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Christiane Passevant
Ma vie de clandestin en France. 17 ans d’errance dans la France d’en dessous
Mehdi Sayed. Avec la participation de Virginie Lydie (Boîte à Pandore)
Article mis en ligne le 23 mars 2012
dernière modification le 29 octobre 2023

Il est des livres qu’il est important de lire pour comprendre les situations vécues par des personnes que l’on côtoie tous les jours, souvent sans les voir. Il est des livres qui témoignent de ce qu’est « brûler » les frontières pour ces hommes, ces femmes… Ces adolescents, en ce qui concerne Mehdi Sayed, il a 14 ans lorsqu’il fait sa première tentative de traverser la Méditerranée pour atteindre un ailleurs idéalisé.

Ma vie de clandestin en France. 17 ans d’errance dans la France d’en dessous de Mehdi Sayed, est l’un de ces livres. C’est une rencontre avec une réalité crue, sans fioritures, sans superflu pour décrire l’itinéraire d’un être humain qui se débat pour sa dignité et gagner le droit d’être indépendant.

Virginie Lydie, qui a soutenu l’écriture et la publication de ce livre témoignage, connaît ce contexte pour avoir fait elle-même une longue enquête sur ce phénomène des harragas qui « brûlent » les frontières à la recherche d’un Eldorado hypothétique de l’autre côté de la Méditerranée [1]. Elle y recensait les témoignages de candidats et de candidates au départ, à l’exil, les témoignages de clandestins, d’expulsés qui évoquaient les difficultés de cet exil et la traque des sans-papiers. Circuler librement est le propre de l’être humain et l’espoir d’un ailleurs meilleur est d’autant plus tenace lorsque la misère et le sentiment d’enfermement dominent.

Mehdi sait qu’« un jour de chantier [ici] rapporte autant que quinze jours de travail au sud. […] Il sait que, même s’il trouve du travail dans son pays, il ne gagnera pas suffisamment pour être indépendant et avoir son propre logement, en dehors de la famille. [Alors] La rue, la prison même, sont plus faciles à supporter que le poids des regards. »

Partir ou mourir. Dissuasion et répression n’y changent rien, la galère non plus quand on a grandi dans des familles où la préoccupation majeure est la survie au jour le jour. Quand le futur est en cul-de-sac, on a envie d’aller voir ailleurs. Un ailleurs hostile où nombreux sont ceux et celles qui s’y perdent. Mehdi le candide y laissera son innocence et ses illusions, mais sans jamais vouloir abandonner l’espoir initial qui l’a poussé à faire la traversée, coûte que coûte, de cette Méditerranée, si belle du côté africain,
si dure aussi pour les misérables qui doivent rester misérables.

Mehdi ne peut accepter cette fatalité qui le fait être souvent au mauvais moment au mauvais endroit. Brisé par cette vie d’errance, par les circonstances qui l’épargnent rarement, marqué par une enfance de misère et de dureté, il s’insurge encore et toujours, comme pour dire : j’existe quand même !

Ce livre est le fruit de quatre années de rencontres avec Virginie Lydie, de
moments où Mehdi se confie pour se retrouver, pour dénouer le labyrinthe des faits et des sentiments, pour analyser spontanément des situations dont il n’a peut-être pas mesuré la portée en les vivant, en les subissant.

Emprisonné à la place d’un autre, laissé pour mort par un patron voyou dans un terrain vague à la suite d’un accident de chantier, utilisé très jeune comme passeur, exploité, maltraité, menacé par un flic qui joue à le harceler, rejeté par un clan familial qui le traite avec mépris, Mehdi accepte de prendre tous les risques pour atteindre… Quoi finalement ?
Échapper à une vie tracée ?

Dans le récit, Mehdi demeure le même, unique dans son itinéraire chaotique, parce que « c’est Mehdi qui raconte et qui me force parfois à
me mettre à sa place, explique Virginie Lydie. J’arrivais même à penser comme lui et à admettre les comportements les plus irrationnels.
D’ailleurs lorsque je lui disais ne pas le comprendre, il me regardait
avec un sourire et ajoutait : “Moi non plus, je ne me comprends pas”.
Il est certain qu’entré dans une pathologie de l’errance, Mehdi vit totalement et uniquement dans l’instant présent. Il a besoin de
soins comme de connaître une vie sociale qu’il ignore.

Mehdi est tout et son contraire, il est très jeune et très vieux, il est l’enfant et l’adulte, celui qui veut et celui qui refuse, celui qui oui et celui qui dit non. Il met certainement à mal les certitudes. Je ne crois que j’aurais mené à bien ce projet si Mehdi n’avait pas eu cette sincérité et cette humilité par rapport à ses propres faiblesses. Écrire ce livre a été une aventure complexe car il fallait reconstituer la vie de Mehdi comme un puzzle. Et à la fin, il en avait marre. »

L’impression qui se dégage de la lecture de Ma vie de clandestin en France. 17 ans d’errance dans la France d’en dessous est d’abord visuelle, comme en présence d’un découpage de film. Le récit suit la logique des rencontres sans qu’il y ait de réelle chronologie, plutôt un va et vient entre passé et présent. Mehdi se perd, le lecteur, la lectrice, décontenancé-es, se perdent à leur tour avec lui… Le récit bouscule.

Ma vie de clandestin en France. 17 ans d’errance dans la France d’en dessous de Mehdi Sayed fait partie de ces livres qu’il est important de lire pour comprendre les situations vécues par des personnes que l’on côtoie tous les jours, sans les voir peut-être, et aussi pour prendre conscience de l’actuelle banalisation de la barbarie vis-à-vis de ces personnes sans droits
et sans papiers. Le système broie, et encore davantage lorsque l’on naît
pauvre et de l’autre côté de la Méditerranée.


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