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Jean-Manuel Traimond. Photos Christiane Passevant
Un centre de vieillissement
Guide méchant [et parfois moche] de Paris
Article mis en ligne le 2 juin 2011
dernière modification le 8 mai 2011

Horace Léon, dans Cosmétique des Bronzes, sur le Marché aux Puces de Clignancourt : « Notre époque est au rajeunissement. Mais Paris abrite un institut de beauté un peu particulier où, avec du neuf, on fait du vieux.
À Clignancourt, on aide le Temps barbu à rider les commodes frais pondues.

Le magasin Dugay vend les eaux de contrejouvence nécessaires ;
pour parer aux expertises chimiques, pigments naturels hors de
mode, colles anciennes de peaux de lapin, d’os, de nerfs.
Et raviveurs de vernis, réargenteurs de fourchettes, livrets de feuilles d’or, oléofuges à tuffeau, matine noire Napoléon III...

Parmi les aides que Dugay ne vend pas, la poussière d’une église près d’Aix-en-Provence servit aux raffinés ; par les lucarnes et par les fentes elle se glissa dans les combles de la vieille église. Impalpable tant qu’elle lévite dans les rayons de soleil, elle y forma, couche après couche, siècles après siècles, d’épais matelas gris. Le sacristain y jetait, comme un pêcheur une nasse à la rivière, des sacs en papier qu’ils vendait avec discrétion. L’utilisateur avisé se contentait de la mélanger à des cires à l’ancienne, dont des échantillons prélevés, analysés, prouvait antique le meuble grâce à ce gazon de grenier.

D’autres méthodes sont utilisées. Dispose-t-on d’une applique d’âge indéniable mais dont la valeur quintuplerait si l’on en possédait la jumelle ? Il suffit de se rendre chez un fondeur, qui sans soupçons en tirera une copie. On démonte alors l’original et la copie, on les remonte mélangés. Double bénéfice : en toute honnêteté le marchand prévient que la paire a été lourdement restaurée. Et en tout bénéfice il vend une paire, plus recherchée qu’un solitaire.

Un meuble neuf qui aura déjà subi certains traitements (la machine à
chiures de mouches, l’usure des accoudoirs par la meule à chanvre équipée des cordes de chanvre dont on se sert pour polir les marbres, les restes de scellés censés avoir été apposés pendant les inventaires de successions...) sera par surcroît jeté d’un premier étage et confié à un mauvais artisan :
ses réparations maladroites seront dès l’abord avouées par le marchand
dont on ne soupçonnera plus l’honnêteté.

Les perfectionnistes vont jusqu’à glisser dans des endroits difficilement accessibles des fragments de pages de livres du 18e siècle, ou à y inscrire, pour ensuite les effacer à moitié, des instructions de déménagement soigneusement écrites dans la graphie de l’époque :
Cha...br. à cou.... de Mme la Bar...ne. »


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