Le véritable but du carnage à Gaza
Communiqués de l’UJFP 4 janvier 2009
Article mis en ligne le 29 janvier 2009
dernière modification le 9 novembre 2023

Jonathan Cook, "the Electronic Intifada" 1er janvier 2009

Traductrice bénévole : Claudine Luscher

Mon retour au pays, en Galilée, a coïncidé avec l’attaque génocidaire d’Israël sur Gaza. L’état, par le biais de ses media et avec l’aide de l’académie, a montré, d’ une voix unanime, presque plus forte que lors de l’attaque criminelle contre le Liban l’été

Une fois de plus, voilà Israël s’est engouffré avec une furieuse indignation, dans sa politique de destruction dans la Bande de Gaza. Cette épouvantable justification qu’Israël se donne pour ses actes inhumains et son impunité n’est pas seulement ennuyeuse... c’est un sujet sur lequel il faut s’arrêter, si on veut comprendre l’immunité internationale qui est donnée à Israël pour ce massacre qui fait rage à Gaza.

Tout ceci repose principalement et d’abord sur de purs mensonges transmis par des informations sur un ton rappelant les jours sombres de l’Europe de 1930. Toutes les demi-heures, un bulletin d’information à la radio et à la télévision décrit les victimes de Gaza comme des terroristes, et la réplique d’Israël en tuant massivement les Gazaoui comme un acte d’auto-défense. Israël se présente à ses citoyens comme la victime pure qui se défend d’un grand Satan.

Le monde académique a été recruté pour expliquer à quel point la lutte palestinienne est démoniaque et monstrueuse, si elle est menée par le Hamas. Ce sont les mêmes érudits qui avaient démonisé le dernier leader palestinien, Yasser Arafat, dans d’autres temps, et avaient fait en sorte de délégitimiser le Fatah pendant la seconde Intifada palestinienne.

Mais les mensonges et les représentations distordues ne sont pas le pire. Ce qui est le plus rageant, c’est cette attaque directe menée contre ce qui restait d’humanité et de dignité dans le peuple palestinien. En Israël, les Palestiniens-israéliens ont montré leur solidarité avec le peuple de Gaza et maintenant, on les considère comme la 5e colonne de l’état juif. Leur droit de rester sur leur terre natale parait leur donner un rôle douteux de supporter de l’agression israélienne. Ceux parmi lesquels qui ont accepté de passer dans les media locaux, -erreur, à mon avis- sont questionnés, et pas interviewés, comme s’ils avaient partagé les geôles du Shin beth. Leur passage à l’antenne est préfacée et suivie par des remarques racistes et humiliantes et ils sont confrontés à des accusations d’être la 5e colonne, un peuple irrationnel et fanatique. Et ça n’est pas le pire :il existe un petit nombre d’enfants palestiniens des territoires occupés qui sont traités contre le cancer dans des hôpitaux israéliens. Dieu seul sait combien ça a coûté aux familles qui ont payé pour qu’ils soient admis en Israël. La radio israélienne est allée à l’hôpital demander aux pauvres parents de dire aux auditeurs israéliens qu’Israël avait raison d’attaquer, et combien le Hamas était un grand Satan en se défendant.

Il n’y a pas de limites à l’hypocrisie quand elle est produite par une certitude de bon droit haineuse. Les discours des généraux et des politiciens vont d’un côté de l’autosatisfaction, les louanges à cette armée et ses opérations chirurgicales et de l’autre du besoin de détruire Gaza une fois pour toutes, mais de façon humaine bien sûr..

Cette pure colère a toujours été un phénomène constant, que ce soit Israël ou les Sionistes, qui soient dépossédés de la Palestine. Chaque acte, qu’il soit un nettoyage ethnique, de l’occupation, un massacre ou de la destruction, a toujours été dépeint comme un acte juste moralement et comme de la pure auto-défense, qu’Israël était obligé de pratiquer dans sa guerre contre la pire espèce des êtres humains. Dans son excellent livre "le retour du sionisme, mythes, politiques et études en Israël", Gabi Piterberg explore les origines idéologiques et historiques de cette progression historique du droit à la rage. Aujourd’hui, en Israël, de la gauche à la droite, du Likoud à Kadima, de l’académie aux média, on peut entendre cette rage juste de l’état israélien, plus occupé que n’importe quel autre au monde, à détruire et dépouiller sa population indigène.

Il est crucial d’explorer les origines idéologiques de cette attitude et de tirer les conclusions politiques de sa prévalence. Cette juste rage protège la société et les politiciens israéliens du moindre blâme ou de la moindre critique. Mais le pire, c’est que ce comportement se traduit systématiquement par des politiques destructrices envers les Palestiniens. Sans un mécanisme intérieur de critique et en l’absence d’une quelconque pression venue de l’extérieur, chaque Palestinien devient une cible potentielle de cette colère. Comme l’état juif a le pouvoir des armes à l’état juif, ça ne peut que se terminer par plus de massacres, plus de nettoyage ethnique.
La certitude d’être juste est une puissante manifestation du déni et de la justification. Cela explique pourquoi la société israélienne juive ne sera jamais guidée par des mots de sagesse, par une logique persuasive ou par le dialogue diplomatique. Et si on leur répond par la violence, cela ne pourra que provoquer une réaction frontale en raison de ce "droit juste" et de cette idéologie démoniaque utilisée pour couvrir les atrocités commises. L’autre nom pour cette idéologie est le sionisme, et le seul moyen de riposter à cette certitude d’être dans le juste droit, serait le rejet international du sionisme, et pas seulement de la politique israélienne. Il nous faut expliquer au monde, mais aussi aux Israéliens eux-mêmes, que le sionisme est une idéologie qui favorise le nettoyage ethnique, l’occupation, et maintenant des massacres massifs. Il faudrait maintenant non seulement une condamnation des massacres mais aussi une délégitimation de l’idéologie qui a produit cette façon de faire et la justifie, moralement et politiquement. Espérons que des voix qui comptent dans le monde diront à l’état juif que cette idéologie et que la conduite général de l’état sont intolérables et inacceptables et que, aussi longtemps qu’il continuera ainsi, Israël sera boycotté et sujet à des sanctions.

Mais je ne suis pas naïf, je sais que, même si des centaines de Palestiniens innocents sont tués, ça ne sera pas assez pour provoquer un glissement dans l’opinion publique occidentale. On dirait même que ces crimes commis à Gaza ne vont pas faire changer d’un iota la politique des Occidentaux envers la Palestine.
Et maintenant, nous ne pouvons laisser 2009 être une autre année, encore moins importante que 2008, l’année de la commémoration de la Naqba. Année 2008 qui n’a pas rempli les grands espoirs que nous avions tous d’avoir la bonne occasion pour que l’Occident change d’attitude envers la Palestine et les Palestiniens. On dirait même que les crimes les plus horribles, comme le génocide à Gaza, sont traités comme des événements discrets, déconnectés de tout ce qui est arrivé dans le passé, et complètement dissociés d’une quelconque idéologie ou d’un quelconque comportement systématique. En cette nouvelle année, nous devons tenter d’ouvrir l’opinion publique à l’histoire de la Palestine et à ces horreurs de l’idéologie sioniste. C’est le meilleur moyen d’expliquer le pourquoi des opérations de génocide, comme celle de Gaza et d’envisager le pire à venir.

Académiquement, cela a toujours été fait. Notre challenge actuel est de trouver un moyen de démontrer la connexion entre l’idéologie sioniste, les politiques passées de destruction et la crise actuelle. Cela devrait être plus facile de le faire dans les abominables circonstances actuelles, pendant que l’attention du monde entier est axée sur la Palestine une fois encore. Il serait beaucoup plus difficile de le faire pendant les temps d’accalmie donc moins dramatiques. Dans de tels instants "tranquilles", la légère attention traversant les media marginaliserait encore plus la tragédie palestinienne et la négligerait en pointant sur les affreux génocides en Afrique, ou la crise économique, ou les scénarios écologiques sinistres du reste du mnde. Alors que les média occidentaux ne semblent pas avoir un intérêt quelconque pour l’analyse par l’histoire, c’est hélas seulement à travers une évaluation historique qu’on pourra exposer l’ampleur des crimes commis contre le peuple palestinien depuis les 60 dernières années. Donc, c’est le rôle d’intellectuels activistes et des media alternatifs d’insister sur le contexte historique. Ces gens ne devraient pas négliger d’éduquer l’opinion publique. Ils devraient aussi , espérons-le, pousser les politiciens les plus consciencieux à aborder ce qui se passe avec une perspective historique.

De la même manière, nous pourrions trouver le bon moyen de vulgariser, distinctement de ce que nous faisons à la faculté, la politique israélienne de ces 60 dernières années : Politique qui s’inspire d’une hégémonie raciste appelée sionisme, recouverte par des couches de rage d’être dans le bon droit.

En dépit des accusations d’antisémitisme dont vous allez être accusé, il est temps de répandre dans les esprits que l’idéologie sioniste est associée à la "marque" israélienne : l’épuration ethnique de 1948, l’oppression des lois militaires sur les Palestiniens israéliens, l’occupation brutale de la Cisjordanie et maintenant le massacre de Gaza. Très proche de l’idéologie de l’Apartheid qui fut une politique répressive du gouvernement sud-africain, cette idéologie a permis de façon consensuelle et simpliste, à tous les gouvernements du passé et du présent, de déshumaniser les Palestiniens où qu’ils soient, et de se battre contre eux. De temps en temps, selon l’endroit, la manière changeait, tout comme la manière de raconter et de couvrir ces atrocités. Mais il y a un modèle clair qui ne peut être discuté seulement dans les tours d’ivoires des académies, mais qui doit entrer en ligne de compte dans le discours sur la réalité contemporaine de la Palestine.

Certains d’entre nous, particulièrement ceux qui sont engagés pour la paix et la justice en Palestine, contournent bêtement le débat en cristallisant sur les territoires occupés et la bande de Gaza, ce qui est inévitable et compréhensible. Pour lutter contre ces politiques criminelles, il y a une chose urgente à faire. Mais il faut à tout prix éviter de transmettre le message que les pouvoirs occidentaux ont joyeusement adopté sur un signal israélien. Ce message, c’est que la Palestine est seulement la Cisjordanie, et la bande de Baza et que les Palestiniens sont seulement ceux qui vivent dans ces territoires. Nous devrions agrandir la représentation de la Palestine géographiquement et démographiquement en racontant l’histoire, la vraie, des événements de 48 et de ce qui s’est passé après, et demander l’égalité entre Palestiniens et Israéliens et les mêmes droits à tous les gens qui vivent, ou ont vécu dans ce que sont aujourd’hui Israël et les territoires occupés. Urgente mission.

En mettant toujours en relation l’idéologie sioniste, les politiques israéliennes passées et les atrocités du moment, nous devrions pouvoir donner une explication claire et logique pour une campagne de boycott, de blâme et de sanctions. S’opposer de façon pacifiste à un état qui manipule une idéologie bourrée de certitudes et se permet, aidé en ça par une communauté internationale muette, à déposséder de sa terre et détruire le peuple indigène de Palestine est une cause morale. C’est aussi un moyen réel de galvaniser l’opinion publique non seulement contre l’actuel génocide qui a lieu à Gaza, mais aussi, espérons-le, pourrait prévenir de prochaines atrocités. Mais plus important que tout : cela permettrait de dégonfler le ballon de cette furie du bon droit qui étouffe les Palestiniens chaque fois que le ballon s’enflamme. Cela aiderait à mettre fin à l’immunité donnée par l’Occident et à l’impunité d’Israël. Sans cette immunité, on peut espérer que de plus en plus de gens en Israël commenceraient à voir la vraie nature des crimes commis en leur nom et leur colère serait dirigée contre ceux qui les ont piégés , avec les Palestiniens, dans ce cycle infernal de bains de sang et de violence inutiles.

Ilan Pappe tient la chaire du département histoire de l’université d’Exeter.
Electronic Intifada.