Introduction
Les différentes étapes de l’expansion du monothéisme modelèrent la pensée occidentale dont nous sommes les héritiers, avec les tares et les forces génétiques afférentes. Afin de bien comprendre le rôle de la violence dans notre pathos, une brève approche synthétique permettra de situer les enjeux historiques, théologiques et politiques des luttes internes et des influences contextuelles. Je laisse l’énorme apport bibliographique à l’appétit du lecteur curieux. Ici, il s’agit de focaliser principalement sur notre sujet tout en rendant compréhensible sa genèse.
A – Le Christianisme.
Héritages.
Le christianisme ne sort pas du chapeau d’un magicien nommé Jésus. Il est le « fruit des entrailles » de l’Ancien Testament qu’il ne répudie pas. Il conserve les grandes ondes porteuses de la Création, d’Unicité de Dieu, d’un rapport hiérarchique entre la créature et son Créateur qui lui octroie une valeur spécifique sur l’ensemble des éléments et des êtres vivants. L’histoire est le thème central de l’Ancien Testament (AT), toutefois le récit ne se veut pas « scientifique ». L’histoire n’est pas un enseignement, mais une prédication adressée aux hommes par l’entremise d’un peuple.
L’AT met en scène une religion nationale, celle d’un peuple choisi par Dieu pour porter son message. La monolâtrie se transforme en monothéisme qui délie progressivement l’attache territoriale. L’unicité du Dieu créateur implique qu’il est partout chez lui. Son invisibilité génère la notion de transcendance incompatible avec la territorialité. L’Alliance se rejoue dans les gestes cultuels. L’Élection relève de la volonté divine et non du peuple élu ; c’est une soumission. Gare aux tentatives narcissiques de se prendre pour le nombril du monde. Les punitions seront à la hauteur de la puissance divine.
Nous l’avons vu, le monothéisme favorise une anthropologie nouvelle : l’ethnocentrisme cède le pas à un anthropocentrisme révolutionnaire dont les thèmes fondamentaux perdurent : le Bien, le Mal, le péché, la grâce.
Du judaïsme constitué, deux notions fondamentales émergent : le Temple (puis la synagogue) et la Loi. Des prescriptions et des rites scellent l’Alliance et soudent la communauté. L’obéissance se fait vertu cardinale. Hors de l’orthopraxie point de salut. Jésus ne nait pas chrétien, il est juif à part entière [1]. Sa prédication est une protestation contre le légalisme stérile de son époque. La lettre nuit à l’esprit.
Enfin, le christianisme se forge dans un contexte particulier. Les Grecs ont pris pied sur le continent. L’empire romain marque de son sceau indélébile la terre du monothéisme. Des tensions fondamentales apparaissent.
D’abord, si les diasporas dispersées dans le monde gréco-romain paie toujours l’impôt au Temple, la culture grecque s’infiltre dans l’édifice monothéiste. L’hébreu cède devant la poussée de la langue grecque. La traduction de la Torah en grec (la Septante, à partir de moins -270) est un signe éloquent du malaise dans la culture juive de l’époque. Les infiltrations grecques pénètrent le corpus doctrinal du judaïsme, de même que des individualités font le pont entre les deux rives de la Méditerranée de Philon d’Alexandrie à Saint Paul et Flavius Joseph (pour les plus connus). Certains auteurs utilisent le terme de judaïsme hellénistique pour désigner les populations juives dispersée dans le monde gréco-romain tout en gardant un lien avec le Temple de Jérusalem.
Des notions nouvelles apparaissent dans le judaïsme : le cosmos, le Créateur devient l’artiste, le contremaître ; le Stoïcisme fait une percée remarquable : l’unité du monde est une preuve de l’existence de Dieu, la pneuma, (le souffle), flirte avec la sagesse divine. Bien évidemment le fameux logos (Nous verrons plus tard que fumeux qualifie mieux le logos, concept mythique et miteux de la grécitude (grécité des hellénistes distingués), qui chez les stoïciens expriment l’aspect spirituel de la nature, devient naturellement la Parole divine. Déjà pour Philon « le logos divin est le médiateur entre Dieu et le monde, et les différentes puissances en qui il se subdivise, se retrouvaient dans les anges de l’AT. » Cette introduction, d’abord presque clandestine, de défroques grécoïdes dans la pensée juive transforme la conception de l’homme. « Sa qualité de créature ne peut plus être saisie au sens de l’AT. En effet, il a part au logos universel qui règne en lui comme il règne en Tout, et ainsi il est apparenté à Dieu. » (Bultmann p.110) si bien que le culte que l’homme doit rendre à son créateur est en esprit. Il consiste dans la connaissance et la pratique de la vertu comme domination spirituelle exercée sur l’élément corporel et sensible de l’homme. Philon considère l’offrande véritable comme disposition de l’esprit et un acte d’obéissance à la Loi et aux préceptes. Le temple véritable est dans le cosmos où le logos règne en qualité de grand-prêtre [2]. Ce faisant la critique pratiquée par le rationalisme grec contre le polythéisme et contre le culte sacrificiel se trouve légitimée dans une pensée juive pourtant hermétique à la rationalité pure. Dès lors, la foi n’est plus la soumission obéissante à la base des rapports avec Dieu, mais fermeté du caractère accompli de celui qui pratique la vertu.
L’apport grec, via Philon, amorce une transformation profonde. Platon devient le nouveau Moïse avec ses Idées transcendantales. Le dualisme platonicien renforce le dualisme latent du judaïsme. Par ailleurs, Philon introduit les mystères grecs qui combinent à la fois un lieu plus ou moins secret, mais toujours fermé, et la notion de sagesse par initiation. Ils trouvent dans l’AT un allié de poids dans la notion d’eschatologie. Qui dit mystère pense initiation, démons, ésotérisme, enfin un dualisme explicite avec le conflit bien / mal à la clé. Avec le sublime, le Beau (Platon) Philon impulse un courant mystique et une dose d’ascétisme dans un univers jusqu’à présent clos et fier de ses règles et de son élection.
Bien sûr, l’héritage grec se fait aussi sentir dans le concept de la nature qui peut être aussi objet de connaissance. La question du politique comme théocratie et comme royauté est confrontée brutalement à celle de la cité. La Loi divine n’est plus le seul fondement possible. La formule de Protagoras : « L’homme est la mesure de toutes les valeurs ; de celles qui existent, et de celle qui n’existent pas, afin qu’elles n’existent pas » est un véritable choc dans le landernau sémitique. La question de l’origine avec son développement de calculabilité et de science apporte une vision nouvelle à celle de la Création. Le conflit science et croyance pure s’ouvre. L’idéalisme platonicien ne laisse pas indifférent, car il respecte une certaine forme de transcendance à l’inverse d’Aristote pour qui « les choses sont » d’évidence et banalement.
Enfin, la naissance du christianisme baigne dans un climat de gnose non chrétienne vraisemblablement d’origine gréco-iranienne. Plusieurs thèmes fondamentaux proviennent de cette source multiforme :
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- – Une théorie de la connaissance de soi et de Dieu comme identique et incluant la certitude du salut.
- – Un dualisme radical dépréciant le cosmos.
- – Un mythe du « Sauveur-sauvé ».
- – Un mythe de l’ascension de l’âme.
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Le judaïsme connaît aussi une tendance gnostique, notamment dans le développement tardif de l’apocalyptique. D’autre part, la gnose se caractérise par une connaissance des mystères divins révélés à une élite. Les esprits malveillants ou tout simplement mal-pensants s’empresseront de transposer ce mode de pensée à la misère dominatrice qui règne dans les sphères de la politique jusqu’à nos jours. L’histoire ne manque pas de « Grands Initiés » de sinistre mémoire.
Autrement, la vie est une prison dans laquelle l’âme tombe en se faisant chair. Le Salut ne peut venir que d’une Rédemption venant de l’au-delà. Les gnostiques se regroupent en communautés fermées dans lesquelles l’enseignement reçu élabore une mystique individualiste basée sur la méditation et l’ascétisme favorable à la contemplation de Dieu.
Christianisme premier 1 : un double syncrétisme.
De toute évidence, le christianisme n’est pas un miracle christique ni un cheveu dans le houmous. Les spécialistes s’accordent sur le fait qu’il est un syncrétisme d’une puissance inédite. Le coup de pouce de Ponce Pilate avec son idée géniale de laisser crucifier le rabbin perturbateur compte pour beaucoup, car, sans Crucifixion pas de Résurrection. Ici, il n’est pas question de parier sur l’existence de Jésus ni sur sa nature divine ou charlatanesque. Mais tout simplement de comprendre la portée inouïe et catastrophique de l’action d’un groupuscule au moment de l’irruption d’un empire romain dominateur.
Comme tout syncrétisme, le christianisme opère une nouvelle synthèse des courants de son temps : Athènes + Jérusalem + Rome + Moyen-Orient. Nous affrontons une architecture idéologique centrée sur le bassin méditerranéen ce que les bonnes âmes appelleront le berceau de l’occident où plus modestement de l’humanité.
L’originalité du Christianisme repose sur la prédication d’un rabbin dont nous n’avons aucun écrit, un Socrate de l’autre rive. Ces disciples rapporteront ses paroles dont le corpus forment le NT comprenant les Évangiles et les Écrits reconnus lors de la fixation du canon scriptural échelonnée sur plusieurs dizaines d’années et objet de luttes intenses (cf. aussi le Coran et les hâdith). L’oralité devient Écriture au moyen de la langue grecque dominant dans les milieux branchés de l’époque. Première dérive linguistique, la prédominance du verbe « être » en grec altère déjà le sens – que l’on pense au célèbre : « je suis ce que je suis » ou « je suis ce qui est ».( En hébreu :"Je serais, ce que je serais")
D’emblée, le Christianisme se place dans la filiation directe du judaïsme, pas de rejet des cellules-souches, même pathos monothéiste séculaire, mêmes mythes fondateurs, même références à des personnages et à une généalogie, tout aussi imaginaires. Certains thèmes sont simplement transformés, amplifiés à travers une nouvelle figure (ou figurant) Jésus, le Messie de l’eschatologie monothéiste. Christ traduit messie qui fut un pétard mouillé en son temps, déception qui secoua les communautés juives. Le Seigneur Jésus-Christ par sa mort suivi d’une résurrection attestée par les témoins oculaires scripturaux entre dans ce que nous avons évoqués dans la religion des mystères sans laquelle l’expansion du Christianisme aurait été impossible. Le merveilleux convient très bien aux esprits sensibles de tous les temps, hélas, nous le savons preuves à l’appui.
Certains théologiens parlent du judaïsme hellénisé, mais à coup sûr, le judéo-christianisme mérite son nom. En plus d’être un syncrétisme, la nouvelle religion s’appuie sur un recyclage complet des dispositifs reçus en héritage. Il ne s’agit pas encore d’une sécularisation, mais d’un culte de la personnalité à travers de nouveaux concepts : Incarnation, foi qui remplace progressivement la Loi… Le syncrétisme judaïsant se double d’un syncrétisme hellénisant (stoïciens, Platon déjà évoqués). Paul établira de façon magistrale le pont entre les deux pôles, parfois contradictoires. Ses talents d’orateur et de propagandiste, d’un Lénine talentueux, élargiront les bases géographiques et ethniques du message christique. Bultmann dans son opuscule « le christianisme primitif dans le cadre des religions antiques » (Petit Bibliothèque Payot N°131, 1969) analyse par le menu les multiples chevauchements idéologiques de l’époque.
Christianisme primitif 2 : Les grands transformations.
Le Christianisme forge ses outils conceptuels qui ébranleront le monde comme toutes les grandes innovations techniques, politiques ou religieuses. Son affirmation monothéiste et sa lutte contre les polythéismes lui attirent les foudres des maîtres de la Méditerranée et charment les foules en quête de certitude et lassées de la domination de l’Impérium. Comme en génétique, les aléas du croisement des gènes multiplient les variations : délice des théologiens et des historiens. Contentons-nous de quelques thèmes majeurs restituant la problématique de la violence dans son contexte, le risque majeur est d’interprété le passé à la mesure du présent en extrapolant un futur tout aussi mythique qu’un passé mal digéré. Le présentisme négateur de l’histoire qui ronge les intellectuels post-modernes et décoloniaux constitue le grand danger de notre époque, l’amnésie sert de cache-misère, mais surtout de plate-forme idéologique à une virologie qui cache mal ses origines dominatrices manipulées par des prédateurs embusqués. La nouvelle Domination avance et promeut le nouveau monde au multiculturalisme déjà dépassé vers une société transhumaniste alliée parfaite d’un capitalisme qui se libère de ses affides (au sens ethnologique du terme, cf. Descola), des contingences : état, nation, institutions, peuple, religions, territorialités…
L’homme et le temps.
Les premiers chrétiens baignent dans la jouvence du judaïsme, radicalement opposée à la tradition grecque. Ils ignorent l’opposition de l’esprit et de la matière et la vie comme « œuvre d’art ». Pour eux, l’essence de l’homme n’est pas le logos, la raison, l’esprit ni les idées, avatars platoniciens dont la transcendance ne tardera pas à séduire. Les premiers chrétiens voient dans la volonté l’essence de l’homme. On ne trouve pas encore chez eux de pensée significative sur l’origine de la connaissance du bien et du mal. Pour eux, pas de rationalisation, c’est la volonté qui est bonne ou mauvaise. « C’est du cœur », c’est-à-dire de la volonté que viennent les bonnes ou les mauvaises actions » rappelle Bultmann en citant Luc 6, 43-45. Ici, le logos ne participe pas à la maîtrise de la volonté. L’homme est sa propre volonté. Paul, comme toujours, a des mots percutants : « Je ne fais pas ce que veux, mais je fais ce que je hais » (Rom 7, 15-25). Ce qui explique le cri : « Misérable que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui m’entraine à la mort ». C’est une double rupture, le respect de la Loi et des prescriptions ne suffisent plus, et le logos ne rentre pas encore en substitut.
Ici, apparaît un premier trait fondamental du christianisme : la Chair, sinon maudite, du moins lourdement taxée avec le corolaire de la transformation de la faute en mal, désobéissance radicalisée et révolte envers Dieu. Cette thématique liée à la volonté perdure, que l’on pense à la thèse de Paul Ricœur « Philosophie de la volonté (2vol, Points-Seuil) » qui comporte une réflexion majeure sur le mal, héritier naturel en cela de la Réforme. Du côté grec, l’homme surmonte le mal comme un degré de son développement, il tend vers le bien, vers la noblesse d’esprit à travers un perpétuel sens de l’effort via l’éducation. Base bien connue du progressisme dans sa version technologisée. Coté judéo-chrétien, le mal c’est le péché, la faute inscrite dans l’ADN qui implique des rapports altérés avec Dieu. L’homme nouveau nécessite le pardon du Créateur, l’homme juste est celui qui est absout. Toutefois, l’impuissance de la volonté est une caractéristique chrétienne comme l’énonce si bien Paul. Accomplissement de la Loi ne suiffit plus, selon Paul, ce sont les efforts en vue de se glorifier de Dieu qui sont la source de tous les maux, péché d’orgueil, car l’homme ne peut vivre que de la grâce de Dieu (1 Cor, 4, 7). La Crucifixion brise l’orgueil humain, Paul ne cherche pas sa propre gloire « ailleurs que dans la croix du Christ par qui le monde est crucifié pour moi, comme moi je le suis pour le monde (Gal. 6, 14). Quand l’homme prétend vivre de ses propres forces, il se ferme l’avenir promis dans l’A.T. C’est bien en renonçant à la gloire de l’orgueil qu’il s’ouvre véritablement à l’avenir, donc être sans cesse en chemin sans jamais atteindre de but (Phil. 3, 12). Même Paul conserve l’idée juive selon laquelle la gloire à venir compensera les souffrances du temps présent. Paul inocule une vision de la souffrance dont les germes fructifieront jusqu’à la caricature : mal = croix = souffrance. Les allusions mortifères et morbides pullulent dans la prose paulinienne. Il y a du Sader-Masoch chez Paul : la souffrance devient un don salutaire qui délivre l’homme du monde, du passé périssable et ouvre le chemin du supraterrestre. On retrouve toujours cette conception morbide dans les débats contemporains sur l’euthanasie, ou dans l’ expression « il faut s’ouvrir pour être belle », « …c’est pourquoi j’accepte les maladies, les outrages, les détresses, les persécutions et les afflictions à cause du Christ. Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Cor. 12, 9). On trouve ici dans sa formule sans vergogne une banalité logique du monothéisme christianisé : A⇔ C c’est à dire A induit son Contraire. Retour d’un dualisme refoulé, mais sublimé. Bonjour les dégâts !!! Le dolorisme sera visible dans l’iconographie chrétienne à travers les siècles. Paul et ses épigones pervertissent le stoïcisme. Le « tout est permis » s’accompagne de « mais je ne me laisserai asservir par rien » (1 Cor. 6, 12). « Ne devenez point esclaves des hommes » (1 Cor. 7, 24) En résumé, il faut se faire esclave du Christ pour se libérer de l’esclavage de la chair vénale. Si Paul récuse un conformisme sociétal, il fonde le conformisme nécessaire et obligé celui de la Foi, l’impérialisme nouveau et bien connu des sorcières et autres refuzniks. Le stoïcien vivait dans et par le logos, le chrétien par la foi. Nous avons là les deux mamelles de notre civilisation, leur synthèse fera fortune.
Pour conclure, la mort du Christ par Crucifixion, et, non de vieillesse comme un patriarche, fonde la nouvelle communauté, non plus celle du Sinaï, mais celle générique de l’homme. L’eschatologie explose les frontières du territoire. Le sol devient empire (et des meilleurs), l’hellénisation introduit à la latinisation. Le peuple de Dieu prend l’allure d’un corps mystique dont les avatars s’appelleront : état, nation, royaume, empire, bref la domination par la territorialité infinie, donc déterritorialisée. La Genèse comme cadre historique de l’homme devient caduque : le Christ devient la nouvelle histoire et la fin de l’histoire, l’A.T se fait N.T.
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- Digression. La philosophie de l’histoire sous-jacente sera une sécularisation anthropocentrée et une trahison naturelle de sa cellule souche. L’introduction du logos dans la foi dénaturera le christianisme primitif comme nous le savons.
S’introduit ici, une autre notion-clé du christianisme : l’individualisme. Si comme l’affirme Paul, avec brio, « il n’y a ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre, ni homme, ni femme », il n’y a que des individus équidistants en Christ, donc l’isolement absolu de l’homme devant Dieu. (Atomisation = Centralisation ou Concentration). Face au mal , au pardon et à la grâce, l’homme ne peut répondre qu’individuellement. Paul achève ce que Jérémie initia en son temps.
- Digression. La philosophie de l’histoire sous-jacente sera une sécularisation anthropocentrée et une trahison naturelle de sa cellule souche. L’introduction du logos dans la foi dénaturera le christianisme primitif comme nous le savons.
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-** L’Homme dans le monde.
La libération par rapport au passé, par distanciation progressive de l’A.T amorce une direction nouvelle : l’avenir. Bien évidemment, le changement de cap repose sur la boussole Christ dont l’aiguille dirige vers un lendemain hors sol.
La situation naturelle de l’homme dans la glèbe nécessite un rude coup de pied au « fondement » [3] De l’héritage de la gnose, le chrétien constate son impuissance et la crainte dans lesquelles il végète. Il faut dire que le gourou (le messie) ne lésine pas : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes véritablement mes disciples ; vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libre » (Jean 8, 31). Notons déjà que c’est la parole qu’il faut croire, pas les actes ni même la réalité – parole de gascon avant l’heure, plus simplement croit celui qui veut croire. Première leçon du livre : la vérité pour les nuls (crédules ne fait pas recette) : prendre conscience que l’on est dans la mélasse, plus particulièrement que le juif respectueux de la loi se trompe. La lecture de la Loi dans la synagogue voile la face et ne voit pas que le Christ abolit la Loi. Les neurones du juif pratiquant sont endurcis et aveuglés par des siècles de servitude à une ancienne parole-promesse dont il est devenu l’esclave avec son lot de dominations, d’autorités ou de puissances diverses (Rom 8, 38). Paul le Grec évoque même « les archontes de ce siècle » (1 Cor 2, 6 ; 2 Cor. 4, 4). Ne rêvons pas, il ne s’agit pas de militer pour une an-arcontie. Simplement, le Maître change, il a maintenant un visage (Christ) et surtout une extraterritorialité après un passage rédempteur dans le merdier co-créé avec son père et le souffle (Esprit). Paul utilise des arguments en béton : cette Loi ne venait pas en direct de Dieu, mais des anges, cela prouve que les archontes mêmes éclairés se trompent, il a fallu l’incarnation pour que le vrai message arrive à bon port avec « accusé de réception » et une signature en croix de l’illettré. On sait que Paul ne reculait devant rien que l’on relise 1 Cor. 15, 47 et ss où l’on trouve l’admirable utilisation de la tautologie précédemment évoquée : « Le premier homme, tiré de la terre, est terrestre ; le second est venu du ciel. Tel est le terrestre, tels sont aussi les célestes. Et, de même nous serons à l’image du céleste ». C’est le glèbeux qui fit le monde à son image, récipiendaire de la faute et de la mort.
Paul, le gnostique, injecte un virus : le vrai monde n’est pas celui que l’on croit. L’homme n’est pas celui qu’il croit être et ne peut pas le devenir par ses propres moyens. Le tout dans une sauce de culpabilité qui colle à la pilosité des barbus. En réalité, la chute implique la Loi, seul le christianisme dépasse la Loi par un changement de registre radical. Le péché entre dans le monde par la Création. Paul fait de la culpabilité un destin, elle est liée à la chair, à la Loi, au péché et à la mort. Si bien que vivre sous la lettre de la Loi produit des œuvres détestables et contestables. C’est toujours Paul qui livre le combat contre La loi, tout en reconnaissant dans Rom. 5, 20 que son contenu est saint et juste, mais qu’elle est une puissance funeste, car elle contient l’aiguillon de la mort qu’est le péché, renversement de l’argument il y a Loi à cause du péché donc la Loi contient le péché. Pas de solution autre que de sortir de cette Loi. Paul tortille dans tous le sens les arguties. Si le monde est une création de Dieu reconnue, il est aussi une terre étrangère. La sortie de l’Égypte inaugura une libération, la sortie du monde vérolé sera la suivante, l’issue est dans le ciel (Phil. 3, 20), l’ici-bas est un transit (intestinal avant expulsion). Ce monde est irrémédiablement sous la domination des archontes, les bras armés de Satan. (1 Jean 5, 19) : « le monde entier est soumis à la puissance du malin ». Toutefois, pour celui qui reconnaît la parole du crucifié, le monde est aussi son œuvre donc le Christ renouvelle le droit de propriété de l’homme sur la Création « Tout ce que Dieu a créé est bon, et rien n’est à jeter qu’on accueille avec actions de grâce ». Ainsi le chrétien est « maître du monde » (plusieurs occurrences sur ce thème cf. Bultmann p. 212).
-*Les nouveaux paradigmes.
: transcendance, rédemption, incarnation .
Le judéo-christianisme à la fois fourre-tout et philtre (filtre ne recouvre pas son aspect mystérieux) révolutionne les deux mondes dont il est l’enfant contre-nature. Impossible, ici de dresser un inventaire exhaustif de ses apports et de ses rejets. Concentrons-nous sur les concepts éclairant le sujet de la violence.
-** La transcendance.
Dans l’A.T, elle est rejetée dans l’invisible, la Lumière aveuglante de la Toute Puissance, la Loi est sa preuve, comme immanence orthopraxique. La contribution chrétienne, avec le soutien de la gnose, lui confère une nouvelle valeur absolue. Dieu et le monde sont diamétralement opposés, irréconciliables, sans un acte obligatoirement divin. Ce faisant, les premiers chrétiens rejettent une partie de tradition stoïcienne et grecque : Dieu est immanent au monde régi par des lois physiques cosmiques, les forces naturelles sont de nature divine. Pour eux, le monde est tout ce qui est en bas, les ténèbres, le mensonge, la souffrance et toute la sainte litanie des malédictions ; Dieu est ce qui est en haut (le Très-Haut), la lumière, la vérité. Personne n’a jamais vu Dieu (Jean 1, 18), il habite une lumière inaccessible (1 Tim. 6, 16). Bref l’injonction est parfaitement claire : « N’aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde », « Tout ce qui est dans le monde…, ne vient pas du Père, mais vient du monde »(1 Jean 2, 15 et ss.). Ne mélangeons pas les torchons et les serviettes, morale que l’on retrouvera plus bas. Toutefois, le christianisme nuance, la transcendance n’est pas pure négation, simplement, elle est une Souveraineté seigneuriale qui ne tolère aucun orgueil de la part de l’homme oublieux de sa qualité de créature. Leitmotiv bien connu : « Dieu résiste aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles » (Jacq. 4, 6 ; 1 Pierre 5, 5 ; reprise de Prov. 3, 34). Là encore, la métaphore sert de démonstration : Dieu agit sur l’homme comme le potier sur l’argile ; il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut (Rom. 9, 18, 20). Pas de sagesse dans ce monde de folie. Le christianisme se démarque de son prédécesseur en spécifiant que la transcendance de Dieu est sa grâce à travers son sacrifice rédempteur de la Croix. Le chrétien avance masqué dans le monde sous une cagoule mortuaire, version primitive du bal tragique à Colombey. L’inénarrable Paul ose affirme dans Gal. 6 , 14 : « Jamais plus je ne chercherai ma gloire ailleurs que dans la croix du Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme moi je le suis pour le monde ». « En tant que grâce, la transcendance de Dieu réside dans son caractère de futur permanent » affirme Bultmann, paulinien en diable. Avec la grâce, le présent est un futur permanent. La résurrection annule le passé et présentifie l’avenir pour ceux et celles, bien évidemment, qui bénéficient de la grâce, sinon…basta !
Ce n’est pas le lieu d’épiloguer sur ce thème dont on perçoit l’avenir radieux dans les méandres de la sécularisation. Nous y reviendrons.
-**La rédemption.
C’est un mystère, un événement dont l’origine est dans le monde divin et qui s’accomplit en l’homme. Elle est une délivrance de la chair, du péché de la loi et de la mort, bref le doliprane, sinon le narcotique universel. Délivrée sans ordonnance la potion « Jésus sauve » et « lave plus blanc » . L’humanisation de la transcendance en la personne du « Fils de l’Homme » (modeste et génétique douteuse ) avec l’acception du supplice de la mort est le sacrifice expiatoire tant attendu. L’ironie facile de l’anticléricalisme post-catéchisme dissimule la portée réelle de ce concept. La victime expiatoire entre dans la panoplie du parfait croyant, la rédemption prend la dimension d’un événement cosmique, le vieux devient nouveau (2 Cor. 5, 17). Jean ne lésine pas non plus dans la surenchère (9 , 39 ; 14, 6 ; 12, 32). La délivrance et ses développements quasi magiques firent beaucoup dans la réussite de la prédiction chrétienne. Inutile de se casser la tête à « talmuder » comme un fou, ou d’observer des centaines de préceptes tatillons, avoir la foi (souvent après avoir eu les foies devant la mort et la souffrance) suffit largement.
Fait extraordinaire, l’eschatologie commence dans le présent et s’accompagne par l’établissement d’une communauté hors sol, comme délivré des puissances naturelles : le célèbre corpus mysticum dont les avatars occuperont une place de choix dans la théologie médiévale et les vagues successives de sécularisation. Le futur crucifié avait prévenu : « Quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jean 12, 32). Toujours sur le même thème, la venue du Christ est un re-commencement de l’histoire eschatologique, les vieilles histoires cèdent devant l’inouï de la nouvelle. La fin des temps est dans le présent pour celui qui croit et qui obéit. La croix ouvre les portent « du pénitencier ». La rédemption est un événement absolument présent (Jean), mais attention, « le salut présent n’est pas visible dans le monde », mais il est caché avec le Christ en Dieu. Les exhortations pauliniennes s’accumulent aux grès des prédications, la liste établie par Bultmann donne le vertige. Sans caricaturer à l’excès tant les messages sont clairs, on peut résumer :
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- – Foi = Délivrance.
- - La Foi sauve en lieu et place de la Loi et des prescriptions, fin de l’orthopraxie stricte.
- – La mort de la chair est la vraie vie.
- – Le corps mystique devient Église, nouveau corps organique et générique qui donnera naissance à l’État/Nation ; la métamorphose de ce corps mystique devient la matière première du politique.
- – L’Esprit (ex-pneuma) anime la matière. Le Christianisme introduit l’orthodoxie, la pensée droite, la vérité enfin vraie.
- – La liberté prend un autre sens, c’est l’acceptation du commandement divin.
- – Aimer son prochain, c’est accomplir la Loi (1 Jean 3, 14). Simple, efficace, imparable !
- – Faute + Rédemption = Pardon (ce qui induit) la transgression comme éternel retour du même.
- – Oui, mais, un peu d’ascétisme ne nuit pas, putain de chair qui colle aux os.
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-* L’incarnation
Encore un mystère et boule de gomme, mais attention, piège redoutable que de mépriser la lettre sans scruter l’esprit. « Le Verbe s’est fait chair » implique plusieurs sens :
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- – Le passage du Verbe au Fils se fait par la « chair », incarnation dans une matière d’un Esprit partie intégrante d’un Dieu Un qui est Trois. (Introduction de la Trinité qui fera couler beaucoup d’encre et de sang).
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- – Le Verbe est aussi Logos, parole d’un savoir total.
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- – On le sait la chair est faible, l’incarnation reconnaît cette faiblesse innée, se faisant chair le Verbe se destine à la mort. Logique, non !
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- – Dieu unique, Fils unique, au risque de la famille monoparentale et ouverture vers le transhumanisme, libération des pesanteurs naturelles de l’enfantement (stade supérieur de la péridurale). La monogénèse comme modèle divin, finie la glèbe, vive le clonage.
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- – L’incarnation est une extériorisation qui est aussi une externalisation, sous-traitance qui permet la diminution des risques encourus par la maison-Père. D’où le concept de filiale après le familial dissout dans le Verbe.
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- – Pour sauver la face, le Verbe recrute une mère-porteuse, Vierge qui garantit une certaine crédibilité au procès d’enfantement divin et qui rajoute une dose de mystère à l’incarnation par les voies du Saint-Esprit.
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- – L’incarnation est une manifestation totalisante « tout ce qui est arrivé est arrivé en lui », le Logos grec a une concurrence redoutable. L’alliage (alliance ?) du Verbe (mystère) et du Logos (raison calculante) ouvre un abyme sous nos pieds. Il faudra, bien sûr, attaquer le problème de la technique par ce biais, travail à venir après le pensum sur la violence.
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- – L’incarnation revalorise la chair déchue par la Chute. Elle remet la chair, donc l’individu, au centre la pensée et de l’action. Autre énorme chantier sur l’individualisme en perspective.
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- – Pour les théologiens patentés, l’incarnation devient christologie. Malgré les difficultés d’interprétations (au cours du M.A), l’incarnation permet de mettre en évidence la perfection du divin et de l’humain dans l’unité du Christ qui assure le salut de l’homme par la connaissance vraie.
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- – L’incarnation reprend ou plutôt recycle l’hypostase de la science naturelle grecque avec ses connotations de solidification, de manifestation, de personnalisation, de transformation quasi alchimique et de passage d’un état à un autre. L’incarnation devint le dernier stade de l’individualisation. La Trinité est la démonstration de l’hypostase. Conscients des difficultés de compréhension de ce concept pour les esprits contemporains imprégnés de scientificité, les théologiens comme K. Rahner (1904 - 1984) et les philosophes-fous de l’être (la bande à Heidegger et les seconds-couteaux) appelleront « l’ontique » au secours et l’unité-identité fondamentale de l’être et de la conscience. L’artillerie lourde démontrera que la « nature humaine est, en elle-même, acte fondamental de transcendance, reçu de Dieu et tourné vers lui ». Encore une parfaite utilisation du cercle vicieux démonstratif : la question est un élément intrinsèque de la réponse, à la fois le début et la fin du cercle !!!
Pour introduire au sérieux de cette problématique, je signale Michel Henry, un philosophe français, dont la thèse porte sur l’ « Essence de la manifestation » (PUF, 1963), auteur d’un magistral Marx en deux volumes chez Gallimard (1976) et cerise sur le gâteau, « Incarnation, une philosophie de la chair », Seuil, 2000. Il faudra revenir en profondeur sur les implications du passage au christianisme et des synthèses qu’il opère au cours des siècles.
- – L’incarnation reprend ou plutôt recycle l’hypostase de la science naturelle grecque avec ses connotations de solidification, de manifestation, de personnalisation, de transformation quasi alchimique et de passage d’un état à un autre. L’incarnation devint le dernier stade de l’individualisation. La Trinité est la démonstration de l’hypostase. Conscients des difficultés de compréhension de ce concept pour les esprits contemporains imprégnés de scientificité, les théologiens comme K. Rahner (1904 - 1984) et les philosophes-fous de l’être (la bande à Heidegger et les seconds-couteaux) appelleront « l’ontique » au secours et l’unité-identité fondamentale de l’être et de la conscience. L’artillerie lourde démontrera que la « nature humaine est, en elle-même, acte fondamental de transcendance, reçu de Dieu et tourné vers lui ». Encore une parfaite utilisation du cercle vicieux démonstratif : la question est un élément intrinsèque de la réponse, à la fois le début et la fin du cercle !!!
– Pour clore, provisoirement, cette rubrique, j’invite les caustiques et les incrédules à méditer sur le mécanisme d’incarnation dans le/la politique, le pouvoir et ses accessoires. La dérision serait un manque de culture, certes d’actualité, mais surtout un signal pathétique que le pareil-au-même à encore de beaux jours devant lui grâce au recyclage des vieilles lunes comme une autorépétition, une régénérescence, une réification quasi inconsciente. Après l’éternel retour nietzschéen, la pérennisation de la domination et de l’aliénation garde sa fraîcheur et son dynamisme. Pas morte la bête, le trépas est sa survie : détruire pour reconstruire, l’invariance du Kapital tant matériellement que dans le domaine des idées.
L’universalisme
Il promut par le judaïsme antique prend une nouvelle dimension sous la houlette de Paul dont on connaît les phrases célèbres. Avec le christianisme apparaît la pulsion totalisante et englobante d’une religion à vocation planétaire. Tous égaux en Dieu, puis tous égaux en Christ, tous égaux, certes, mais parfois séparés, histoire de couleur de peau ou d’ « état-d’âme ». Toujours, la tendance au discours, à l’intention pure face à la transgression : grammaire de la religion = règles + exceptions sans lesquelles les normes n’ont pas de sens.
-* La morale.
Elle constitue l’apport fondamental du monothéisme qui fonde son assisse sur des règles du vivre-ensemble entre enfants du Créateur. D’abord obéissance à la Loi, la morale prend aussi une dimension sociétale dépassant le cadre strict du peuple hébreu. La formule : « loi = obéissance = commandement » forge l’alliage de l’Alliance, la dérive sous forme d’une morale généralisée (éthique pour les délicats) n’est donc pas surprenante. Comme avec un bon levain, la morale deviendra moraline (Onfray) croustillante. La théologie même s’embourbera dans la mélasse à n’en plus finir. L’éthique tentera de redorer le blason à grands frais de concepts savants, d’emberlificotements et de contorsions redoutables, car comment passer d’un message d’amour, d’universalisme et toute la panoplie de la bien-pensance à des pratiques négatrices des idéaux annoncés avec tambours (de la renommée) et trompettes (de Jéricho). Encore un cadavre à disséquer, les défis de la sécularisation (particulièrement à partir de Kant) redéployeront les difficultés dans la sphère de la raison : franchement quel merdier !
Le mal.
Comme déjà sous-entendu, la notion de faute trouvera sous la plume des premiers chrétiens un écho amplifié par la morbidité, la culpabilité et la souffrance comme idéal de rédemption. Le mal se fait malin, malignité, maléfice, malédiction. Il envahit la théologie naissante, la pensée grecque, comme dans bien des sujets, apporte de l’eau au moulin. Aristote, Plotin et ses copains, la gnose servent de référence à l’extension de la problématique. Le plotinisme joue un rôle déterminant dans la contamination (y compris dans l’islam). Le mal ne peut résider ni dans ce qui est, ni dans l’au-delà de l’être. Il n’est présent que dans les réalités matérielles, mêlées au non-être. Certains affirmeront qu’il n’est pas, il serait une simple privation du Bien qui lui existerait. St-Augustin, ex-dualiste, admet encore logiquement la réalité du mal, car comment penser l’affirmation sans sa négation. Attention ! la théologie avertie précise que poser la déréalisation du mal n’est pas nier le Bien. Le mystère du mal s’ajoute à ceux déjà évoqués. Dostoïevsky dans les Karamazov fonde un athéisme argumenté sur la souffrance des innocents. Le mal est soit radical (Kant), soit banal (Arendt), sans parler d’une histoire du mal. La question agite encore les sphères pensantes, parfois le silence sert de réponse à une question qui dérange. Encore un chantier à ouvrir !
Pour revenir à nos moutons, la violence entre souvent dans la liste des émanations concrètes du mal.
Le christianisme naissant perpétue les principaux apports du monothéisme premier tout en introduisant des concepts novateurs et profondément transformateurs. Le monothéisme prend une nouvelle dimension.
La Violence.
En résumé, dans l’A.T. la violence tue, elle est couplée aux abus sexuels, au mensonge et à toutes les turpitudes humaines. Bien évidemment, Satan est violence dès le commencement. Plus important encore la Loi est Une ; la violence consiste en l’absence de Loi, une anomie destructrice de la Création : « quand la terre s’était remplie de violence » (Gn 6, 11). La violence en soi est absente, elle n’est pas un concept pur, mais elle est visible par ses effets. Déjà le triangle des Bermudes de la perdition : sang, sexe, parole = la trinité de la violence. Elle est la conséquence de l’idolâtrie, de la fascination de la mort. La Bête veut du sang. Autre point abordé dans L’A.T. la violence destructrice est aussi autodestructrice.
Des éléments contradictoires affleurent au cours du récit genèsique. Noé reçoit de Dieu la faculté de dominer les animaux. Lors du second récit de la Création, à travers Noé, l’homme sera l’effroi des animaux dont il mangera la chair sans boire le sang. (Égorgement rituel). Le sacrifice devient un acte violent exigé par la Loi – aporie contradictoire comme fondement logique d’un monothéisme écartelé entre un concept exclusif et une réalité humaine bassement matérielle et survivaliste. Manger ou périr ? Exercer la violence contre l’ennemi ou périr, devenir esclave, alternative dont la solution ne fait aucun doute : recourir à la violence au nom de Dieu – sacralisation textuelle originelle. Le suppliant ou le supplicié s’exprime toujours en termes de violence – langage de la violence déjà abordé. Cerise sur le gâteau, renoncer au glaive, c’est s’en remettre à celui de Dieu, nettement plus puissant, le Jedi des temps biblique. Nous le savons, il fallait détruire Canaan, terre des incestueux, des infanticides et idolâtres (Lv 18, 25-28 ; Sg 5, 20 ;16, 17-24). Dieu des armées, disions-nous, antichambre du sabre et du goupillon dont le christianisme deviendra le promoteur et l’inventeur du markéting à usage sacralisé.
Avec l’N.T. la violence devient spectacle, mise en scène savamment calculée. Cette fois la puissance divine agit bel et bien dans les bas-fonds du monde. Les deux premières créations ayant échoué, les fils de Noé ayant repris l’entreprise pré-déluge, le puissant tente le tout pour le tout, il s’invente une progéniture carnée via une pauvre fille des sols caillouteux. La scène demeure toujours géocentrée, une sorte d’acharnement territorial. Un gus sorti de la chair, symbole du mal, mais exempt de la paternité spermique vient au monde. Nouvelle preuve que la féminitude est supérieure à la mâlitude. Marie, fille d’Ève, prend figure de trait d’union et de dignité supérieure à la masculinité encore vouée au second rôle. Pas étonnant que la féminité puisse prendre une place prépondérante dans le monothéisme et que la gente à pénis s’acharna à travers les siècles à prendre une revanche, promouvant une figure négative de la féminité en la reléguant, parfois même du Temple. (Cf. le rabbin Horvilleur dans le judaïsme et le culte marial délirant dans le christianisme versus catholicisme fin de millénaire avec son lot d’apparitions et la surdétermination papale de l’Immaculée conception et de l’Assomption).
La Croix symbole de la violence volontaire pousse au paroxysme le nouveau paradigme. Les Évangiles de Matthieu et de Marc retrace par le menu la montée au calvaire, la crucifixion et, cerise sur le gâteau, la descente de la Croix, la mise au tombeau et en bouquet final : la résurrection. La scénographie (hyper travaillée par les différents scribes) révèle plusieurs thèmes centraux :
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- – La violence sur la place de grève et l’acte fondamental de Pilate qui se lave les mains en signe de séparation du civil et du religieux ; son « démerdez-vous avec vos farfelus » est une avancée laïcarde novatrice. Le pouvoir romain reconnaît le droit de tuer au Sanhédrin de l’époque, version du tribunal populaire.
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- – Le Fils de l’Homme, sécularisation valorisante du Fils de Dieu, donc tout puissant, les miracles le prouvent, ne recourt pas à la violence contre la violence de la condamnation et de l’exécution capitale. La contre-violence n’est pas la bonne réponse à la violence. Bref, le gus n’est pas venu pour agir comme le commun des mortels, il protège ses disciples : grandeur oblige. Donc on ne résiste pas aux méchants (Mt 5, 39) qui peuvent être compris comme la main de Dieu.
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- – Si Jésus apporte le glaive (Mt 10, 34), ce n’est pas pour l’utiliser au sens trivial du terme. C’est le glaive de la rupture d’avec le glaive. L’arme qui abat avec force les anciennes barrières (Loi et prescriptions) (Lc 16, 16). Jésus rejette l’aide du Ciel comme au temps d’Elie (Lc 9, 54). Le rabbin en rupture de ban chassant les marchands du Temple (Mc 11, 15) est un geste symbolique, le fouet (Jn 2, 15) comme figure du discours de la violence (quelqu’un a-t-il déjà vu le Père-fouettard ? Tâter du fouet était à une époque chose banale !)
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- – La crucifixion inaugure une nouvelle obéissance qui abroge la Loi. Ce n’est plus une abstraction, fusse-t-elle gravée dans le marbre sinaïque, qui prend le relais, mais une nouvelle figure à la fois chair et esprit. La Croix établit la suprématie du Nouveau sur l’Ancien.
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- – Toujours l’inévitable et inépuisable Paul dans ses outrances propagandistes : la Croix est une victoire sur la mort puisqu’elle est le passage obligé vers la Résurrection (I Co 15, 25). Plus forte que le Roquefort, elle tue la haine (Ép. 2, 16), elle engloutit la mort (1 Co 15, 54). Paul a des accents apocalyptiques, « le Verbe de Dieu » se défoule, « il fait la guerre dans un manteau trempé de sang », « c’est le temps de détruire ceux qui détruisent la terre ». L’apologie de l’amour ne recule devant aucune image pour convaincre. (Version moderne de la publicité : « Roulez en X avec l’hybride méga autonome, guidé par le GPS dernière génération », commentaire : « Le plaisir de tuer les vôtres et les autres dans le confort de l’Intelligence Artificielle ».
-**– Le Christianisme n’abolit pas le dualisme refoulé, il le réoriente. Le couple violence / amour (et les produits dérivés) envahit la sphère religieuse, ce qui serait bénin, si la copule infernale n’avait pas établi une suprématie sur le monde concret. (Problème des antinomies).
A ces considérations dont il serait vain de multiplier les références, quelques thèmes induits valent le détour.
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- – « Tendre la joue gauche… » poncif bien connu des moralistes. En dehors d’une lecture humoristique mettant en exergue la nécessite d’établir un équilibre entre les deux faces du visage, pas de jalouses (les joues évidemment), à chacune son dû de souffrance. La célèbre scénette tente de convaincre qu’il faut briser la chaîne de la violence. Réponse, certes très honorable, mais toujours individuelle. Les réponses collectives demeurent exceptionnelles, d’ailleurs la scène reste au singulier. Si Jésus épargne ses disciples, ceux-ci ne se montrent guère solidaires. A méditer. Nous sommes loin des scénarios mis au point par Gandhi, notamment lors du matraquage célèbre de la marche du sel. Le christianisme des textes n’annonce pas de résistance collective. Par ailleurs, la non-réponse par la violence interrompt-elle vraiment la perpétuité de la violence ? Elle correspond à une situation précise et circonscrite. Le christianisme est porteur d’une radicalité qui se révèlera au fur et à mesure des siècles : l’individualisme dont le Christ est la figure de proue, la matrice. Les Pères de l’Église auront bien du mal à transformer cet élan rédemptionnel individualisé en mouvement de masse manipulable et crédible. Le théologico-politique viendra au secours des prélats empêtrés dans la glèbe et le glaive. Cette rhétorique de la joue tendue insuffle une vision doloriste à la nouvelle religion, la souffrance terrestre comme purgatoire et assurance-vie dans l’au-delà. Cette conception renvoie bien sûr à la question de la légitime défense et de la guerre juste que nous traiterons en détails plus tard. Elle est parfaitement cohérente avec le point suivant.
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- – « Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », autre ritournelle qui fit couler beaucoup d’encre et autre liquide parfois rouge. Le texte est parfaitement explicite, il y a bien deux royaumes celui de César (en bas) et celui de Dieu (en haut, hors sol du moins). Le Juif était « du » et « dans » le monde, l’autre monde était à venir. Maintenant, le nouveau juif et les polythéistes convertis ont deux allégeances, prémisse de la double nationalité. Encore une dualité conflictuelle dont les conflits d’intérêts seront hors d’âge et sujets à bien des interprétations spécieuses. On peut voir aussi dans le conseil christique de rendre à César son dû (impôt, mais aussi respect du droit romain dans les affaires non-religieuses) une position à la normande (« peut-être ben que oui…peut-être ben que non »). Christ reprend la tradition juive de préservation du peuple comme un absolu, la disparition de celui-ci serait abolir l’Alliance. Mission impossible en V.O. La « Part de César » est préservation « quel que soit ce que l’on en pense et quoique l’on endure ». La « Part de Dieu » ne joue pas dans la même cour, on n’achète pas avec de la monnaie ou par l’impôt les prescriptions du Décalogue ou du message christique.
Donc deux maîtres, auquel se vouer ? Aux deux, mon cher chrétien ! Toutefois, le respect de l’un implique le respect de l’autre. A égalité ? La hiérarchisation dépendra des puissances temporelles du moment. Dans un premier temps, le glaive sera la réponse à l’obéissance du second terme (Cf. la martyrologie). Ensuite, le renversement s’opèrera progressivement. La puissance séculière de l’Église, le goupillon pour faire simple, sera le nouveau glaive, bénit sans complexe. La dichotomie César / Dieu est un bel exemple de la phraséologie mise en place par les rédacteurs de l’N.T. On fait parler une Jésus / Socrate à toutes les sauces, pas de traces. Mieux vaut ne rien écrire et laisser les disciplines encalminés et calaminés par une doctrine qui se fait en s’écrivant .
Le chrétien vit donc dans une tension permanente, en perpétuel conflit intérieur. État d’esprit inconfortable qui dérive facilement vers les troubles psy. Un pied sur terre, la tête en l’air et le gadin est assuré. L’Église palliera les tensions par de multiples artifices sacramentaux ou pénitentiels.
Certaines réponses consisteront à privilégier l’un des deux termes de l’égalité, car ici il s’agit d’une antinomie exclusive, sans troisième terme possible de type dialectique. Rejeter César c’est se livrer poing et mains liés au glaive ; rejeter Dieu, c’est retomber dans le néant de l’incroyance vraie : martyre ou athéisme ?
- – « Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », autre ritournelle qui fit couler beaucoup d’encre et autre liquide parfois rouge. Le texte est parfaitement explicite, il y a bien deux royaumes celui de César (en bas) et celui de Dieu (en haut, hors sol du moins). Le Juif était « du » et « dans » le monde, l’autre monde était à venir. Maintenant, le nouveau juif et les polythéistes convertis ont deux allégeances, prémisse de la double nationalité. Encore une dualité conflictuelle dont les conflits d’intérêts seront hors d’âge et sujets à bien des interprétations spécieuses. On peut voir aussi dans le conseil christique de rendre à César son dû (impôt, mais aussi respect du droit romain dans les affaires non-religieuses) une position à la normande (« peut-être ben que oui…peut-être ben que non »). Christ reprend la tradition juive de préservation du peuple comme un absolu, la disparition de celui-ci serait abolir l’Alliance. Mission impossible en V.O. La « Part de César » est préservation « quel que soit ce que l’on en pense et quoique l’on endure ». La « Part de Dieu » ne joue pas dans la même cour, on n’achète pas avec de la monnaie ou par l’impôt les prescriptions du Décalogue ou du message christique.
- Le martyre.
Dès ses premiers balbutiements, le christianisme inaugure la double allégeance et le renversement de la question de la violence. La Croix devenue le symbole parfait sert d’étendard, de bannière aux « armées du Christ ». On peut parler d’inversion au sens quasi physique du terme ou d’une inversion de polarités. Le Crucifié sert de déclencheur.
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- Première remarque :
Le monothéisme subit un assaut redoutable, celui du retour au péril polythéiste : un Dieu devenu Père d’un Fils conçu par l’Esprit dans les entrailles d’une Vierge. Même Toto avec son humour primaire n’aurait pas osé. L’unité ou l’Un se scinde en trois : la Trinité. La perturbation secoue le milieu juif d’origine, un rejet devant la stupidité logique, une sainte horreur, mais, peut-être permet-elle une sauvegarde du monothéisme premier ? Plus tardivement la figure de Marie, Mère et Vierge, entre en scène à la fois pour séculariser et sécuriser les ouailles.
L’ancien conflit permanent avec la Loi se convertit en conflit que résout la Foi comme croyance quasi rationnelle. Toujours, le relent de mystère qui plane. La dynamique créée par le christianisme transforme le croyant en témoin de la Croix. Le grec marturia devient alors le fait de mourir pour témoigner du Christ. Les « tendres » Romains concevaient la recherche de la vérité comme primordiale et l’usage de la torture comme un moyen efficace de l’obtenir. En effet, accepter la mort était une preuve de vérité (auto-ordalie), le témoin ou martus manifeste par son témoignage de la véracité ultime de ses convictions. Les Macchabées avaient une conception similaire. Comme la Croix, le martyre ouvre la porte du monde à venir. La mort du martyr par martyre était aussi une imitation extrême du Maître à penser et à agir que fut le Christ.
L’inversion sur soi de la violence est une caractéristique essentielle du premier christianisme, elle s’appuie sur le Sacrifice du Fils. L’Imitation devient une vertu, une prescription de la Foi. Imiter jusqu’au bout est atteindre la perfection (teleiôsis). Le martyre est la mort parfaite. D’autant que le mystère pascal via l’eucharistie ravive l’événement.
D’autre part, le martyr par son imitation entre directement au Paradis, sautant la case purgative . La mort par inversion / intégration / intériorisation de la violence est le meilleur moyen d’atteindre le vrai but de tout chrétien.
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- Deuxième remarque :
Le martyre est une apologie de la mort volontaire pour atteindre un but légitime, rejoindre le Christ. Ce n’est pas un suicide, mais un sacrifice, une bouée de sauvetage mystique. Ne sommes-nous pas là en présence d’une double prémisse redoutable. Il faut souffrit pour accéder au bonheur final. D’autre part, c’est une légitimation possible du combat contre le mal, porte ouverte à bien des dérives dans les deux millénaires suivants, toutes obédiences monothéistes confondues.
L’Église se trouva, rapidement, fort désappointée par la prolifération des martyrs. La fuite hors du monde remet en cause potentiellement la Création dont l’homme est le pilier central puisque « fait à l’image de… ». Un rétropédalage s’imposa aux Bons Pères :
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- Le concept de sainteté pallie la difficulté.
Nous trouvons ici un des premiers exemples du mécanisme puissant de recyclage, le produit fini diffère de la matière première et ses conséquences seront transhistoriques. Dans l’A.T. la sainteté appartient à Dieu seul en raison de sa toute puissance et de la perfection de son être. Lui seul peut désigner ceux qu’il appelle à vivre en sa présence. Les langues sémitiques s’appuient sur la racine qâdash avec le sens de « consécration-purification ». Plusieurs dérivés (qâdôsh, quôdèsh…) tournent autour de l’idée de sainteté, voire désigne Dieu lui même (És 6, 3). La sainteté s’oppose au profane. Encore la présence du dualisme, ici celui du sacré-profane en liaison direct avec pureté-impureté. L’A.T utilise, selon les comptables du Texte, 842 fois la racine qâdash. Pour rencontrer le qâdôsh, (le Très-Saint) le peuple doit se purifier et se sanctifier au préalable. On parle même de la Loi de Sainteté (Lv 17–26). Comment ne pas citer Lv 19, 1 : « Soyez saints, car je suis saint », ici la morale complète l’observance de la Loi. La postérité du slogan sera glorieuse et collera aux basques des monothéismes comme la vérole sur le bas-clergé. Autre citation à forte retombée : Jérusalem sera appelée « Sion du Saint d’Israël » (És 60, 14). Dans le N.T. la sainteté s’incarne dans l’Esprit Saint, le recyclage est parfait, mais le sens amorce une rupture radicale, porte ouverte à des dérives annoncées. L’Église est conçue comme une Nation sainte. L’inévitable Paul s’engouffre dans la brèche : saints par vocation, les chrétiens peuvent prétendre au titre, même si la perfection n’est pas encore acquise (Rm, 1, 7 ; 8, 1-17), mais avec l’aide de l’Esprit Saint (Pentecôte) tout est possible. L’Esprit sauve aussi, Jésus à de la concurrence !!!)
Le martyre, ticket d’entrée par la voie express, dégarnit la population chrétienne. Il fallait stopper l’hémorragie. L’introduction du culte des Saints, individus d’exception, sert de modèle, mais aussi par dérivation de culte palliatif. Le martyr est déclaré saint, sa relique sert d’autel ou de lieu sanctifié. L’Église réussit ainsi à calmer la fougue des chrétiens et surtout à capter les restes des multiples polythéismes locaux à son profit. D’où la prolifération toponymique des noms de saints et de saintes. L’iconographie chrétienne multiplie les images, vitraux, peintures, sculptures des saints. Dans « Initiation aux Pères de l’Église » Johannes Quasten fait une recension des martyrs reconnus par trois siècles de persécutions romaines. Par exemple, sainte Perpétue déclare : « Alors le juge prononça sa sentence, et nous condamna tous aux bêtes. Tout joyeux, nous descendîmes vers la prison » (Tome 1 p. 207). Notons que Tertullien, dont on sous-estime largement l’importance, préconise la fuite face aux persécutions, car sous la torture, renier sa foi serait gravissime. Les Romains eurent un rôle déterminant dans l’implantation du christianisme. Le martyre devint une preuve de l’authenticité de la Foi des persécutés : complètement contre-productif, jusqu’à ce que Constantin comprenne l’intérêt que la nouvelle religion pouvait avoir pour l’Empire en proie à une contamination profonde des esprits. Théodose instituera le christianisme comme religion d’État. Alors, les persécutions devinrent intra-communautaires, bel exemple d’intégration et de perversion d’un idéal ou simplement développement naturel et logique de positions portant en germe sa négation. Affaire à suivre.
Pugilat perpétuel à Jérusalem.
Impossible de passer sous silence le premier concile de Jérusalem. L’année 49 marque le début de l’effondrement du judéo-christianisme et le début du christianisme paulinien qui devient la matrice première du christianisme en cours d’émancipation. Sur le ring, Pierre et Paul, deux juifs que tout ou presque oppose. La tradition juive en voie de relookage contre la modernité hellénisante d’un citoyen romain, Paul n’est pas un apôtre certifié casher, plutôt indépendant dont « le chemin de Damas » marqua à jamais notre destin historique. La prolifération christique engendra très vite des tensions dans les communautés juives et converties. Antioche fut le centre d’un premier scandale. L’Épitre aux Galates relate les divergences. La conversion des Gentils et leur nombre croissant scindent déjà en deux le judaïsme, les convertis ne sont pas astreints aux observances juives dont la circoncision. Une bande d’ultras du judaïsme (sous l’influence de Jacques, réputé frère du Christ) débarque à Antioche en annonçant haut et fort que la circoncision est une obligation. Le judaïsme entrant en conflit avec Rome cherche à affirmer son identité, le prépuce devient un enjeu idéologico-politique. Courroux des Antiochiens qui réclament un débat sur le sujet. Paul, Barnabé et un certain Tite, un Asiate converti, partent à Jérusalem défendre l’opinion de la communauté d’Antioche (Gal. 2, 1). Toutefois, Pierre soutient Paul et le concile précise que les convertis ne sont astreints uniquement aux prescriptions noachiques : pas de consommation des viandes immolées, des viandes étouffées et pas de fornication. La situation semble se calmer. Mais les vieilles gardes nationalistes et fondamentalistes n’ont pas dit leur dernier mot. On constate déjà une suprématie de la « bande des 12 » dans la direction des affaires de la secte judéo-chrétienne. Lors d’un voyage, Pierre s’arrête à Antioche, où il refuse de manger avec les pagano-chrétiens (les Gentils). Paul s’insurge, pour lui il est essentiel de se libérer des attaches juives. Premier conflit patent entre Jérusalem et Athènes : Paul comprend la situation et ses prêches s’orientent dans la sphère grecque. Le christianisme naissant sera grec. En interdisant l’entrée du Temple et parfois des synagogues aux Gentils, les judéo-chrétiens parachèvent leur déclin. L’Église paulinienne est celle des métèques, elle exprime la vraie mission universelle du monothéisme face aux tenants de la notion de Peuple élu. L’individualisme triomphe contre la notion de peuple, l’Église supplante le Temple élitiste. Les derniers sursauts du zélotisme exacerbent les tensions ; ils accusent Paul de détourner les juifs de la circoncision, des coutumes et d’introduire des métèques dans le Saint des Saints. Dès 58, la position de Paul devient fragile, il est en liberté surveillée de 61 à 63. Il est accusé de favoriser l’encratisme (boire du vin), péché. Probablement que son arrestation est le fruit de dénonciations de judéo-chrétiens qui croient abattre l’hérésie, mais se tire une flèche empoissonnée dans le pied (Tacite). Les nationalistes irritent Rome. En 70, Titus s’empare de Jérusalem, entre à cheval dans le Temple qu’il rase et massacre la population juive. Le Christianisme nait dans la douleur ; la rupture entre les deux communautés se consolidera au cours des siècles.
Dernier point à marquer en rouge : selon les historiens patentés, le christianisme bénéficie du soutien actif et déterminant de la gente féminine de la zone locale concernée sous l’emprise d’un judaïsme particulièrement « mâlifique » et aussi dans la grécitude « gynécique ». Dans le premier cas, le Temple et la synagogue restent souvent inaccessibles, dans le second, le gynécée n’est pas l’antichambre de la tribune de la Cité. Dans la longue liste des philosophes grecs, les noms féminins brillent par leur quasi absence et surtout la femme garde le statut de mineur sans droit de vote, son horizon se limite à la supervision domestique et au contrôle des esclaves concernés. Rien d’étonnant que le christianisme représente une « libération » de la femme, du moins dans une intégration dans l’égalité face au Créateur . La nouvelle religion prend les habits neufs d’une véritable révolution. Pas d’inquiétude, la gente phallique sut réagir à la subversion, nous le savons. Le vieux fantasme « égaux mais séparés » a des racines millénaires que les évènements ne démentiront pas.
En conclusion, de cette étude sur le monothéisme et la violence force sera de se poser des questions fondamentales sur les renversements internes aux trois branches du monothéisme sur le statut de la femme. L’examen des processus d’inversion apportera des éléments déterminants pour la compréhension de la pensée occidentale. Enfin, impossible d’éviter la terrible question de la surdétermination mâlifique dans les configurations de la violence. La violence a-t-elle un sexe ?