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Jean-Manuel Traimond
Les Catacombes
Un guide méchant [et parfois moche] de Paris
Article mis en ligne le 30 janvier 2011
dernière modification le 21 janvier 2011

À Paris, on enterrait les cadavres dans les églises, du moins quand la famille payait pour ce privilège. Au XVIIIe siècle, la concentration de cadavres atteignit une telle intensité qu’à cause de l’eau de leurs puits personnels, le pain de certains boulangers sentait la chair en putréfaction. Le 30 mai 1785, le mur de la cave d’une maison voisine du cimetière des Innocents céda. Sous la pression des cadavres empilés les uns sur les autres. Les habitants de la maison empuantie tombèrent malades. Le scandale contraignit à interdire l’inhumation dans les églises. On décida même d’en retirer les cadavres. Mais pour les mettre où ?

Dans les carrières de gypse, matériau d’origine du plâtre, désaffectées ! Le transport de charrois d’ossements odorants soulevant des protestations, on résolut de ne déplacer de restes qu’une fois tous les quinze jours, de minuit à quatre heures du matin. Le dernier convoi d’os des six millions de Parisiens précédents ne s’ébranla qu’en 1905.

Les catacombes sont décorées ; les ouvriers qui passèrent tant d’années à la lumière incertaine des lampes à huile tassèrent les os les uns contre autres, agrémentant les faces visibles de murets d’humérus ponctués de crânes artistiquement disposés en croix, en faisceaux, en dessins divers.

L’une des raisons pour lesquelles l’Inspection Générale des Carrières établit un plan de ses carrières fut que, lorsque Paris doubla de superficie au XIXème siècle, on construisit à tout va, sans savoir au-dessus de quoi. Des pans de rue entiers s’écroulèrent, parfois de vingt ou trente mètres dans le sol, entraînant des dizaines d’habitants dans leur chute ; on se lassa de ces surprises.

Pour patrouiller ces presque quatre cents kilomètres de galerie, il n’y aurait que quatre policiers. Ils disposent de quatre avantages ; le plan, les voitures de la police en surface, les murs construits par L’IGC pour diviser les catacombes en secteurs étanches afin de les rendre plus simples à patrouiller, et la bibliothèque de tracts « cataphiles » compilée par l’IGC, qui permet une identification rapide des participants et de leurs projets.

Les cataphiles ont pour eux la jeunesse et l’endurance. Ils sont nombreux. Quelques-uns de ces visiteurs clandestins se perdent. Si elle est alertée, l’Inspection Générale des Carrières appelle à la rescousse près de 80 policiers, les divise en équipes sur les 770 hectares de galeries, assigne à chacune une portion des galeries connues et les munit des cartes adéquates. En cinq heures, les galeries connues et accessibles sont ratissées.
On peut se perdre définitivement, si l’on n’a prévenu personne de son équipée, ou si l’on a démoli les murs bloquant l’entrée de galeries dangereuses, ou si l’on tombe dans l’un des gouffres qui dépassent les vingt mètres.

René Suttel, psychiatre qui redessina pour la Résistance un plan des catacombes et des carrières, se souvient de ceci, dans Catacombes et carrières de Paris (SEHDACS) : « Même le bruit du métro, dernier anachronisme, ne viendra pas troubler votre solitude, si vous gagnez les profondeurs. Là, dans l’ombre, arrêtez-vous : vous apprendrez qu’il existe un silence total, inconnu en surface, même dans le calme et la nuit. Puis, si, un peu anxieux de ce vide absolu, vous voulez exister à nouveau, asseyez-vous dans une galerie, le dos appuyé à la paroi. Après quelques instants, vous entendrez deux bruits sourds, rythmés, réguliers, d’abord lointains puis de plus en plus proches. Ces bruits que vous n’entendrez pas ailleurs sont ceux de votre cœur. »


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