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Dix personnes ont été interpellées mardi 10 novembre 2008 à Tarnac en Corrèze, à Paris, à Rouen et à Baccarat lors d’une opération baptisée « Taïga ». Elle a mobilisé 150 policiers. Neuf sont en garde à vue dans les locaux de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) à Levallois, la dixième, la mère d’une des gardées à vue, est en garde à vue à Nancy. Ceci dans le cadre d’une enquête pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Il leur est reproché d’appartenir à « l’ultra-gauche tendance anarcho-autonome » et, ceci expliquant cela, d’être lié à une série de cinq actes de malveillance, commis entre le 26 octobre et le 8 novembre, qui ont visé le réseau TGV, au cours desquels un fer à béton en forme de crochet a été posé sur des caténaires en Moselle, dans l’Oise, l’ Yonne, la Seine-et-Marne entraînant des retards de train (pas de blessés ni de gros dégâts matériels). Sous les coups de la législation anti-terroriste, les suspects ont ensuite été présentés à un magistrat anti-terroriste. D’après la ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, les services de police les auraient été aperçus « à proximité des lieux à des heures pouvant correspondre ».
Pourtant, les policiers qui, disent-ils, les suivaient pas à pas n’ont rien remarqué d’anormal lors de leur filature. Mais la presse insiste sur le résultat des perquisitions. « Elles auraient permis de recueillir beaucoup de documents très intéressants », c’est-à-dire de la littérature militante. Il s’agit en particulier d’un livre publié en 2007 aux Éditions De La Fabrique est titré L’insurrection qui vient. Le dossier est si faible que les enquêteurs ressortent, comme par miracle, « un témoignage sous X » d’un « ancien compagnon de route » (Le Journal du Dimanche » du 16 novembre). Ces maigres indices, a priori tout à fait insuffisant pour engager de quelconques poursuites judiciaires, semblent cependant suffire au ministère de l’intérieur et à la justice d’exception créée pour combattre au nom de la lutte contre le terrorisme la moindre velléité de rébellion ou d’action politique hors du cadre institutionnel. Ainsi sont mis sur le même plan Al-Qaida et la soi-disante « mouvances » qui désormais représente une menace pour « la société ». La communauté libertaire de Tarnac est même qualifiée « de base arrière ». Termes largement repris dans tous les articles de presses (Le Parisien, Le JD, Figaro,…). Pourquoi pas de zone tribale pendant qu’on y est. Gageons que désormais ce petit village de Corrèze sera contrôlé manu militari par une compagnie de Gendarmerie désormais cantonné à proximité. À croire que le 26 octobre serait le 11 septembre du pauvre. Et les média de s’emballer sur le thème de « la résurgence violente de l’extrémisme radical ».
La connotation avec l’islamisme radical n’aura pas échappé aux natures inquiètes et paranoïaques. La presse écrite et télévisuelle, comme par exemple le mercredi 12 novembre 2008 dans l’émission « C dans l’air » présenté par Yves Calvi intitulée « Ultragauche : la tentation terroriste », multiplient le recours à des pseudo spécialistes (façon bac à sable comme lors de la première guerre du Golf) pour expliquer la nature du danger qui menacerait « la démocratie ». Les journaux télévisées, pendant qu’un commentaire réduit à quelques approximations sensées rendre compte des derniers développement de l’affaire, montrent des images des manifestations au cours desquels des jeunes gens affrontent les forces de l’ordre, ou mieux encore de simples défilés libertaires, ne lésinant sur aucun sous-entendu en montrant abondamment des têtes de cortèges cénétistes. Où l’inculture historique et politique absolument vertigineuse des journalistes comme dans Libération du 12 novembre où François Sergent cite Émile Pouget et l’histoire du syndicalisme révolutionnaire avec un art consommé de l’amalgame qui laisse rêveur. Et le procès d’intention se pare des vertus de la vérité, de la sagesse, du raisonnable, du culte du juste milieu et de la distance critique (excusez du peu). Le plus souvent les rapports de police sont, à l’évidence, purement et simplement recopiés sous le qualificatif « de sources concordantes » ou, délicate litote, selon « des sources proches des enquêteurs ». Comment ne pas penser, écoutant leur phraséologie, leur pensée réduite à sa propre caricature, notamment avec l’usage inconsidéré du mot « terrorisme », au texte d’Éric Hazan intitulé LQR La propagande du quotidien. Ouvrage dans lequel l’auteur met en évidence la manipulation idéologique du langage utilisé insidieusement par l’appareil de domination, autrement dit, les médias et le flot de pseudo analyses professées par des spécialistes. La démarche d’Éric Hazan rend hommage à Victor Klemperer, l’auteur de la LTI, « Lingua tertii imperii » publié chez Albin Michel en 1996.
L’étude de la pénétration de l’idéologie Nazie au plus profond de la chair et de l’inconscient de tout un peuple se fit, dit-il, au moyen d’un grand nombre d’expressions, de mots et de tournures syntaxiques. Elles s’imposèrent comme autant d’évidence qu’on ne discute plus. Comme antidote, et à toutes fins utiles avant qu’il ne soit trop tard, on lira aussi Propaganda d’Edward Bernays publié aux éditions Zones en 2007. Edward Bernays (1891 1995), neveu de Sigmund Freud, a écrit ce guide pratique de la manipulation de l’opinion publique en 1928 aux USA alors qu’il était conseiller en communication. Cet ouvrage instructif explique comment fabriquer des campagnes qui soient de nature à exercer un pouvoir réel sur la société. Il semble faire écho à L’homme de cour de Balthasar Graciàn rédigé en 1641 et qui, lui aussi, savait de quoi il parlait. « Il faut premièrement mettre la main aux grandes affaires, et puis l’étendre libéralement aux bonnes plumes », écrivait, entre autres choses, le jésuite. Edward Bernays nous explique que les journalistes sont contraints de travailler en bonne intelligence avec leur source et que de ce fait il faut savoir en user comme des relais. Si l’homme politique moderne sait s’appuyer sur le savoir-faire de conseillers en communication expérimenté, ils l’aideront, via ses relais, « à enrégimenter les masses pour mieux les guider » (p.108).
Il décrit, je cite, « des mécanismes de contrôle de l’opinion publique et d’exposer les méthodes à même de susciter l’approbation générale pour une idée ou un produit » (p. 38). « L’important, dit-il encore, n’est pas qu’une information soit ou non de la propagande. L’important est qu’elle soit d’actualité » (p.136). En 1928 Bernays explique sans détour qu’à l’avenir ceux qui influenceront les opinions publiques détiendront réellement le pouvoir et plaide pour le gouvernement invisible qu’est la propagande. Tristes temps où les scénarios les plus pessimistes, dont celui d’Orwell, deviennent une réalité.
Jean Luc DEBRY