Il faut rappeler que la libre circulation des capitaux à l’échelle mondiale a été mise en place depuis longtemps par des décisions politiques initialisées aux USA et copiées ensuite par tous les pays, y compris scio-démocrates. Elle fonctionne aujourd’hui à plein rendement, ce qui veut dire que lesdits capitaux sont en permanence à la recherche des meilleurs taux de rentabilité sur toute la planète. Mais comment fait-on de bons taux de rendement ? Par des tas de moyens, déjà amplement décrits dans des articles précédents.
Le dernier est le rachat par effet de levier (LBO, leverage buying out) : un fonds d’investissement privé (en rosbif : private equity, comme Carlyle), transformé en holding, rachète une entreprise prometteuse ou disposant de solides actifs sous-évalués avec 10à 20 % d’apport en capital propre (apporté par des actionnaires) et en empruntant le reste aux banques. C’est profitable pour les banques car les taux d’intérêt réels (taux moins inflation) à moyen terme ou long terme sont devenus très faibles depuis que les gouvernements ont cassé l’inflation grâce à une mesure très simple : l’interdiction de l’indexation des salaires sur l’inflation.
En France, c’est le curé Delors, sous Mitterrand, qui a procédé à l’affaire. Vive le socialisme. C’est profitable pour l’emprunteur en LBO car c’est en fait l’entreprise rachetée (comme Picard surgelés, en difficulté à cause de cela) qui paye les intérêts, ce qui diminue ses bénéfices et car de nombreuses exonérations fiscales améliorent le jus de l’opération. Le LBO est devenu légal et même facilité par la législation française plus favorable qu’ailleurs.. Au bout de 4 à 5 ans, après restructurations et dégraissage de rentabilisation accélérée, la firme devenue profitable est revendue avec une grosse plus-value fort peu fiscalisée. Ainsi le LBO permet des rendements de 30% des maigres fonds initialement placés, le reste ayant été emprunté pour 80 %. Et le private equity continue son œuvre de prédation avec la bénédiction des pouvoirs publics, car c’est devenu l’opération la plus juteuse, bien plus qu’une OPA ou une OPE
Eh bien, comme on le voit, c’est la loi et le droit qui permettent ces merveilles, comme pour les paradis fiscaux dont on a déjà vu le rôle essentiel dans le développement de la mondialisation financière, comme la possibilité de racheter ses propres titres pour augmenter le rendement des actions restantes à bénéfice constant, comme le droit de mettre son siège social dans un pays moins « taxeur » des bénéfices consolidés, etc. Le droit est le premier moteur, à condition que des élus compradores, devenus majoritaires, qu’ils fussent de droite ou de gauche, le propulse pour installer les structures adéquates à l’installation du néolibéralisme financier.
Une très large part des bénéfices et de la rentabilité des firmes internationales provient des différences de législations : sociale, du travail, fiscale, environnementale, de protection de la santé, de normes de dangerosité des produits. Le capital est une machine thermique dont le rendement dépend de la différence de température entre la source froide (le taux de rendement de 15 % minimum exigé partout) et la source chaude : l’absence totale ou presque de lois régulatrices. Cette machine, profilée ainsi suivant le deuxième principe de la thermodynamique ou principe de Carnot (principe d’entropie), ne peut fonctionner qu’à deux conditions : la concurrence « libre et non faussée » et la libre circulation des capitaux sur tout le globe, propagée par l’OMC, le FMI, la Banque mondiale, Le G 8, l’OCDE, etc. et les différentiels, si j’ose dire, de température législative des différents pays
La compétition sauvage ainsi ouverte entre pays et territoires plus ou moins réglementés pousse les gouvernements à supprimer tous les désavantages compétitifs. Le moyen de le faire est de manipuler le droit au profit du capital. Ainsi, depuis déjà 20 ans, le droit social ou du travail des pays convertis au néolibéralisme commercial est l’objet d’une casse systématique, par saucissonnage et par petites étapes. D’un seul coup, ce serait trop voyant et il se trouve que les citoyens-salariés sont encore munis d’un droit de vote. Schröder en Allemagne a détruit les acquis de la vieille social-démocratie. Chirac, pourtant pape de la fracture sociale, élu par tout le peuple en 2002, en a profité pour gérer les affaires au profit du MEDEF. Blair a aisément rechaussé les bottes de Mme. Thatcher au nom de la troisième voie. Seuls résistent encore les petits pays du Nord. Pas pour longtemps car le tsunami concurrentiel finira par tout emporter. Quand on est un vieux pays industriel lancé sur le toboggan de la compétition mondiale, on ne peut que descendre. Montent à la corde à nœuds les PVD comme la Chine, l’Inde, le Brésil, précisément parce qu’ils concourent sans être hyperlibéraux et en tolérant, voire en facilitant, des inégalités extrêmes et en ne créant pas de législation fiscale, sociale, environnementale pour protéger leur population.
La bonne nouvelle c’est que la différence de température disparaît peu à peu et que le moteur ne pourra que s’arrêter, on ne sait quand (à long terme nous seront tous morts disait Keynes). La mauvaise nouvelle c’est que les salariés des ex-futurs pays riches paieront plein pot la réduction du différentiel pendant très longtemps. Jusqu’à quand ? On n’en sait rien ; on ne pourra compter les morts qu’à la fin du processus. En attendant, les gouvernements cassent toutes les législations protectrices, traînent les pieds envers les législations de principe de précaution (que Chiracos a pourtant fait inscrire dans la Constitution) et promettent que grâce au libre-échange généralisé l’abondance viendra comme le paradis lors du jugement dernier ou la fin des luttes de classes lorsque le socialisme régnera.
Le droit est donc l’arme de la régression vers la misère, le libéralisme la philosophie de la misère, le socialisme démocrate la misère de la philosophie. L’Europe détient le ruban bleu du libéralisme économico-financier. Alors que les USA protègent leurs industries et leur agriculture par tous moyens, font du keynésianisme (déficits budgétaires et commerciaux, taux d’intérêts, subventions, lois protectrices), l’Europe, elle, ne jure que par la concurrence et la libre circulation des capitaux, casse les services publics, empêche la naissance de grandes firmes de niveau international.
Le droit européen n’est qu’une machine de guerre pour imposer à tous les pays qui y sont soumis le plus pur libéralisme concurrentiel entre pays européens, quitte à désavantager ladite Europe dans la concurrence internationale et à instaurer une concurrence sauvage entre les pays adhérents.. Au profit des USA, ce qui est le vœu depuis toujours de la Grande-Bretagne, admise en Europe après la mort du général de Gaulle. Ce n’est pas un hasard ; l’admission de la G-B en 1973 a sonné le glas de toute Europe politique au profit du seul marché. Qui plus est en n’entrant pas dans la zone euro, les Britanniques se sont réservés le monopole européen de l’activité financière mondiale dans laquelle ils sont les meilleurs grâce aux nombreux paradis fiscaux qu’ils peuvent actionner ou qui dépendent directement d’eux (Jersey, Guernesey, etc.). Et tout cela grâce à l’absence de droit européen et grâce à la transformation du droit national en appendice de la « concurrence libre et non faussée », ce qui avait été mis comme principe constitutionnel dans le traité constitutionnel européen (TCE) !
Comment les gouvernements se sont-ils laissés aller à ces structures favorables à la rente, au patrimoine, au fric tout puissant ? Certains, comme la G-B par pure idéologie, cependant mâtinée d’intérêts : c’est la première place financière mondiale. Par intérêt, comme l’Irlande, par exemple, qui attire les investissements internationaux avec une fiscalité sur les bénéfices des sociétés ramenée à 12,5 % contre 33 en France. Par bêtise socialiste comme en France : les socialos n’ayant pas tenu compte du contexte international furent obligés dès 1983 (le tournant de la rigueur) de sauver les meubles. Ils le firent en se coulant dans le modèle libéralo-financier. Ainsi, le curé Delors supprima l’indexation des salaires sur les prix, autorisa la libre circulation des capitaux, fit appel à l’épargne internationale pour financer le pays et ses firmes nationales et privatisa après avoir recapitalisé les firmes d’Etat. Résultat : 45 % du capital des fleurons de l’industrie française passèrent aux mains des fonds de pension assurant, notamment, les retraites des rombières de Californie, et dans celles des fonds d’investissement. Ce faisant, le pays passait sous les fourches Caudines du capital financier mondialisé. Et cela continua : les socialos en peau de lapin autorisèrent les rachats par les entreprises de leurs propres actions. Cette idiotie est en fait institutionnelle : la démocratie clientéliste et d’opinion exige une majorité d’électeurs et les gouvernants français sont devenus ivres du pouvoir. Pour se maintenir, on ne fait ni prospective, ni analyse de la situation, tout occupé qu’on est aux jeux du pouvoir. N’ayant rien prévu, on se dépatouille au fur et à mesure, notamment en vendant les bijoux de famille pour combler les trous du budget.
Tant pis pour l’avenir. Remarquons cependant que le chiraco-radicalisme procède exactement de même. Enfin, certains y sont contraints : l’Europe n’ayant presque rien accordé aux entrants (on est passé rapidement de 15 à 27 pays dans l’UE) comme fonds structurels d’aide et ayant réservé le bénéfice de la PAC aux anciens, lesdits entrants n’ont que le choix de faire du dumping en tout genre s’ils veulent observer les règles du libre-échange européen et mondial. CQFD