POURQUOI JE NE SUIS PAS MUSULMAN
Ibn Warraq L’Age d’Homme
ET L’HOMME CREA LES DIEUX
Pascal Boyer
Folio
Retour du religieux, dit-on de partout. Et bien, l’athéisme aussi relève la tête. A Publico, la moitié de la table des nouveautés s’occupe d’athéisme ! Mentionnons le numéro 14 de Réfractions, intitulé « Ni dieu ni maître, religions, valeurs, identités », ainsi que l’indispensable et brillant livre de Pascal Boyer « Et l’homme créa les dieux » (Folio), sur les causes et les mécanismes de la création de religions. Comparé à ce que l’on a précédemment écrit sur le sujet, ce livre est ce qu’Einstein fut à Galilée. Pas moins ! On ne voit toutefois pas grand-chose au sujet de l’un des pans les plus nécessaires de la lutte anti-religieuse : combattre l’islam. Ce thème nous met parfois mal à l’aise, parce qu’après tout d’autres personnes, et des pires, parlent de combattre l’islam. Mais nous savons, nous, que nous ne combattons l’islam ni par racisme, ni par désir de remplacer un virus de l’esprit par un autre.
Le déboulé de l’athéisme en terre d’islam ou au sein des familles musulmanes en pays non islamiques n’a, en apparence, rien d’un tsunami ; principalement parce que l’islam punit l’apostasie de mort, et qu’au sein des communautés en provenance de pays musulmans celle-ci demeure très difficile. D’où sa quasi-clandestinité. A petite échelle, le développement actuel de l’athéisme public d’origine musulmane ressemble à celui de la libération de l’homosexualité en 1950 ; il ne va pas bien loin. Et pourtant pas si loin d’une prochaine floraison. Ou, à grande échelle, il en est là ou en était l’athéisme d’origine chrétienne en 1760 : on risque encore la mort, on n’ose pas trop se lancer dans des défis publics, pourtant on commence à se parler, à se compter. Et puis, il y a une grande différence. En 1760, un athée n’était nulle part le bienvenu. En 2005, on peut, même dans les Etats-Bénis d’Amérique, parler haut et fort. Internet joue là un rôle précieux, car les athées en pays musulmans peuvent grâce à lui communiquer sans craindre de représailles brutales, ce qui doit les réconforter puisque on sait qu’une tendance regrettable de l’esprit humain consiste à croire qu’on ne peut pas avoir raison tout seul. Découvrir l’existence d’autres apostats encourage les esprits inquiets. Alors, d’Amérique vient un livre important, dont j’avais déjà signalé l’existence dans l’article sur la courageuse revue « prochoix » : « Leaving Islam, Apostates speak out » publié par une maison d’édition américaine d’athéisme, Prometheus Books, et compilé par Ibn Warraq. L’Age d’Homme a publié une traduction d’un autre livre d’Ibn Warraq, « Pourquoi je ne suis pas un musulman ». J’ai enfin reçu « Leaving Islam », et c’est du beau travail.
Le livre commence par une réjouissante recension des athées et libres penseurs de l’histoire musulmane. Comme dans le monde chrétien, les athées arabes ou persans couraient de trop grands risques s’ils écrivaient sans périphrases ; ils pouvaient néanmoins jouer de la métaphore, de l’ironie, de l’omission, de l’exagération. Omar Khayyâm, l’auteur des merveilleux « Ruba’iyat », est sans doute le plus célèbre de ces athées probables. Les commentateurs de ses quatrains à la gloire du vin s’acharnent à maintenir qu’il faut y comprendre le vin comme une métaphore de la divinité, la coupe comme une métaphore de l’âme, etc. Deux faits crèvent les yeux ; l’islam interdit le vin et pourtant Omar ne parle que de lui. La résurrection et l’éternité sont promises aux fidèles et pourtant Khayyâm engage son lecteur à profiter de la vie, qui ne reviendra pas insiste-t-il.
A nouveau comme dans le monde chrétien, nous connaissons souvent mieux les écrivains athées par ce qu’en ont gardé les bigots qui souhaitaient disposer d’exemples de blasphème que par leurs textes originaux. Ainsi d’Al-Rawandi qui, dès 830, affirmait que si les paroles des prophètes s’avéraient contraires à la raison, on devait alors les considérer comme fausses, et que si elles se conformaient à la raison, on pouvait les considérer comme inutiles. Quant au Coran, Al-Rawandi remarqua, l’un des premiers, que, malgré le dogme qui affirme qu’il s’agit du chef-d’œuvre de la littérature arabe, la plus bienveillante des lectures révèle un livre répétitif, incohérent, aux phrases mal bâties et mutilées, et en tout état de cause de peu d’utilité aux peuples qui ne parlent pas arabe : belle leçon d’indépendance d’esprit à une pareille époque !
Ensuite, Ibn Warraq compile une série de témoignages reçus sur le site ISIS, « the Institut for the Secularisation of Islamic Societies » à www.secularislam.org. Je recommande de jeter un œil sur le réjouissant freethoughtmecca chez yahoo.com. Outre que ces témoignages encouragent les athées encore clandestins et les cœurs qui balancent, ils nous permettent, à nous, de tenter de comprendre ce qui déclenche la libération mentale. Ibn Warraq aligne d’abord vingt-et-un témoignages anonymes, puis des témoignages signés, huit du Pakistan, trois d’Iran, un de Turquie, deux du Bangladesh, un du Maroc, un de Tunisie, un d’Inde. Certains sont naïfs, la plupart sont émouvants, quelques-uns tragiques et d’autres encore magnifiques. A qui s’étonnerait du petit nombre de témoignages en provenance du Maghreb, rappelons que le site d’ISIS utilise l’anglais. Et que l’athéisme implique moins de difficultés pour un maghrébin qui peut envisager d’émigrer en un pays où l’athéisme gronde encore, la France. On s’explique en revanche moins bien l’absence de témoignages en provenance d’Arabie Saoudite. Peut-être parce que l’islam est chez lui en Arabie Saoudite, alors qu’au Pakistan et en Iran, il demeure une foi apportée par des étrangers. Un leitmotiv de ces témoignages est précisément le choc éprouvé lorsqu’une iranienne, une pakistanaise lisent le Coran pour la première fois dans une traduction anglaise ( à l’instar de la chrétienté médiévale où 95% de la population n’avait aucune possibilité de comprendre la Bible 1/ écrite 2/ écrite en latin, beaucoup de musulmans n’ont guère la possibilité de lire couramment le Coran) et subissent de plein fouet son intolérance, sa misogynie, sa brutalité, son obsession des châtiments.
Dans le monde chrétien, l’écart entre les vertus prêchées et les vertus pratiquées par le clergé a favorisé l’athéisme : dans le monde musulman qui ne dispose pas, sauf en Iran, d’une hiérarchie religieuse aussi fermement, aussi pyramidalement, aussi anciennement structurée que l’Eglise catholique, la différence entre l’affirmation et la pratique ne prête pas seulement le flanc à la critique chez le clergé, mais aussi chez les dévots. Ces vilains personnages devenus rares en France prospèrent ailleurs : les Etats-Bénis, par exemple, débordent de mâcheurs de chewing-gum qui ne sauraient dire trois mots sans invoquer Dieu. Les dévots fourmillent en pays musulman : les voir ivres, les découvrir chez les prostituées, les entendre mentir, les savoir voleurs ou piètres étudiants saccage bien des illusions.
Un âge privilégié pour que germent les premiers doutes : la fin de l’enfance, alors que le goût pour la philosophie, pour « les grandes questions » n’a pas encore subi l’attaque de l’école : à cet âge, une contradiction bien comprise entre comme une lame dans l’esprit et y fait autant de dégâts ...ou autant de bien, qu’un scalpel chirurgical. Avis aux amateurs : on ne sait jamais quelles heureuses conséquences une phrase offerte à un enfant peut entraîner !
« Leaving Islam » confirme indirectement un argument de l’anarchisme : dans les pays où la religion restait aux mains d’une caste puissamment structurée, séparée, profondément autoritaire, elle a souffert. Dans les pays où la religion est l’affaire de chacun, où la piété est d’abord collective, d’abord affaire de mœurs avant que d’être la propriété d’une classe d’experts, elle fleurit.
Les Iraniens et Bangladeshis décrivent la violence islamiste dans les plus terribles récits du livre. Une notation d’un Iranien mériterait une grande publicité : on sait que si bien des bourreaux ont compris que les cris d’un torturé permettent de torturer par avance ceux et celles qui attendent leur tour, d’autres, peut-être moins endurcis ou au contraire plus indifférents, couvrent ces cris par un fond sonore, en général musical. Or en Iran, ce sont les psalmodiations du Coran qu’on passe pendant les séances de torture !
Les Bangladeshis, eux, rappellent les ahurissants massacres commis lorsque le Bangladesh commença à se séparer du Pakistan, et que des musulmans abattirent en masse d’autres musulmans.
Les personnes qui déposent ces témoignages sont exposées à l’univers non-musulman par leur connaissance de l’anglais, d’autant que plusieurs d’entre elles vivent aux Etats-Bénis. Or l’univers non-musulman prétend posséder des valeurs dont certaines semblent honorables aux musulmans. Ainsi la récente haine occidentale des pédophiles a-t-elle un effet inattendu : le second leitmotiv de ces témoignages naît de la découverte horrifiée de la vie sexuelle de Mahomet. L’une des histoires les plus célèbres de l’Islam raconte l’amour qu’il porta à son épouse favorite, Aïsha. Une seule difficulté ; il l’épousa à cinquante ans passés alors qu’elle avait six ans et consomma le mariage alors qu’elle en avait neuf. La révélation de ce viol produisit sur nos apostat.e.s l’effet que produisait sur les chrétiens la mort d’un proche malgré de ferventes prières ; on comprend enfin que Dieu n’a rien de bienveillant. Une fois qu’on a compris cela, on n’est plus très éloigné de comprendre qu’il n’existe pas.
Les nombreux témoignages féminins confirment ce que nous savons du sort des femmes en pays islamiques, et décrivent les fureurs, les rages rentrées des filles qui réalisent à quel futur elles doivent s’attendre, à quels viols répétés de la part d’un mari souvent beaucoup plus âgé qu’elles, à celui public, attendu, célébré, exigé de la nuit de noces où le drap taché du sang de l’hymen flotte comme un drapeau dans la maison, dans la rue (combien de couples intelligents se sont contentés d’un doigt un peu entaillé...).
De même que l’Eglise s’écroule en Europe parce qu’elle persiste à combattre le libre désir, de même l’islam commence à payer son mépris des femmes ; peut-être la colère des voiles sera-t-elle la fin des turbans.
NESTOR POTKINE