J’ai pris conscience récemment qu’à l’ère de la
dynamique, la production visuelle dominante procédait d’une logique d’épuration de la forme comme du contenu. C’est tout à fait compréhensible dans la mesure où le but de nombre de ces productions est avant tout mercantile. Suivant cette logique il est évident que dans des espaces de transit saturés d’informations (la rue), immobiliser le passant à tout instant est inopérant. De fait il est beaucoup plus fonctionnel de lui dégager un espace visuel (bidimensionnel) dont la composition, c’est à dire la manière dont notre regard circule dans l’image, n’est aucunement entravée par d’autres données que celle pour et par laquelle l’image existe, autrement dit le produit à consommer.
« Il faut aller à l’essentiel » disent certains. Je veux bien, mais tout comme le langage influence la pensée ou l’espace le comportement, la composition influence le rapport à l’information. Tracer un chemin unique à une information unique c’est tuer toute l’autonomie du regardeur. D’une part composer l’image c’est tracer/diriger le chemin visuel de l’autre/pour l’autre (et donc insidieusement l’habituer à l’assistanat). D’autre part n’offrir au bout de ce ’’périple’’ visuel qu’une information, c’est le priver de l’expérience de synthèse des données et donc d’une approche critique de cette information.
A l’inverse noyer le regard sur une surface saturée d’informations non organisées c’est submerger l’individu au point de le placer dans une situation d’incapacité à réagir et donc à établir des connections entre les données.
Mon travail est évidemment composé mais sur différentes strates (lignes, couleurs, textures, motifs, etc.) non nécessairement liées les unes aux autres ; en d’autres termes je fais en sorte qu’il y ait possibilité du choix (même si le caractère composé n’offre du coup qu’une combinatoire) du parcours du regard dans l’image.
L’autre point fort gênant inhérent à l’esthétique dominante, c’est sa perfection de traitement/réalisation. Dans ce type de production, chaque élément s’emboîte parfaitement l’un dans l’autre, ’’exit’’ tout ce qui ne cadre pas : dehors les traces d’usure, les ratés et les difformités. Outre l’évident problème d’ordre déontologique qu’elle pose, cette perfection sacralise l’image, persuadant le regardeur qu’il n’a pas les capacités requises pour en faire autant.
Dans mon travail à l’inverse, c’est cette usure, ces ratés et ces difformités que je mets en scène (produit et re-présente). Attention, il ne s’agit pas d’une inversion des valeurs de perfection formelle nécessaires aux sociétés de consommation pour elle-même soit du renouvellement accéléré de toute chose, (valeurs que de toute façon je ne reconnais pas). Si j’use de ces éléments dans mes images, c’est dans le but de créer une faille dans l’aura plus ou moins forte que génère toute production visuelle. En effet je suis sûr que l’esthétisation du résultat de l’altération de l’image, parce que l’altération est à la portée de tous, peut donner l’envie et la confiance en soi nécessaire à tout acte plastique.