Le retour du cinéma italien ? (suite)
Pranzo di Ferragosto / Le Déjeuner du mois d’août (2)
Article mis en ligne le 16 avril 2009
dernière modification le 17 mars 2009

Christiane Passevant : Le fait de vous trouver devant et derrière la caméra, cela n’a pas troublé vos interprètes qui ne sont pas des professionnelles ? Et vous-même ?

Gianni di Gregorio : Je pense qu’un véritable acteur aurait été en porte-à-faux avec les dames, alors que l’équilibre des scènes repose en fait sur tout un travail de préparation. Le chef opérateur et moi avons créé un code muet pour qu’il comprenne ce que je voulais comme mouvements de caméra. Nous avons très bien fonctionné ainsi et je pense que cela se sent.

Christiane Passevant : La scène de rébellion de l’une des femmes qui quitte l’appartement pour aller au café, parce qu’elle en a marre de ne pas pouvoir sortir seule, était-elle prévue au scénario ?

Gianni di Gregorio : Oui, c’était prévu. Mais elle voulait également partir au moment de la scène, et c’est encore plus fort. Il y a eu de nombreux moments volés de leur intimité, ce qui rajoute à la crédibilité du film. Par exemple, pendant la pause, l’une d’elles lit dans les mains et nous avons profité pour tourner la scène. Je savais que ma tante le fait de temps en temps, alors je lui ai demandé de lire dans les mains des autres. Nous avons donc filmé la scène et nous avons coupé lorsqu’elles racontent leur vie.

Christiane Passevant : Le 15 août en Italie, c’est une institution, une fête religieuse ?

Gianni di Gregorio : Ce n’est plus une fête religieuse. Aujourd’hui, c’est une fête païenne parce que personne ne travaille et que tout le monde part à la campagne ou à la mer. Pour Ferragosto, les villes sont désertées et les personnes âgées sont seules. À l’origine, c’était une fête religieuse, l’assomption, mais ça ne l’est plus. Il n’y a plus de connotation chrétienne. On dit que la sacralité est de ne pas travailler.

— Quels ont été les rapports de l’équipe avec les personnes âgées ?

Gianni di Gregorio : Merveilleux parce qu’elles étaient littéralement dorlotées. Elles en ont bien profité d’ailleurs car l’équipe était composée de jeunes qui les traitaient avec affection.

Christiane Passevant : Le fait de tourner dans votre appartement a créé une intimité par rapport à ces personnes qui d’ailleurs vous avaient rencontré auparavant ?

Gianni di Gregorio : Oui, cela a apporté une intimité, une protection pour elles.
Il faut dire que j’ai utilisé le stratagème de ne pas les faire se rencontrer avant le film. Seulement la veille du tournage et, de ce jour, nous avons compris que deux d’entre elles ne s’aimaient pas du tout : ma mère dans le film et la dame qui fait une escapade. Et, le premier jour du tournage, je les ai fait parler de chacune d’elle.

Christiane Passevant : Le film se passe dans un milieu bourgeois ?

Gianni di Gregorio : Oui, il s’agit de la bourgeoisie déchue, décadente. Je voulais également montrer des dames issues de classes sociales différentes : des femmes de la bourgeoisie déchue et des femmes du peuple. Je voulais pouvoir rendre ce contraste. Mais le problème est néanmoins transversal.
Je dois ajouter que depuis la sortie du film, elles ont redécouvert une vie sociale et jouissent d’une popularité. La dame qui interprète le rôle de ma mère m’appelle souvent, me conseille de ne pas fumer et de ne pas boire. Et elle me dit qu’une soixantaine de personnes l’ont appelée.

Christiane Passevant : Elles vous ont adopté.

Gianni di Gregorio : Oui. C’est cela, elles m’ont adopté toutes les quatre. J’ai quatre mères à présent.

— L’accueil du film a fait mentir les prédictions des producteurs qui pensaient qu’un film mettant en scène des personnes âgées ne marcherait pas ?

Gianni di Gregorio : J’en suis très content et j’espère que certains producteurs regrettent de ne pas avoir produit ce film et même que certains s’en mordent les doigts. Le film est sorti en Italie en septembre et, depuis deux mois, le film est toujours à l’affiche et le public est assidu dans les salles, il passe dans 7 salles à Rome. Le film est sorti avec quatorze copies et aujourd’hui, 140 copies sont en distribution.

Christiane Passevant : L’accueil du public est très bon ?

Gianni di Gregorio : Très bon. C’est ce dont je suis le plus fier. Les gens d’un certain âge voient le film et vont le revoir. Et parfois, on m’arrête dans la rue pour des conseils.

Christiane Passevant : Ils vous demandent de garder leur maman ?

(rires) Gianni di Gregorio : Certaines vieilles dames m’ont dit qu’elles aimeraient que ce soit moi qui les garde. Pour moi c’est différent à présent, car on me reconnaît. Jusqu’alors j’étais toujours derrière la caméra ou à ma table pour écrire.

— Depuis la sortie du film et son succès, avez-vous reçu des propositions de producteurs italiens ?

Gianni di Gregorio : Maintenant oui. C’est une nouvelle carrière qui s’ouvre à moi. Incroyable, mais vrai. En ce qui concerne mes projets, j’aimerais écrire un film sur la génération des soixante ans. Je considère que ce sont eux les jeunes d’aujourd’hui. C’est le complexe de Peter Pan, qui intervient à soixante ans, pas à trente ans. Tous mes copains, qui ont la soixantaine et ont une mère de 90 ans, sortent en boîte, s’achètent des motos et se comportent comme des jeunes. Et je pense qu’il serait intéressant de voir cette évolution de la société à travers cette tranche d’âge et cette génération.

Cet entretien a eu lieu lors du 30e festival du cinéma méditerranéen de Montpellier, le 31 octobre 2008. Présentation, notes et transcription, Christiane Passevant.