Le leitmotiv libéral est que la concurrence fait baisser les prix. Gaz de France en 2005-2006 a déjà augmenté les siens de 35 %. Les tarifs d’EDF, firme encore nationale avec 80 % du capital détenu par l’Etat, sont encore réglementés. La chose a été stigmatisée par la commission européenne (la grosse) qui envisage de faire condamner la France par la Cour européenne de justice (vraiment de justice ?) pour ses tarifs d’Etat qui sont une entrave à la libre concurrence, tenez-vous bien, parce qu’ils sont inférieurs aux prix de marché ! La solution vis-à-vis de tant d’idéologie libéralo-capitaliste serait de laisser effectivement à EDF la liberté de ses tarifs. Ses coûts de production étant de 8 centimes le kw.h contre 50 chez les boches, il suffirait de laisser jouer la concurrence pour qu’EDF s’empare du marché européen, nonobstant que par suite des politiques libérales installées depuis 15 ans, cet établissement n’a plus les capacités nécessaires de production. Car l’électricité française est d’origine nucléaire et que la durée de vie des centrales a été déjà portée à 40 ans, alors qu’elles sont déjà amorties. On peut sans doute aller jusqu’à 50 !
La commission européenne ne peut ignorer qu’EDF est en position de force parce que les fridolins n’ont que des vieilles centrales à charbon sale et que, en tant que doryphores ayant l’œil sur le taux de profit, ils ont fait exprès de ne pas investir pour faire augmenter les tarifs. Vieille technique des spéculateurs sur le prix du blé à la veille de la révolution française : accaparer, stocker pour faire grimper les prix en augmentant la pénurie. Technique qui a valu à la Californie sa grande panne de 2001, car en outre l’électricité a une caractéristique spéciale : elle ne se stocke pas. Mais la commission fait le pari qu’EDF, converti au libéralisme, augmentera ses tarifs pour encaisser une rente de situation : la différence entre ses coûts de production et ceux de la concurrence, afin de rémunérer ses 20 % d’actionnaires privés et l’impécunieux Etat, dont les dirigeants ne feront rien pour ne pas se couper de cette manne. Cette stratégie vient d’être officialisée par le Conseil constitutionnel qui vient d’interdire le maintien des tarifs réglementés pour tous les abonnés domestiques nouveaux ou déménageant. Rappelons-nous qu’en univers de pénurie, c’est le dernier offreur, le plus coûteux mais indispensable, qui fixe les prix finaux et non le marché. C’est du reste sur des différentiels de prix que fonctionnent les traders en énergie, lesquels achètent à terme dans l’espoir d’une rareté accrue, ce qui d’après une récente étude américaine contribue à faire augmenter les prix de 30 % ! Ce qui veut dire que le principe officiel est la concurrence, mais que la pratique réelle est l’organisation du manque, ce qui est d’autant plus facile que les investissements énergétiques sont très coûteux et que de ne pas les consentir permet de rentabiliser à fond les vieilles installations et cela d’autant plus que la pénurie est sévère.
Les Allemands sont en pointe dans les énergies renouvelables, notamment les éoliennes. Ca coûte bien plus cher que le bon vieux nucléaire des froggies. Déjà, c’est très aléatoire (lié aux vents et à leur intensité), ce qui nécessite des moyens classiques, fixes et stables de compensation, ce qui double ou pas loin les investissements nécessaires, notamment en moyens de transport car les lieux venteux ne sont pas forcément proches de ceux de consommation. Le coût d’investissement par kwh est bien supérieur. Ce n’est guère esthétique et cela fait du bruit ; il faut donc indemniser les riverains. Récemment les verts-de-gris ont mis une bonne partie de l’Europe dans le noir à cause de cela. A cette occasion on a découvert qu’EDF ayant des contrats de fourniture avec eux a tout bonnement coupé les consommateurs Français afin de tenir ses obligations contractuelles. Je crois me rappeler qu’un service public a dans ses principes la continuité des fournitures. Belle violation au nom de la mondialisation européenne. Laquelle, pour le marché de l’énergie, conduit donc à privilégier les contrats et les profits au détriment des consommateurs. On ne sait pas assez que Chiracos et Jospinus en 2001 ont scandaleusement accepté que 10 % de la production des centrales nucléaires françaises soient monopolisés au profit du marché européen. Au passage, cela permettait aux fridolins de bénéficier de la production nucléaire sans avoir les centrales et leurs nuisances ou dangers chez eux au nom du vieil effet NIMBY, not in my back yard. Ces politicards ont bradé les intérêts de la France, alors même que ses excédents de production sont en train de disparaître pour cause de sous-investissement au nom du profit à court terme. La France est déjà en manque en été. La Bretagne frôle la catastrophe chaque hiver.
Au besoin, pour démolir un service public efficace (ce qui du reste était une épine dans le pied des saintes écritures libérales puisqu’il faisait la démonstration qu’un établissement nationalisé pouvait être plus rentable et mieux organisé qu’une firme privée ; c’est pourquoi il fallait détruire cette contre-référence), on use de la calomnie et de l’à-peu-près. On est surpris d’en voir un aspect chez l’économiste gauchiste à la mode (Bernard Marris, dit Oncle Bernard dans Charlie Hebdo). Cet individu, qui n’a vraisemblablement jamais mis les pieds dans une entreprise de production, énonce qu’EDF a visé la faiblesse des prix pour les consommateurs au détriment de la productivité, bien meilleure chez les Allemands. Ce bonhomme néglige que l’Allemagne est en situation de pénurie et que les prix y sont plus de cinq fois plus élevés qu’en France ! Par ailleurs, que cet as de la macro-économie, ce qui n’a rien à voir avec l’économie des firmes industrielles, qu’il ne connaît visiblement pas, m’explique comment on peut tirer les prix sans être productif ? En fait, il argue que c’est le passage de la durée d’amortissement des centrales de 30 à 40 ans qui fait toute la rente. Marris a raison pour aujourd’hui, mais cette manipulation comptable n’existait pas dans le service public avant la mise en place des opérations d’ouverture du capital, ce qui exigeait d’embellir la future mariée aux capitaux privés. Les anciens dirigeants d’EDF (Boiteux, Massé, Delouvrier) ne mangeaient pas de ce pain-là et ont toujours obéi au principe de mutabilité (d’amélioration incessante des choses, un des principes canoniques du service public à la française) : servir de mieux en mieux, baisser les prix, augmenter pour cela la productivité. Ce qui a réussi pendant plus de 40 ans, avant le sabordage pour la mondialisation des taux de profit.
Il y a encore plus plaisant au nom du profit financier à court terme. La France a obligé EDF à racheter la production (ce qui est normal) des auto-producteurs (éoliennes, petits barrages, photovoltaïque, etc.) à un tarif très supérieur à ses coûts de revient. Et la chose est financée par une taxe sur les ventes de kw.h aux cochons de clients. Ainsi, c’est le client domestique qui paye et EDF finance ses propres concurrents, car avec un tel différentiel ces derniers poussent comme des champignons après la pluie. C’est de la concurrence libre et non faussée, cela ? Comme quoi cette conception n’est qu’une idéologie de camouflage destinée à parer les spéculateurs de toutes les vertus.
Toujours mieux. EDF avait créé une filiale (où un spéculateur détenait 34 % des parts) pour les énergies renouvelables afin d’encaisser le différentiel de prix pour son propre compte. Eh bien cette filiale vient d’être entièrement mise sur le marché, ce qui fait que les actionnaires restant, hors d’EDF qui s’auto-élimine ainsi de la privatisation de la rente payée par ses clients, vont se partager le pactole !
Il est clair alors que les promesses gouvernementales sur le maintien des tarifs protégés ne seront très rapidement qu’un souvenir. Les prix vont augmenter inéluctablement en régime de « concurrence pure et parfaite », lequel n’est affirmé idéologiquement que pour maximiser les profits dans uns système mondialisé de la finance à 15 % de rendement. Evidemment le démantèlement libéral de ce qui devrait être un monopole public, parce que naturel à cause de la nature du bien et des investissements à consentir pour assurer le long terme et l’indépendance nationale (qui pourrait être européenne si l’Europe avait une politique énergétique de long terme et d’autonomie sans s’en remettre au marché du gaz des nomenklaturistes à la Popoff), n’avait pour but caché que de trouver de nouveaux débouchés rentables aux fonds privés. C’est ça aussi la mondialisation car le capital ne fonctionne pas suivant quelque théorie économique que ce soit. Il marche comme maximisation de la rente financière pour les actionnaires institutionnalisés : fonds de pension, fonds privés d’investissement [private equities], fonds spéculatifs [hedge funds] ; banques, compagnies d’assurance et...gouvernements compradores.