Avec celle que beaucoup appellent simplement Marianne, on voudrait tout évoquer, sauter du coq-à-l’âne, du local à l’international, de l’action à la réflexion. On papote grands principes de l’anarchisme : « Jamais il n’y a eu autant de propagande anti-électoraliste, de messages abstentionnistes que ces derniers mois en France, et pourtant le taux de participation à la présidentielle a été de 86% ! » Au détour d’une conversation avec l’un des militants qui travaillent au CIRA, elle prend ou donne des nouvelles de telle ou telle action syndicale, ouvre des paquets, s’assure du bon déroulement de la campagne de soutien. Plusieurs heures par jour, depuis plus de quarante ans, elle lit, écrit, commente, édite, se consacre bénévolement à cette bibliothèque. « Pour les sous », elle est traductrice. Dessins et affiches aux murs, images de chats noirs et matous en chair et os, dans cette bibliothèque entourée d’un jardin florissant, Marianne Enckell évoque son parcours.
N’avez-vous jamais douté, eu envie de partir, de quitter le CIRA ?
– Pendant les vingt premières années, oui. D’ailleurs si un projet professionnel ou amoureux s’était présenté de m’emmener ailleurs, je serais peut-être bien partie. Quand j’ai eu 45 ans, j’ai commencé à penser que je resterais au CIRA. Et puis, mes doutes, j’ai toujours pu les exprimer au sein de revues comme Interrogations ou MA !, avec des copains, lors de colloques, dans des groupes soudés. Depuis une dizaine d’années, je participe à la revue Réfractions avec des compagnons français, belges et suisses. On réfléchit, on échange. A Lausanne, je rencontre les membres de l’Organisation socialiste libertaire et de l’Espace autogéré.
Dans les années septante, vous vous engagez d’ailleurs dans l’action syndicale. Qu’avez-vous tiré de cette expérience ?
– C’était un travail alimentaire. Chez Lucien Tronchet, à la Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment (FOBB) de l’époque, je faisais du secrétariat de base. Mais, sans aucun doute, le travail avec Dan Gallin au sein de l’Union internationale des travailleurs de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de l’hôtellerie (UITA) m’a réconciliée avec le syndicalisme d’action directe, d’auto-organisation, d’autogestion. Ce travail m’a fait abandonner ma thèse. Lorsqu’il s’agissait d’écrire rapidement un rapport sur Nestlé ou Coca-Cola pour les personnes qui étaient sur le terrain, il fallait arrêter de lambiner. En outre, dans ces structures, je n’ai jamais eu à cacher mon origine anarchiste. Ensuite, on m’a demandé de prendre de grosses responsabilités, je ne voulais pas être complètement disponible pour la boîte, alors j’ai arrêté.