Jean-Manuel Traimond. Photos Christiane Passevant
La décoration du jardin du Luxembourg
Un guide méchant [et parfois moche] de Paris
Article mis en ligne le 15 mars 2010
dernière modification le 3 mars 2010

STATUAIRE PARISIENNE

Le palais du Luxembourg abrite le Sénat. Le mot Sénat vient du latin senex qui a donné le mot sénile.

Le jardin du Luxembourg comporte, à l’ouest de son orangerie, une étonnante statue de Dalou où des bacchantes heureuses peinent à hisser sur un âne rétif un Silène chantant. Silène était un commensal de Bacchus, âgé, épais, ivre et hilare.

René Droin donne une description du sénateur, fondée sur l’anagramme du mot sénile : « Sénile Silène ensilé, enlisé dans la lésine. »

Une Statue de la Liberté en réduction est visible non loin du Silène. Bartholdi, son auteur, avait d’abord pensé édifier un phare colossal à l’entrée du canal de Suez, appelé L’Égypte éclairant le chemin de l’Asie. Au dernier moment, l’Égypte refusa de payer. Bartholdi, qui n’aimait pas laisser perdre, réussit à convaincre le gouvernement français d’offrir son monument à l’autre grande république de l’époque, quoique rebaptisé et adapté à de nouvelles perspectives commerciales. Brillantes, puisque pas moins de 36 versions de la statue de la Liberté furent vendues à travers le monde.

On l’ignore, mais les statues luttent contre les pigeons. Rufus, dans le même texte que celui cité plus haut, revient du front : « (…) Certaines méthodes sont encore plus redoutables pour se débarrasser des pigeons. Elles consistent à mettre une sorte d’acide sur les statues pour détruire leurs pattes. Et si vous regardez les pigeons dans la rue, les 4/5e ont les pattes esquintées. Il leur manque deux doigts, ils marchent sur des moignons. Ca leur apprendra à faire leurs crottes sur certaines statues…

[Quelle tristesse Paris sans les oiseaux !]

— Et c’est vrai que les pigeons détériorent les bâtiments ?

— Détériorent… Ils font leurs crottes sur les statues des personnages honorables. Ca détériore l’honorabilité. Et pour les protéger, on met une espèce d’acide.

Vous voulez une autre histoire horrible de pigeon et d’amour au Luxembourg : un pigeon était tellement mal en point qu’une dame le regardait assez émue et ne savait plus quoi faire pour le soigner. Un vieux monsieur assis sur un banc plus loin a vu ça et a tordu le cou au pigeon. Ca a été le début d’une histoire d’amour… cette femme avait trouvé courageux d’avoir osé faire ça. Je me demande si elle n’aurait pas désiré qu’on lui en fasse autant, parce qu’elle était très vieille et très malade. »

Les amateurs d’histoire politique apprécieront l’effigie de Pierre Mendès-France, qui, comme le Georges Pompidou des Champs-Elysées, ou le Robert Schumann de la Porte Dauphine, tous en complet-veston, prouve que la toge est un vêtement d’une grande beauté.

Devant la charmante fontaine Médicis, on lira ce poème en prose d’Ivan Illich dans H²0, les eaux de l’oubli : « Ce dont les fleuves ou les plages débarrassent les morts qui les traversent n’est pas détruit. Toutes les eaux mythiques alimentent une source qui est située sur l’autre rive. Ces cours d’eau charrient les souvenirs que le Léthé a lavés des pieds des morts jusqu’à cette source, transformant ainsi les êtres disparus en simples ombres. Cette fontaine de la mémoire, les Grecs l’appelaient « Mnémosyne ». Dans ses eaux limpides flottent, telles les parcelles de sable fin au fond d’une source bouillonnante, les résidus des vies achevées. Ainsi un mortel qu’ont béni les dieux peut s’en approcher et entendre le chœur des Muses chanter ce qui est, ce qui fut et ce qui sera. »

Boulevard Saint-Michel, au sud du jardin du Luxembourg, se dresse une fontaine dédiée à MM. Pelletier et Caventou, inventeurs de la quinine. Ils n’ont pas inventé l’aspirine. C’est dommage, puisque ce mot permet, comme l’a vu René Droin, l’anagramme de « parisien ».