Martine Storti Je suis une femme, pourquoi pas vous ? Ed Michel de Maule 310 p. 20€
Quarante années après, la journaliste, qui avait couvert pour Libération, pendant presque cinq années le mouvement de libération des femmes, décide de publier ses articles d’alors. Pourquoi, quand j’en lis les premières lignes, ais-je l’impression que plus de trente années plus tard, cela reste d’une actualité brûlante ? La femme du soldat inconnu l’est toujours. Les questions qui se posaient alors, « Les femmes, une classe ? Quel est l’ennemi, le capitalisme ou le patriarcat ? » restent ouvertes. Rien n’aurait il changé ?
Dans le court texte de présentation l’auteure, Martine Storti raconte comment, malgré ses désaccord théoriques et pratiques avec ce qu’était Libération à l’époque elle est restée et a tenté de faire partager aux lecteurs de ce quotidien ce qui fut probablement le plus profond changement impulsé par les journées de Mai 68. Ce livre est divisé en cinq chapitres. Il est tentant d’en reprendre les intitulés tant ils sont représentatifs du temps d’une histoire. Ni Giroud ni l’Onu ne parleront pour nous, précède Quand une femme dit non, ce n’est pas oui, c’est non. Puis arrive Tous les hommes sont en crise à cause des féministes dont la suite logique est Haro sur les féministes ! Le titre du dernier chapitre laisse passer le soupçon d’un début de nostalgie La fin des commencements. Les deux derniers articles sont révélateurs de ce qui va se passer par la suite. L’un porte sur le Casino de Paris, où les « filles » avant de passer en scène vendre leur plastique indiscutable, se demandent si ce n’est pas la dernière. Le Casino doit fermer. L’article suivant aborde la critique redondante faite aux féministes d’organiser des manifs non mixtes, particulièrement quand ces dernières risquent d’être un succès.
Je voudrais juste revenir sur deux articles. Le premier décrit comment le patriarcat peut perdre sa première lettre et devenir féminin et tout aussi autoritaire. Il s’agit de l’article du 8 janvier1975, intitulé Une secte dominée par la parole d’une seule femme. Bien d’autres articles écrit par Martine Storti sortent du microcosme militant français, plongent dans le monde ouvrier, vont à l’étranger. Il ne s’agit pas dans ce livre d’une étude exhaustive de la planète des femmes, mais d’une série de photos, d’instantanés, on voudrait dire d’instantanées qui n’ont rien d’historique tant leur modernité nous parle, tant ces articles ont marqué, ont accompagné nos vies de militants espérant autre chose que ce n’est devenu. .J’aimerais terminer en parlant d’un article qui est d’une actualité brûlante. Il concerne l’Iran, d’où le shah a été chassé, où une nouvelle république libératrice a été instaurée. Il suffit de reproduire ces quelques lignes et pourquoi pas de pleurer. « En mars dernier (1979), une première forme d’opposition s’est massivement manifestée, celle de milliers de femmes descendues dans les rues de Téhéran et inquiètes de ce que peuvent laisser préfigurer pour elles certains discours religieux ou politiques. Décidées aussi à lutter pour leurs droits afin de ne pas passer, une fois de plus, aux pertes et profit, ; de la révolution. Le 8 mars et les jours suivants, elles étaient plusieurs dizaines de milliers dans les rues de Téhéran. On leur imposait la tenue islamique, on les refoulait des bureaux quand elles ne la portaient pas, on les agressait dans les rues. Elles disaient « non » et vite, dans la foulée, elles réclamaient leurs droits ». Que dire d’autre ? A part de plagier Martine Storti : que les femmes sont belles quand elles sont rebelles. Merci à l’auteure.
Pierre Sommermeyer
Extrait
.../En Iran, des manifestations de femmes au référendum pour la République islamique
Les inconnues de la République islamique
Depuis le premier avril 1979, l’Iran est officiellement une République islamique après un référendum-plébiscite auquel les Iraniens ont massivement participé. Symbole d’un formidable espoir pour ce peuple qui a fait tomber la dictature du shah, le nouveau régime, dont le contenu est encore mal connu, a suscité aussi bien des inquiétudes, avant même sa proclamation. En mars dernier, une première forme d’opposition s’est massivement manifestée, celle de milliers de femmes descendues dans les rues de Téhéran et inquiètes de ce que peuvent laisser préfigurer pour elles certains discours religieux ou politiques. Décidées aussi à lutter pour leurs droits afin de ne pas passer, une fois de plus, aux pertes et profit, ; de la révolution.
Le 8 mars et les jours suivants, elles étaient plusieurs dizaines de mil liers dans les rues de Téhéran. On leur imposait la tenue islamique, on les refoulait des bureaux quand elles ne la portaient pas, on les agressait dans les rues. Elles disaient « non » et vite, dans la foulée, elles récla¬maient leurs droits.
À Paris, ce fut un coup de cœur : les femmes iraniennes, qui avaient, comme les hommes, lutté contre le shah, n’acceptaient pas d’être les oubliées de la révolution. Pour la première fois, les femmes refusaient, après une lutte politique générale, d’être renvoyées aux limbes de l’histoire.
Coup de cœur et désir de partir. Pour les rencontrer. Pour parler avec elles. Sentir. Comprendre. Partager un peu, un tout petit peu, leur enthousiasme, leurs espoirs, leurs craintes, leurs luttes. Comprendre aussi ce qui se joue dans ce pays qui a renversé une dictature en battant en brèche tous les modèles politiques qui avaient jusqu’alors fonctionné, dans la réalité ou dans nos têtes, en remettant profondément en cause le schéma marxiste des révolutions.
Sur le terrain, bien sûr, les choses paraissaient un peu plus compliquées. Disons que la réalité ne correspond ni au désir, ni à la parano. Côté désir, autant être claire : la révolution des femmes n’est pas
aujour¬d’hui en marche dans l’Iran de la République islamique. Côté parano de Parisienne en mal d’héroïsme, j’ai été refaite. Kate Millett a certes été expulsée, mais les avertissements paternalistes des stewards dans l’avion : « Vous allez être accueillies avec des mitraillettes et fouillées intégralement » font doucement rigoler quand on débarque à l’aéroport de Téhéran. Les formalités d’entrée se font sans problème ; ce qui frappe, ce ne sont pas les fusils, mais un doux soleil printanier comme on en rêve à Paris (on m’avait dit aussi : « prends des vêtements chauds, il fait froid ») et l’immense portrait de Khomeiny au-dessus des bureaux de douane. II faudra d’ailleurs que je m’habitue, pendant ces deux semaines à Téhé¬ran, à voir l’Imam partout, avec les airs les plus divers - paternel, terrible, souriant, sérieux, protecteur, père fouettard - et sur tous les supports : affiches, cartes postales, tapis, nappes, assiettes, porte-clefs, badges...
Quant à l’autre avertissement : « fais attention avec ces fanatiques musulmans, on ne sait jamais », il m’a aussi fait sourire : tête nue comme nombre des Téhéranaises, j’ai pu me balader librement dans les rues de la capitale, sauf la nuit bien sûr, mais alors personne ne flâne dans les rues de Téhéran. /...