Nicolas Mourer
François Bézier

(Le docteur François Bézier, en blouse blanche, entre dans le bureau de vote totalement paniqué, une lettre à la main. Il semble perdu, comme voyant très mal.)

(au public) Bonjour !...Excusez-moi !... Pardon… Oui, je suis bien au Vatican ?... Non ?... Je suis où alors ? Hein ? Où je suis là ?... Comment ? Dans un bureau de vote ?... Peu importe, parce que comme dit le Recteur de la Basilique : la politique est à César, mais tout est à Dieu, même César et même la politique… Autrement dit : la laïcité, c’est du pipeau… Bref, écoutez, je suis le Docteur François Bézier, gynécologue embryologiste…

Regardez, je suis convoqué demain matin lundi à 9h00 précises au centre de semi liberté de Villeneuve… Mais peu importe où c’est Villeneuve, c’est une prison républicaine, c’est tout, voilà… Je dois m’y présenter… Vous savez pourquoi ? Pour avoir défendu la vie, tiens, voyez ça, défendu la vie… J’ai demandé l’asile politique auprès de notre Sainte-Mère l’Église…
Je suis catholique pratiquant… Je condamne l’avortement et m’y oppose comme Notre Seigneur le demande… Mais ça, la Loi ne peut pas le comprendre… Seule la Foi peut nous rendre raison sur ce sujet, voyez ?
Je ne veux pas me sentir abandonné des Dieux et des hommes, vous comprenez ?... Non, non, je ne vote pas : pour qui voulez-vous que je vote ?... Mais, non je ne suis pas anarchiste !... Ce n’est pas parce qu’on ne vote pas qu’on fricote avec l’anarchie… Je ne vote pas parce que nous avons très peu de soutien dans le monde politique, vous savez… Mais je leur pardonne… À part la droite de la droite de la droite comme je dis toujours, hein…

S’il vous plaît, écoutez-moi, je vois mal, je me suis trompé de porte, je pensais que c’était une église, je suis victime d’une cécité, incurable en plus, c’est un bureau de vote donc oui oui… Je cherche la Foi et non pas la Loi, entendez-moi… La Loi, c’est elle qui me cherche et elle m’a coûté assez cher comme ça… Je dois vous dire, on a été cent f… Même, plus de cent fois dans les centres d’avortement mais ça devenait intenable… Ah, non, non ! intenable… Il y avait des procès tout le temps… Des procès qui coûtaient de plus en plus d’argent… parce que nous étions « récidivistes »… L’État nous flanquait des amendes… La CGT, le planning, on avait toute la gauche sur le paletot, et tous les… Ah non, là c’était terrible… terrible parce que, je peux vous dire, à Lille… heu, pardon, à Rennes, le plus : 210 000 francs, à l’époque c’était des francs, donc : 210 000 francs à Rennes, 170 000 à Caen, 110 000 à Versailles, c’est à vérifier mais ce sont les chiffres dont je me souviens… En tout, on a dû payer… heu… 850 000, quelque chose comme ça…

Comment ? Est-ce que nous sommes… excusez moi, j’entends mal… intégristes ?... Qui dit ça ?... Les gauchistes ?... Les gens du planning familial ?... Et bien oui… Oui, oui… Alors là, moi je veux bien le… Ça ne me gêne pas du tout… Bon… Ils veulent évidemment nous… Comment dire nous… nous diaboliser etcaetera… Bon, mais intégriste… Disons… intègre, plutôt ! Moi je serai tout à fait d’accord pour garder l’intégrité de la Foi, oui, je suis tout à fait à l’aise oui oui oui… Maintenant les intégristes, disons, ce sont surtout les excités… Non, l’intégrité de la Foi, c’est plutôt : « Dieu est Amour », voyez, Dieu a créé la femme pas pour tuer ses enfants, hein, c’est ça… De l’autre côté, ils nous traitent de fachos… Si, parce qu’on s’oppose à la liberté… Alors, je ne sais pas, la liberté de la femme ce serait de tuer, c’est ça ? C’est le comble quand même...

La liberté, je vais vous dire, s’arrête, c’est là que c’est intéressant, à partir du moment où commence la vérité, vous voyez ?... Voilà, pourquoi je ne vote pas, parce que le gouvernement, bon, lui, pfffff, il parle de civilisation tout le temps… mais c’est une civilisation où la culture de mort est admise : j’ai écrit au Président, et je lui ai demandé, si vous êtes le Président de tous les Français, et que vous êtes vraiment attaché à ce mot, attendu qu’il y a des Français qui ne verront jamais le jour et que nous vivons un véritable génocide… Attendez : 50 millions de morts par an ; sans compter la contraception abortive ! Voilà pourquoi je ne vote pas !... La gauche a voté la Loi, elle a voté le crime, sauf un, un député de Bastia, c’est à vérifier… Et la droite, elle a voté par trahison, parce que…parce qu’il faut être jeune, tolérant, moderne, tout le cinéma actuel je ne sais pas quoi enfin bon… Personne ne fait rien contre, c’est certain, alors qu’un principe est un principe : on tue ou on ne tue pas, hein, il n’y a pas de tolérance là-dedans un point c’est tout… Et quand vous pensez au Dakota du sud, au Mississipi, à l’Alabama, faudrait vérifier le nom des… Alors, tout ça, bien sûr, il s’agit d’un complot, je l’ai… je ne sais pas si vous l’avez entendu, j’en suis absolument persuadé…

C’est un complot à l’échelle mondiale ; je veux dire à ce moment-là : autant ne pas voir le soleil en plein midi, non ? Ce sont premièrement, les Illuminés de Bavière, le Marquis de Sade, ensuite tous les satanistes, ils se cachent comme des taupes, comme des rats, s’ils aimaient la vérité ils vivraient en pleine lumière… et c’est bien évidemment : le péché originel, les… les francs-maçons, on en a vus, le Grand Orient, on a défilé devant l’autre jour. Tous les satanistes car : que disait Satan ? « Vous serez comme des dieux » C’est-à-dire : c’est vous qui déciderez du bien et du mal, du vrai et du faux, on peut tuer, on peut faire ce qu’on veut, la liberté c’est de n’obéir qu’à soi-même, mon corps m’appartient, ni Dieu ni Maître, et tout le pataquès.

Mais attention, parce que Satan est aussi à droite, et là c’est pire, parce que la gauche, la malheureuse, n’obéit qu’à elle-même, alors que la droite devrait obéir à un certain ordre des choses, et elle est d’autant plus coupable parce qu’elle finit par faire le programme de la gauche en obéissant à Satan, voyez ce que je veux dire ? C’est pourquoi je crois que l’avortement est un holocauste offert au diable, un sacrifice mondial qui se calcule en milliards de morts… et milliards avec un « s ».

Et puis surtout, hein, ce sont les Lumières, la philosophie des Lumières, Rousseau, la profession de Foi du vicaire savoyard, Émile, Livre IV, je connais la phrase par chœur, regardez-moi ça, vous allez voir : « Conscience ! Conscience ! Instinct divin ! Juge infaillible du bien et du mal ! » Ce qui voudrait dire que la conscience définirait elle-même le bien et le mal, que l’homme serait un absolu, une vérité en soi, une forme ultime d’indépendance vis-à-vis de Dieu, qu’il pourrait choisir son gouvernement, faire sa p’tite révolution et tout le toutim. Juste un exemple pour vous montrer que la conscience n’est pas la vérité : la conscience, vous pouvez la droguer, l’anesthésier, la rendre comateuse, alors que Dieu : non ! Je veux dire : la conscience n’est pas la lumière, elle est « l’œil » qui perçoit la lumière. Elle est à l’image de Dieu mais elle n’est pas Dieu. La femme, elle non plus, ne peut pas se prendre pour Dieu en tuant sa propre créature, son enfant…

On a même vu des femmes pleurer, hein, ah ça oui oui… elles venaient de faire un avortement, on était rentré à Jeanne D’Arc… On a été 55 fois à Jeanne D’Arc, oui… Et une fois au début on rentrait dans les centres d’avortement… On était 20 – 25, et heu… dans le hall qui était un peu surbaissé… sous baissé je veux dire, et… arrive une femme… une belle femme, belle, vraiment ! Elle avait des cheveux blonds vénitien, une robe de chambre, les cheveux un petit peu en désordre, et une robe de chambre bleue je me souviens, et puis elle voit un groupe, elle dit : « Qu’est-ce que vous faites ? » Nous lui répondons : « nous sommes contre l’avortement. » Elle réplique : « je viens d’en faire un » Et elle avait des larmes dans les yeux… vous savez, l’avortement, par expérience, c’est une intervention de rien du tout, ça coûte pas heu… Une petite anesthésie à la rigueur… Y’a pas grand-chose… Et… Bon… Et ça s’est su à l’accueil : « Madame, qu’est-ce que vous faîtes ! Vous n’avez rien à faire là ! » etcætera etcætera…

Elle s’appelait Annick, et là on s’aperçoit bien de ce que je disais toujours : si la Loi permet de tuer, elle ne permet pas de s’en consoler, voyez ?… Alors, elle a monté l’escalier. Elle était éperdue la pécheresse. On l’a suivie à quelques uns. Elle s’est assise au premier étage dans un petit dortoir, il y avait quelques lits. Et là, elle pleurait. On l’a embrassée pour apaiser le malheur de sa détresse. Ce n’était pas pour la culpabiliser mais faut dire, on était bouleversé quand même...

Et là, écoutez bien, on lui a dit cette vérité miraculeuse, cette merveille, qui est celle du Pardon de l’Évangile, vous allez voir, c’est à vérifier mais c’est la phrase : « au-dessus de la neige, je serai blanchi » Voyez ? Il fallait lui parler, pour éviter l’indifférence, parce que… Je dis toujours : le silence tue l’enfant une seconde fois ; la première fois dans le sein de sa mère, la deuxième fois dans les consciences… Et là, la mère réalise que le corps de son petit ne lui appartient pas, il est différent… Oui, c’est d’une simplicité biblique, si le corps de l’enfant était le même que celui de la mère, il n’y aurait que des filles, voyez, hein ?

Et quand je pense que Satan, lui le plus beau des anges, a dit « non serviam », je ne servirai pas ; il était loin de penser qu’il servait Dieu en l’entourant de milliards d’innocents qui flottent au paradis.

Je dirais pour finir, et puis j’y vais,… Comment ? Non, non, non, gardez l’enveloppe blanche et les bulletins, il n’y a que des laïcs dans ce tas de paperasse… Donc je dis : le massacre étant permanent, la contestation doit être permanente.

Au mieux, Satan vote à gauche ; au pire, Dieu vote à droite ; dans le doute, nous nous abstenons.

Amen.