titres. Supposons un dividende de 15 par titre. La rentabilité pour les premiers acheteurs est de 15 %. Elle n’est que de 7,5 % pour les nouveaux. Le ROI leur est défavorable. Alors ils vont pousser pour un dividende de 30 afin d’avoir leur 15 %. Et ainsi de suite dans un phénomène intenable qui entretient la bulle spéculative. C’est pourquoi aujourd’hui des dividendes majestueux sont donnés aux actionnaires au détriment des fonds de réserve pour la recherche, l’investissement et le développement. De plus, les rémunérations des managers en chef dépendent des dividendes et des plus-values (stock-options, c’est-à-dire actions de l’entreprise qui leur sont données et qui vaudront bien plus si leur cours a augmenté à la date [5 ans après] à laquelle ils pourront s’en séparer, Plus « golden parachutes » en cas de licenciement et gros cadeau de bienvenue pour leur arrivée). Si l’on offrait toutes ces garanties aux salariés, comme eux précaires, je crois qu’ils ne seraient pas contre le CPE.

C’est pourquoi ils font tout pour augmenter la valeur du titre en bourse, quitte, comme Enron, à le faire de façon fictive et illégale (voir aussi Vivendi sous le génial Messier). Par ailleurs, quand l’action baisse en bourse, certains dirigeants (Messier à Vivendi) font racheter leurs propres titres pour enrayer la diminution de leur valeur. Mais ce n’est pas tout. Car on a même autorisé le rachat par une boîte cotée de ses propres titres (en France grâce à M. DSK). C’est merveilleux. Car à profit égal, le rachat des titres diminuant le nombre d’actions, celui-ci est réparti sur moins d’actionnaires, ce qui mécaniquement augmente le dividende et la plus-value par titre, ce qui rassure les derniers entrants qui ont une rentabilité diminuée d’autant par rapport à la valeur à laquelle ils ont acheté l’action. C’est de la pompe à phynance sans obligation ni sanction, une spirale sans fin.

Nombre de lois ont permis le remplacement de valeurs objectives, d’actifs réels, par des entreprises sans actifs, par du papier virtuel (vous seriez en peine d’avoir comme autrefois de beaux emprunts russes superbement imprimés ; maintenant une action, c’est une ligne dans des fichiers électroniques). Enron s’était transformée en organisme purement financier opérant du « trading » (courtage) sur des « produits dérivés »(voir plus bas) sur tout (y compris les risques climatiques) et constitué d’une myriade de sociétés-filiales écran (plus de 3000) qui permettaient de mettre les maigres actifs douteux, faisant des pertes, peu rentables, de l’entreprise « hors bilan », ce qui évidemment avait pour fonction de cacher les pertes et la dette et de faire croire qu’il y avait des actifs localisés dans les filiales du groupe (à peine en réalité) comme garantie des dettes. Ces jongleries ont été autorisées par la possibilité légale de créer des « Special Purpose Entities » aux USA, pays de l’innovation financière sans contraintes : une SPE, une filiale créée spécialement pour un but, n’a besoin légalement que de 3 % de capital extérieur à l’entreprise pour être sortie de celle-ci, déconsolidée, filialisée. De plus, par des manipulations comptables, Enron n’a même pas observé cette obligation légale des 3 % d’apport externe. En France, l’expansion de Vivendi Universal a été en partie fondée sur le rachat de canal + grâce à une opportune modification de la loi qui interdisait de dépasser tel seuil dans la propriété du capital des chaînes de télé : c’est passé à 49 %, ce qui, d’ailleurs a été contourné par Vivendi via à un habile montage financier sous les yeux bienveillants du CSA et du gouvernement.

Causes économiques de l’évolution vers la phynance tout azimut

Une surabondance de liquidités qui a commencé avec les surplus d’argent détenus par les pays pétroliers comme suite aux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Cela a crée un afflux d’argent mondial car ces sommes n’étaient pas investies localement vu que cette richesse nouvelle était propriété de princes arabes plus soucieux de leurs privilèges que de l’avenir de leur peuple. Par ailleurs, les pays développés n’investissaient pas assez car les capacités de production étaient sous-employées. Cela a crée des « pétrodollars » qui ont cherché à se placer, via notamment, la bourse de Londres très accueillante, dans des spéculations financières. Le seul domaine d’investissement fut dans les start- up liées aux nouvelles technologies de téléphonie et du Web. Il devint beaucoup plus rentable de faire du financier (OPA, OPE, produits dérivés, spéculations sur les cours par courtage) que d’investir dans la production et les actifs réels. Il est clair aussi que les organismes financiers poussent à la chose car ils sont rémunérés par de grasses commissions sur les opérations de bourse. De plus, aux USA, avant la catastrophe Enron, les maisons de conseil (KPMG, Arthur Andersen, etc.) avaient le droit d’être certificateurs des comptes et conseil en gestion, donc pris dans un conflit d’intérêts : ne pas certifier leur faisait perdre les commandes d’audit. C’est ce que fit Andersen, conseil et expert comptable d’Enron.

La montée en puissance des fonds de pension a créé d’immenses liquidités cherchant à se placer au mieux. Chez les Britanniques et les Américains, les retraites ne sont pas pour l’essentiel servies suivant le modèle européen de la répartition. Celui-ci signifie que les actifs cotisent pour payer les retraites de leurs aînés à partir de leurs revenus salariés. Ce sont des flux financiers sans stockage à long terme, sans placement. Les fonds de pension, eux, sont assis sur une capitalisation individuelle de longue durée, « mutualisée » par un organisme, chacun cotisant pour soi. Les sommes recueillies font l’objet de plusieurs traitements. Il y a des fonds d’entreprise. C’est ainsi que Maxwell, trouvé mort à côté de son yacht, avait détourné la caisse des pensions de son entreprise. C’est ainsi qu’aujourd’hui des retraités britanniques se retrouvent sans rien car leur maison a fait faillite et donc perdu les fonds de retraites qu’elle gérait (quand ce n’est pas dans des spéculations, la bourse ayant baissé de 50 % lors du krach de mars 2000). Car, dans ce cas, les fonds étaient placés en titres de l’entreprise ! Plus malins sont les fonds de pension des fonctionnaires américains. Les gros comme Calpers, fonds de retraite des fonctionnaires de Californie, gèrent eux-mêmes ou ont, obligation légale, des représentants dans les conseils d’administration des organismes-gestionnaires spécialisés auxquels ils confient des fonds. C’est l’origine de la « gouvernance » et de la « transparence » exigée des entreprises par les fonds de pension qui ont diversifié les risques sur des quantités de titres nationaux ou étrangers (vu que la fonction publique n’a pas d’actions), obligations à 5 % (notamment du trésor américain) et actions européennes. Rappelons que ces fonds détiennent déjà 40 % du capital des entreprises françaises figurant au CAC 40 (les quarante plus grosses entreprises cotées en France). C’est depuis 15 ans que ces fonds sont parvenus à maturité et versent massivement des retraites, les cotisants d’hier étant devenus les bénéficiaires d’aujourd’hui. Une solution intermédiaire est quand les employés et entreprises cotisants sont petits ou très nombreux. Alors, les sommes sont gérées directement par des organismes financiers qui spéculent sur la valeur des titres où ils investissent.

De façon générale, ces fonds de pension exigent du 15 % de rendement (dividendes plus plus-values). En effet, 5 % servent à payer les pensions ; 5 % à couvrir les frais de gestion (ce qui est bien plus que dans des retraites par répartition), 5 % à rémunérer les organismes financiers auxquels les fonds confient la gestion des sommes capitalisées au nom de chaque individu cotisant. De façon générale, ces fonds de pension hors entreprise cherchent à tout moment le meilleur rendement de leurs avoirs, ce qui contribue à la volatilité des marchés boursiers. Signalons que les grosses entreprises américaines (dans l’automobile par exemple) ont leurs propres fonds de pension d’entreprise. Mais les engagements de retraite doivent être maintenant comptés au passif de l’entreprise (nouvelles normes comptables IFRS, International Financial Reporting Standards). D’où une quasi faillite de ces entreprises dont les engagements de retraite sont très supérieurs à la valeur des actifs capitalisés qui ont subi le krach boursier de 2000, la différence étant une énorme dette qui dans certains cas est supérieure aux capitaux propres de l’entreprise. C’est que ces fonds d’entreprise étaient « à prestations définies », ce qui engageait sur un montant garanti de pension. C’est ce qui explique que ces fonds de pension à la sauce anglo-saxonne sont remplacés à toute vitesse par d’autres fonds dits « à cotisations définies », c’est-à-dire que le cotisant paye de façon précise (tant d’annuités à tel prix pendant n années) mais que sa retraite dépendra de l’état de la bourse dans quarante ans. Ces fonds à cotisations définies n’ont été autorisé aux USA (retraites dites 401 K) qu’en 1984 par une loi ad hoc. Cela évidemment encourageait le passage au tout boursier, l’accélération du rendement des titres (dividendes plus plus-values) et, surtout, reportait les risques sur les futurs retraités. Ceux-ci vont pousser les fonds où ils cotisent à valoriser leurs titres de pension, se mettant eux-mêmes en contradiction avec leurs intérêts de salariés. C’est l’évidence même : plus les salaires sont généralement comprimés, plus les activités sont délocalisées dans les pays à faible coût de main d’œuvre (ce qui contribue à pressurer les salaires locaux), plus les profits augmentent.

La recherche généralisée du maximum de rentabilité des actions, cyniquement appelée « faire de la valeur pour l’actionnaire », conduit évidemment les entreprises à comprimer leurs coûts par tout moyen. L’un, autorisé de plus en plus par les lois propulsées par les gouvernements fussent-ils socialistes, consiste à remplacer les augmentations de salaires par des primes de résultats ,de l’intéressement et des abondements à des plans d’épargne d’entreprise. Le salarié voit donc des salaires sûrs et progressifs remplacés par des sommes aléatoires. Celles-ci, évidemment, ne sont pas comptées dans les retraites, ce qui pousse le futur retraité, quand il en a les moyens, à souscrire des assurances vie ou à boursicoter. De plus, ces montants sont exonérés des cotisations sociales (sécurité sociale) et des impôts sur les sociétés, ce qui a l’avantage de diminuer les prélèvements obligatoires vu qu’il ne s’agit que de décisions ou d’assurances volontaires, individuelles et privées. Après on stigmatise le trou de la sécu et on se plaint de l’impécuniosité de l’Etat.

L’économie s’étant diversifiée et internationalisée, les risques sont devenus plus grands : pertes sur les taux de change pour un fournisseur, sur les taux d’intérêts pour un gros emprunteur ou prêteur, sur le prix des matières, sur la valeur des portefeuilles d’action. Les banques, les organismes financiers et les compagnies d’assurance ont alors inventé les « produits dérivés » qui sont en fait des assurances sur ces risques, notamment dans les marchés à terme et même des assurances des risques assurés, des assurances d’assurances, des produits dérivés de produits dérivés. La finance renforce ainsi sa perte de contact avec la valeur réelle des actifs et des matières. Le dérivé de dérivé, évidemment, ne repose plus sur aucune valeur réelle et n’est qu’un instrument purement financier qui peut faire l’objet d’un « trading », fonction qui a fait les choux gras d’Enron.

Joue une tendance à la « baisse tendancielle du taux de profit », suivant la bonne vieille analyse marxienne, mais par pour les mêmes raisons. Marx a fondé son analyse sur des rendements décroissants (ce qui n’est plus le cas) et sur des débouchés stagnants. Sur les débouchés, cela reste vrai à condition que les marchés ne progressent pas, ce que pendant des décennies la publicité, la mode, ont réussi pour faire acheter. Ou parce que la colonisation permettait de vendre ses rogatons (textiles manufacturés anglais contre superbes étoffes indiennes, verroterie et pacotille françaises contre les richesses indigènes). Nous sommes aujourd’hui dans un univers de demande stagnante à cause de la faiblesse de la demande solvable et dans un monde de surcapacité de production par rapport à cette demande. C’est ce qui permet de réactualiser l’analyse marxiste pourtant incomplète, car ses hypothèses de marché stagnant se sont à nouveau trouvées vérifiées. En cas de marché croissant, même si la concurrence conduit à baisser les prix en regard d’investissements productifs de plus en plus lourds (d’où l’augmentation du taux organique de capital alors que seul le surtravail extorqué par la force aux salariés produit de la plus-value), il n’en reste pas moins que le capital peut compenser la perte de valeur sur chaque unité produite par l’augmentation indéfinie de leur volume. Si le marché n’est pas stagnant, ce qui est le cas. La solution est très simple. Il suffit de piquer le marché des concurrents par OPA, OPE, fusions, absorptions. Cela permet des économies d’échelle : standardisation des produits, un seul service commercial (ou autre ; sont concernés tous les services dits fonctionnels), un seul service de recherche-développement, etc. Mais les OPA, OPE ne peuvent exister que si le marché des capitaux est ouvert à l’espace mondial.

Sur les rendements décroissants, l’analyse marxienne est devenue fausse. Ils sont dans bien des industries tout à fait croissants. Le coût de la dernière unité produite, censé équilibrer son prix de vente en univers de rendement décroissant, n’existe plus ; il est presque nul et on ne sait même plus quand il y aura une dernière unité produite. C’est le cas des industries de réseau (téléphone, électricité, routes, eau, etc.) ou, par construction, une fois que le réseau existe (dit « monopole naturel » car il n’y a pas intérêt à multiplier les réseaux) il suffit d’augmenter le flux de circulation sur celui-ci pour diminuer à l’infini le coût de son utilisation unitaire sans perdre en rentabilité. Au contraire, puisque la baisse (éventuelle car ce n’est pas obligé que le prix de vente suive la baisse des coûts de revient) du prix de l’unité est compensée par le volume d’unités. C’est ce qu’ont vendu, comme espérances de recettes futures sur des volumes exponentiels de ventes, les firmes de la nouvelle économie afin de valoriser leur titre en bourse. C’est le cas aussi des industries où le coût de production (aujourd’hui moins de 10 %) est presque nul : les disques, CD, DVD, etc. Ce qui coûte, c’est l’investissement qui peut être amorti sur une infinité de ventes. Ce qui explique, du reste, la rage des « majors » pour monopoliser le marché (toujours en achetant les concurrents) et maîtriser la « chaîne de valeur » : production, transmission et diffusion ; contenus [les produits circulant, les œuvres] et les contenants [cable, fibre optique, wifi, téléphones mobiles GMS puis UMTS, télévisions TNT et hertziennes], le tout maintenant étant rendu compatible car devenu numérique, au lieu d’analogique, grâce aux nouvelles techniques. Le but est de vendre le maximum d’unités, le coût marginal de la dernière unité étant nul et, du reste, il n’y a plus de dernière unité prévisible si on dispose du quasi monopole du marché. Le but est de vendre au plus cher, d’où des ententes illicites entre les firmes opératrices (SFR, Cegétel et FT viennent de se faire pincer et d’être condamnées à de très grosses amendes).

Il faut insister sur le fait que les débouchés étant peu croissants faute de demande solvable (exemple, maintenant le marché des téléphones portables est saturé sauf à passer à l’UMTS, le portable permettant alors de recevoir et d’émettre des images, de se connecter à distance à internet) les multinationales sont plus conduites à racheter leurs concurrents pour prendre leurs parts de marché qu’à investir, d’autant plus que les capacités de production sont largement excédentaires. Mais pour acheter les concurrents, il fallait qu’il y ait libre circulation des capitaux décidée par les Etats. Evidemment, lesdits Etats dont les dirigeants pensent jusqu’au bout de leur nez, et encore, n’avaient pas prévu qu’ils se mettraient ainsi eux-mêmes sous la coupe des bourses. Il y a donc concomitance et convergence des stratégies des Etats et des multinationales et effet pervers de bouclage pour installer la course sans fin de la phynance. Dès lors, les firmes devirent de plus en plus multinationales par fusions et absorptions et par appel constant aux différentiels de coûts (directs comme les frais de main-d’œuvre ou indirects comme les lois sociales, fiscales, environnementales) sur toute la surface de la planète. Cela a rendu les patrons franco-français plus précaires que les autres car le capital des multinationales françaises a été acheté à plus de 40 % par l’étranger, les français n’investissant pas en actions à cause de leur système collectif et solidaire de retraites par répartition et de leur sécurité sociale mutualisée. D’où la stratégie constante des gouvernements pour les forcer à capitaliser individuellement : défiscalisation des assurances vie, démantèlement de la SS, casse des retraites, fonds d’épargne d’entreprise. Car le lobby patronal ne peut espérer éviter les OPA hostiles par l’étranger pouvant licencier nos patrons hexagonaux que si le capital est français. Il fallait donc le protéger au détriment de l’intérêt général.

Une fois sous la coupe des marchés financiers, les Etats (hors les USA qui peuvent placer partout leur monnaie car le dollar est resté l’étalon de change international) ont perdu l’arme de leur politique budgétaire et monétaire. Quand Mitterrand est arrivé au pouvoir en 1981, les grandes eaux de la dépense furent déclenchées, le déficit grimpa en flèche et les marchés sanctionnèrent le franc qui dut être dévalué pour ne pas sortir du serpent monétaire européen. Parallèlement, pour que les capitaux ne s’enfuient pas à l’étranger, la France augmenta les taux d’intérêt réels (c’est-à-dire les taux courants moins l’inflation) au-delà du raisonnable. Résultat ; stagflation (inflation plus stagnation), baisse de l’investissement et baisse de la consommation de biens durables, dont le logement. D’où le tournant de la rigueur en 1983. Mais avec la création de l’euro et de la banque centrale européenne, qui ne s’occupe que de la stabilité des prix et est indépendante de tout pouvoir politique, c’est encore pire : les budgets étatiques sont sous la coupe de l’Europe (pacte de stabilité : moins de3 % de déficit annuel en fraction du PIB et dette inférieure à 60 % du PIB). On ne peut plus jouer sur le taux de change (dévaluation), ni sur le budget, ni sur la monnaie. La phynance contrôle désormais les pouvoirs politiques.

Il tombe sous le sens, même si l’on n’est pas marxiste, que l’intérêt des entreprises est de payer le moins cher possible leurs fournisseurs et fournitures, leurs salariés (baisse des salaires et augmentation de la productivité ; la baisse c’est la plus-value absolue ou surtravail, la productivité, c’est la plus-value relative, différentielle qui fait qu’une boîte peut vendre moins cher que ses concurrents moins productifs ; d’où l’intérêt de fonctionner en 3/8 et de faire tourner à plein rendement la capacité de production), de ne pas contribuer aux dépenses collectives d’infrastructure qui leur procurent des « externalités positives » en payant le moins d’impôt possible pour les couvrir, de diminuer tous les coûts de gestion (services fonctionnels, marketing, recherche,etc. ce qui conduit à des économies d’échelle quand le marché de la firme s’étend), de vendre le plus cher et le plus possible, de baisser les stocks au maximum, de servir aussitôt la clientèle (laquelle s’est diversifiée puisque les firmes et le commerce sont internationaux), de s’adapter le mieux et le plus vite possible à l’évolution du carnet de commande, ce qui suppose que le personnel soit flexible, etc. C’est que les critères et les résultats financiers d’une part sont le signe de la compétitivité de l’entreprise et d’autre part alimentent la croissance exponentielle des dividendes et des valeurs des actions.

Ainsi, domine maintenant depuis environ 20 ans la seule logique financière à laquelle les entreprises, si elles veulent survivre ou se développer, sont obligées de sacrifier par effet de système : si vous ne faites pas comme les autres, vous êtes fichus. Mais ce système n’est pas éternel ou justifié par des lois perpétuelles de l’économie, indépendantes de l’histoire, des cultures et des territoires. Il a été bel et bien crée par des décisions souvent conjoncturelles des gouvernants. Ce qu’ils ont fait souvent à court terme mais produisant des effets durables de structure peut être modifié par d’autres choix de société et par une autre législation plus conforme à l’intérêt de tous et de la planète.

Les premiers à tout mettre en œuvre pour bénéficier des différentiels (de fisc, de protection du travail [santé et droit], de législation environnementale) furent les distributeurs ou les producteurs de produits de grande consommation. Les hypermarchés achetèrent en Chine et dans le Tiers-Monde et empochèrent la différence de prix entre les produits nationaux ou européens et les produits des PVD, avant de se livrer une concurrence féroce sur les parts de marché, en passant par la toute-puissance de leurs centrales d’achat. Le textile, les chaussures de sport, etc. passèrent dans ces pays-là. On a l’exemple ainsi des « sweat shops »,(Nike, Lacoste par exemple) ateliers de sueur, qui fabriquent alors que les firmes font de la coordination, des modèles et s’occupent avant tout de la marque et du logo . Du coup les producteurs hexagonaux se mirent eux-mêmes à délocaliser pour vendre en Europe tout en améliorant leurs marges financières. Wal-Mart, USA, est le champion toutes catégories de la dérégulation de tout et de l’exploitation totale des fournisseurs et des employés. Les gouvernements laissent faire car ils pensent que cela entraîne une baisse des prix, ce qui rehausse le pouvoir d’achat quand les rémunérations du travail stagnent ou diminuent, ce qui est le cas. Mais ça traîne ; alors Sarkozy a réuni les patrons des hypermarchés (qui se sont développés à la vitesse grand V grâce à des accommodements politico-affairistes et à la corruption et en violation des lois Royer et Galland sur le commerce) pour leur remonter les bretelles et exiger une baisse de 5 % des prix. Il obtint en fait royalement 1,5 à 2 %.

Causes idéologiques

La théorie keynésienne, qui analysait les crises comme insuffisance de la demande d’investissement et de consommation par excès de thésaurisation des liquidités (épargne trop importante et surtout consacrée à la conservation au lieu de l’investissement et de la consommation), et qui recommandait alors aux Etats de relancer ces choses par des investissements et des incitations, a été vaincue par le libéralisme propulsé par les réservoirs de pensée libérale (think tanks), le premier étant la société du Mont Pèlerin lancée par Hayek et par le monétarisme réalisé par Pinochet sous la houlette de Milton Friedman.

Les organismes internationaux, dominés par les USA, tels le FMI (les droits de vote y sont proportionnels aux contributions ; ainsi les USA peuvent tirer la plus grande part des fonds puisque ils sont les plus gros contributeurs, que leur monnaie sert d’étalon international et que même s’ils font de la planche à billets dans le crédit, ils n’en assument aucunement les conséquences tant que leur monnaie reçoit la confiance des marchés internationaux), la Banque mondiale, le G 7 puis 8, imposèrent partout aux pays endettés (Mexique, Argentine, Afrique, Asie) des « plans d’ajustement structurels » à potion libérale (le fameux consensus de Washington) : ouverture des marchés intérieurs, libre circulation des capitaux, privatisation des services publics, réduction de l’endettement et hausse des taux d’intérêts pour ce faire, dérégulation, c’est-à-dire remplacement des règles économiques assurant un contrôle de l’Etat sur les opérateurs par des autorités de surveillance (les commissions de régulation) contrôlant l’application de nouvelles règles, décidées par les gouvernants et permettant la « concurrence libre et non faussée » tout azymut, etc. Ce qui coula les économies concernées. Un des rares pays à s’en sortir fut la Birmanie qui refusa d’appliquer ces mesures hyperlibérales. Aujourd’hui le Mexique commence à s’en sortir car il a carrément refusé de payer toute sa dette, ce que le FMI a fini par accepter car la faillite d’un aussi grand pays pourrait causer un krach financier mondial par effet de dominos.

Dérégulation ne signifie pas absence de règles mais nouvelles règles qui vont toutes dans le même sens, à savoir la généralisation de la concurrence et l’ouverture de tous les marchés sur toute la planète. Pourquoi ? Parce que la théorie économique de l’équilibre général, spontané en cas de concurrence généralisée, l’a emporté : victoire de Reagan, de Thatcher, de Pinochet inspiré par le monétariste Friedman, des esprits libéraux dans l’UE. Cette théorie suppose que le libre marché sans entraves, y compris dans le domaine des capitaux et de la finance, conduit au meilleur équilibre possible, à la meilleure affectation des ressources, à la meilleure spécialisation des pays suivant la bonne vieille théorie de Ricardo sur les avantages productifs, devenus avantages compétitifs.

Partout a régné depuis environ 20 ans l’idéologie libérale (la pensée unique) enseignée comme seule théorie dans les universités, propagée par les think tanks, appliquée par les organismes internationaux, par les experts, reprise par l’UE (marché unique, indépendance de la banque centrale, refus d’harmonisation des politiques fiscales, sociales, environnementales, etc.) et élevée à un rang constitutionnel (par le projet de Traité constitutionnel européen rejeté en 2005 par les Français et les Hollandais), véhiculée par les fondations privées et exonérées d’impôts, adoptée par M. Blair, pratiquée en douce par les socialistes français prônant la révolution en réalisant la victoire du marché et en privatisant à tour de bras. Un tsunami idéologique a donc favorisé l’imperium de la phynance partout dans le monde pour le plus grand bien des multinationales, des gouvernements impécunieux liquidant à court terme les bijoux de famille et même, dans une certaine mesure, des consommateurs.

Mais l’idéologie n’explique pas tout. En réalité, elle sert surtout de justification pseudo scientifique aux menées des lobbies, des groupes de pression et des politiciens. Les lobbies ont intérêt à tout rendre au marché car cela crée des occasions de spéculation, des espaces de profit rapide, des lieux d’investissement plus rentables, des distorsions de législation. Ce qui a le plus joué, derrière l’idéologie, c’est la conjonction entre les lobbies et les politiciens, les premiers corrompant les seconds pour qu’ils fassent voter des lois dérégulatrices. Pour ce faire, les experts économicistes furent convoqués pour expliquer que les vieilles régulations étatiques ne fonctionnaient pas : le régulé phagocytait le régulateur par suite de ‘l’asymétrie des informations détenues par la firme et inconnues du régulateur. D’où des distorsions de concurrence introduites par l’appareil législatif de réglementation et de contrôle. Seul le marché libre permet une harmonisation spontanée et efficace des décisions, des marchés, des valeurs, des prix. On en revient à la « main invisible du marché » chère à Adam Smith. Donc les réglementations étatiques furent remplacées par des « régulations » assurant une « concurrence libre et non faussée ». elles furent décidées par les gouvernements pour remplacer les anciennes règles législatives grâce à l’expertise idéologique, la corruption politique, la pression économique et la mentalité libérale généralisée. Enron fut le grand spécialiste du lobbying (400 lobbyistes à demeure à Washington, emplois de républicains dans la firme, pantouflages Enron-administration, financement des campagnes électorales républicaines) et obtint des administrations BUSH 1 et 2 de superbes lois faisant sauter tous les secteurs réglementés (gaz, eau, électricité, télécommunications). C’est dans les nombreux trous des nouvelles « régulations » (certains étant voulus), que Enron a pu se transformer en simple courtier puis en pur financier, en entreprise sans actifs, « sans usines ». Quel courtier ou « trader » ? C’était un intermédiaire entre offreurs et demandeurs. Il est devenu un vendeur de produits dérivés.

Le courtage, quand il est contrôlé, est cependant une fonction utile pour l’économie, ce qui donne une justification de première importance. Prenons un pays en déficit électrique voisin de pays disposant de ressources non utilisées. Comme l’électricité ne se stocke pas, il est intéressant d’organiser une bourse entre pays de façon que au jour le jour des échanges se fassent, la consommation n’étant pas la même partout en fonction des saisons, des latitudes et des heures. Cette bourse relève du trading et est donc utile, notamment parce qu’elle évite de consentir d’énormes investissements de précaution pour faire face aux variations de consommation et aux aléas dans chaque pays alors que d’autres auraient des capacités inutilisées. Mais le trading permet aussi la spéculation directe sur les matières comme on l’a vu lors de la grande famine qui a amené la chute de Louis XVI, des courtiers en blé (les accapareurs) ayant spéculé sur les stocks pour faire monter les prix. Et quand il ne s’agit plus de matières mais de dérivés de dérivés alors tout devient signe de signe, virtuel, immaîtrisable. C’est ce qu’ont facilité les gouvernants dérégulateurs. Mais direz-vous, pourquoi autant d’autorités de régulation maintenant ? C’est justement pour cacher la déréglementation et ses effets pervers et pour dédouaner les gouvernants de leurs responsabilités au profit d’instances techniques soi-disant neutres. De toute façon, comme l’ont montré les récentes faillites retentissantes, elles arrivent après la bataille et n’arrivent jamais à démêler l’écheveau des responsabilités.

Causes techniques

Le mouvement a été facilité et accéléré par les innovations technologiques des NTIC, nouvelles techniques d’information et de communication avec le développement des ordinateurs, des réseaux, du WEB, du numérique. Ces techniques fonctionnent à la vitesse de la lumière ou presque et permettent donc de gérer en temps réel et même de façon virtuelle les transferts de capitaux et les commandes de marchandises. Ces mêmes techniques permettent en même temps l’évasion fiscale, la fraude, le blanchiment d’argent sale dans des places « off shore », dans des paradis fiscaux où les capitaux et les profits ne sont pas imposés. En effet, les mouvements de fonds, par ailleurs protégé par le secret bancaire assuré par maintes structures (Monaco, les Iles Anglo-normandes, les Bahamas, le Luxembourg, le Lichtenstein, bref les micro-Etats prétendument souverains), peuvent passer par N plus 1 étapes et lieux avant de se stabiliser, ce qui rend impossible la « traçabilité » des capitaux alors qu’elle est assurée pour n’importe quelle vache folle. Notons cependant que les repérages seraient possibles, moyennant de gros moyens, ce que les Etats et les multinationales ne veulent pas financer car, en réalité, la chose les intéresse. Ainsi une législation yankee autorise-t-elle les multinationales US à profiter des différentiels fiscaux pour domicilier une large part de leurs profits dans des paradis fiscaux. Cela favorise la compétitivité desdites entreprises et du pays. La prospérité actuelle des britanniques, grande place financière, découle avant tout des paradis fiscaux et des magouilles financières de la City. Cela explique pourquoi la Grande-Bretagne ne rejoint pas la zone Euro.

Ces NTIC permettent aussi une augmentation exponentielle de la productivité, ce qui renforce l’absence de nouveaux investissements tant que les capacités de production, dont le rendement est amélioré, ne sont pas saturées. L’avantage compétitif appartient alors aux pays qui ont développé une « économie de la connaissance », une grande qualification des emplois par le savoir, une économie des services associés (conseil, aide aux entreprises) qui permettent de maîtriser à fond l’utilisation de ces NTIC.

Les NTIC ont fait l’objet d’une bulle justifiée par tous les acteurs : les financiers, les pouvoirs politiques (revoir l’affaire des licences GMS et UMTS), les start-up. Elles ont crée un état d’esprit qui a fait prendre des ventes virtuelles sur des réseaux (et parfois sur des techniques comme celles de l’UMTS) n’existant pas encore comme espérances de gains futurs offrant une rentabilité énorme car la nouvelle économie de la connaissance ne demande pas de gros actifs et investissements. Les titres s’en trouvaient de plus en plus surévalués. Ainsi AOL a pu absorber Time Warner qui pourtant était une entreprise, munie d’actifs réels, car sa capitalisation boursière fictive (la valeur boursière de ses titres sur le marché financier) était 4 fois plus importante alors qu’elle n’avait pas de capital physique. Bill Gates a commencé dans un garage et est aujourd’hui grâce aux brevets Microsoft l’homme le plus riche du monde (48 milliards de dollars).

Causes juridiques

Les démocraties ne fonctionnent plus, ne sont plus représentatives, sont ouvertes aux lobbies et dominées par les experts. Les politiciens n’y sont plus que des démagogues, des communicants, des court-termistes se partageant un marché politique Voir mon livre « agir ensemble dans un monde partagé ». Il y suffit d’avoir la majorité législative pour décider n’importe quoi contre la minorité et surtout contre l’intérêt général.

Il n’y a pas à insister. Toutes les possibilités offertes actuellement à la phynance sont autorisées par des législations ad hoc parrainées par les différents Etats ? Ainsi les brillants taux de croissance de l’Irlande (dans les 5-6 %) sont-ils dus à la très faible fiscalité exercée sur les bénéfices (12 %) des entreprises par ce pays membre de l’UE.

En conclusion sur les causes, il doit être clair qu’elles ne sont pas juxtaposées. Elles se renforcent les unes les autres et créent un effet de système qui rend l’automaticité de la phynance actuelle absolument épouvantable. Nul pays, pas même, les USA, n’a les moyens de se soustraire à cette logique de système qui fonctionne pour ainsi dire toute seule. Mais impossibilité de se soustraire, ne signifie pas disparition de tout moyen d’action dans les Etats au niveau local de la globalisation financière et de la mondialisation marchande. Les pays du Nord (Norvège, Suède, Danemark et Pays-Bas) montrent que l’on peut pourtant un modèle social social-démocrate. Par ailleurs, il n’y a pas complot. Il y a simplement un « bloc hégémonique » (Gramsci) dont les acteurs convergent dans le maintien du statu quo libéral par la concomitance et la similitude de leurs intérêts. Les politiciens cherchent à conserver leurs sièges, les journalistes à faire de l’événement et du spectacle tout en étant soumis aux puissances d’argent qui dominent les médias et à l’audimat, les multinationales à faire supprimer toute réglementation défavorable en tous domaines, les experts à devenir célèbres et à détenir un pouvoir occulte d’influence, les patrons à faire du fric au maximum, les syndicats à être reconnus et à vivre de subventions étatiques, etc. C’est un système bloqué légitimé par l’individualisme généralisé, la « société du spectacle », la consommation ostentatoire, la « fatigue d’être soi », le communautarisme. Car le capital se nourrit des divisions ; il repose sur l’individualisme atomistique et sur le molécularisme communautaire.


Jacques Langlois