Analyse des élements et raisons de la crise financière US, et ses conséquences sur le reste du monde
Krisis (katastroph) ou kairos (moment opportun)
Avec la crise des subprimes (juillet 2007) nous assistons à une aggravation des choses malgré des actions désordonnées des banques centrales pour sauver les meubles. La banque centrale européenne (BCE), hier, vient encore d’injecter 100 milliards de dollars dans le système bancaire européen. Les USA (FED) 120 milliards, la banque centrale japonaise 23, etc. Les USA ont mis Freddie mac et Fannie Mae (7 000 milliards de dollars de prêts hypothécaires en cours) sous tutelle étatique et ont garanti les dépôts. Cela veut dire que la FED achète des titres vaseux aux banques ou assureurs en difficulté contre des bons du Trésor US, ce dernier empruntant à l’étranger pour compenser, ce qui revient à faire tourner la planche à billets. C’est une nationalisation déguisée d’organes privés mais à statut particulier puisque leurs prêts étaient bonifiés par l’Etat et leur solvabilité garantie. Déjà en juillet-aout 2008 il ya avait eu des injections massives de fonds des banques centrales vers les banques privées. Le Crédit agricole (CA), banque soi-disant mutualiste en France, a déjà perdu 5 milliards d’euros, la Société générale 3, etc. La Northern Bank écossaise a été nationalisée par les britanniques, etc. Lehman Brothers, banque d’investissement et d’affaires américaines avec 620 milliards de dollars de portefeuille, s’est déclarée en faillite. AIG, premier assureur aux USA, vient d’être sauvé par un prêt de 85 milliards de dollars de la FED (banque centrale des USA). Merrill Lynch (nom prédestiné) vient d’être rachetée. Bears Stearn a été rachetée. Morgan Stanley bat de l’aile. Les banques suisses, anglaises et allemandes ont-elles aussi essuyé des pertes considérables. Surtout les banques d’affaires, mais aussi en Europe les banques de dépôt qui avaient financé en douce leurs filiales d’affaires (Caylon du CA ou Natixis).
C’est une crise financière mondiale en Occident et une mise en cause radicale du système financier international. Crise financière qui n’a rien à voir avec celle de 1929. Celle-ci a été provoquée par la surproduction : la productivité augmentait exponentiellement alors que les capitalistes, sauf Ford, n’accroissaient pas les salaires ; du coup les salariés ne pouvaient pas acheter la production et celle-là ne pouvait être vendue à l’étranger faute de mondialisation commerciale. Du coup, les bénéfices s’écroulaient, ce que la bourse a fini par constater, d’où le krach. Aujourd’hui, c’est l’inverse : c’est l’écroulement de la spéculation financière qui risque d’entraîner une récession productive mondiale.
C’est en même temps une crise « systémique » par effet de dominos. Pour le comprendre, il faut déconstruire les mécanismes des subprimes et de la finance. L’idée de base est typiquement américaine : le rêve individuel d’accéder à la propriété individuelle pour snober les voisins et grimper dans l’échelle sociale de la méritocratie prouvée par l’accès à la propriété. C’est ce postulat qui a été repris par Sarkozy, alors que seulement 57 % des Français sont propriétaires. Pour ce faire des margoulins ont placé des prêts hypothécaires à taux d’intérêt variable (à taux progressif au fil du temps et avec en plus non-remboursement du capital dans les 1ères années) chez des gens de la classe moyenne très inférieure qui ne pouvaient pas payer, sauf si la valeur de leur bien augmentait. Ce fut chose faite car, sous la houlette du génie Greenspan, alors patron de la FED, les taux d’intérêt étaient très bas (1 % fin 2000, soit un taux réel négatif), ce qui a poussé à acheter de l’immobilier, ce qui a poussé à la surévaluation accélérée de ceux-ci, ce qui a amené les fonds spéculatifs d’investissement à emprunter pour acheter des entreprises (c’est la raison du succès des LBO). Les prêteurs (banques, assurances) ne prenaient pas de risque puisque en cas de défaillance de l’emprunteur, le bien vendu valant bien plus que le prêt initial, l’acheteur récupérait sa mise et le préteur se remboursait. Greenspan avait bien vu que les salaires stagnaient depuis 20 ans et en avait déduit que pour redonner du pouvoir d’achat on pouvait spéculer sur la valeur des biens immobiliers par une spéculation en quelque sorte auto-entretenue. D’où une bulle financiaro-immobilière qui a pété.
Mais ce n’est pas tout. Il se trouve que les Américains peuvent faire de l’emprunt « revolver » (normal au pays de M. Colt et de Columbine) : si la valeur du bien augmente et en fonction de l’amortissement du capital emprunté, on peut emprunter à nouveau et ainsi de suite. C’est ce beau mécanisme que M. Sarkozy veut implanter en France. Ce qui implique qu’il y ait amortissement et plus-value du bien acheté. Las, en 2006, la Fed a dû augmenter son taux de réescompte (dit taux directeur car c’est celui qui détermine tous les autres, car c’est à ce taux que les banques se prêtent entre elles et que la FED sert de prêteur en dernière instance). En effet, les déficits américains (budgétaires et commerciaux, 1 200 milliards de dollars par an) devenaient tels que les acheteurs étrangers de bons du trésor américain prenaient peur d’être remboursés en roupies de sansonnet et menaçaient d’acheter des obligations étatiques des européens et cela en euros ; il fallait compenser par une prime de risque, à savoir un meilleur taux d’intérêt. Du coup, les autres taux d’intérêt s’envolèrent ; or ils étaient variables ce qui entraîna énormément de défaillances d’emprunteurs de subprimes (prêts hypothécaires spéciaux pour prolétaires). Du coup la valeur des biens immobiliers s’effondra (plus de 20 % en moins en moyenne en 2008) ; les banques ne pouvaient plus se rembourser ; les emprunteurs étaient à la rue. Plus question de prêts revolving à la consommation. Il faut savoir que les Américains sont endettés à hauteur de 145 % de leur revenu (raccord battu pour les Britanniques pour lesquels c’est 170 %). Signalons au passage que 15 % du PIB anglais est fictif : finance, largement off shore, et immobilier surévalué. La crise le dégonfle et la G-B est le pays européen le plus touché. Le bâveux Marianne évoque 20 000 milliards de pertes par suite de la crise. C’est oublier que les ¾ de ce montant sont en fait une valeur fictive liée aux manipulations financières.
Il faut savoir aussi que la finance avait été très imaginative et spéculatrice : les dettes hypothécaires avaient été « titrisées ». Cela veut dire, par exemple, que 1 000 hypothèques détenues par une banque ou un prêteur (Fannie Mae ou Freddie Mac) étaient transformées en une obligation vendable sur le marché financier. Déjà, dans les hypothèques il y avait amalgame entre du peu risqué et du très risqué ; l’heureux titulaire du titre unique représentant 1 000 créances n’en savait rien. Encore mieux, les titres hypothécaires titrisés furent mélangés avec d’autres créances en tout genre, sur toutes sortes de prêts (achats de voitures, d’électroménager, LBO, achats à terme, cartes de crédit, etc.). La titrisation produisait une espèce de millefeuille où aucune chatte n’aurait retrouvé ses petits. Le gâteau a été fourgué partout dans les banques et assurances du monde (y compris en Chine qui en a pour 300 millions de dollars). L’avantage était que ces titres « titrisés » rapportaient beaucoup à des banques peu regardantes qui les fourguaient à leurs clients sous forme de « sicav dynamiques ». En Europe, la majeure partie des clients était prudente : elle a souscrit des titres garantis à échéance. Du coup, les banques européennes, qui avaient alimenté la spéculation pour maximiser leur profit, durent provisionner des pertes massives sur les titres garantis et passer par pertes et profits leurs créances douteuses de subprimes. Les assureurs en avaient aussi souscrit (pour alimenter leurs réserves obligatoires, en association avec leurs propres titres et des immeubles). C’est ce qui explique que l’assureur AIG soit en passe de faire faillite malgré son renflouement par la FED. Les assureurs européens n’ont sûrement pas les fesses propres, bien qu’on l’ait dissimulé jusqu’à présent. Seules les banques ont révélé une partie de leurs pertes (cela permettait en outre de diminuer les bénéfices 2007 et donc les impôts). Et cela va continuer : la faillite de Lehman Brothers engage 620 milliards de dollars largement répartis en Occident, ce qui va causer de nouvelles pertes chez les banques et les assureurs européens. Dexia, en France, va encore prendre 500 millions de dollars dans les gencives. Le CA 270, la Société générale 479, etc.
Il faut donc observer que le mécanisme de la « titrisation » a introduit un risque systémique puisque personne ne peut savoir ce que les différentes banques et « rehausseurs de crédits » (Freddie Mac et Fannie Mae) ont mis dedans. Personne ne sait jusqu’à quel point telle ou telle banque est mal engagée dans les actifs « titrisés ». Du coup, les banques se méfient les unes des autres et ne se prêtent plus entre elles, ce qui amène une pénurie de crédit et un manque généralisé de liquidités pour financer l’économie. D’autant plus que lesdites institutions financières ont vu fondre leurs réserves obligatoires : leurs propres actions (moins 70 % sur le titre du CA car les bénéfices ont fondu de 90 %), leurs immeubles (baisse de 15 % du marché immobilier en France), leur portefeuille de créances plus ou moins douteuses. C’est pourquoi les banques centrales, aux frais du contribuable qui n’en peut mais, injectent massivement des liquidités pour renflouer la finance capitaliste ! C’est pourquoi les banques essaient de se refinancer en émettant de nouveaux titres (augmentations de capital). Hélas pour elles les pigeons ont été échaudés. Déjà, pris à la gorge par la hausse des taux d’intérêt, par les pertes sur leur assurance-vie par capitalisation ou sur leur retraite et par la baisse de valeur des logements, nombre de petits bourgeois ont vendu leurs FCP, leurs Sicav, etc. ce qui contribue à faire baisser les bourses : moins 30 % sur le CAC 40 en France depuis janvier 2008.
Une des conséquences de la crise est donc déjà morale : le libéralisme capitaliste est une tromperie qui ne tient pas ses promesses ; l’Etat n’est pas neutre ; la finance est immorale par nature et ses agissements et spéculations doivent être mis sous contrôle public. Déjà des voix libérales s’élèvent dans ce sens : Peyrelevade, ex-PDG du Crédit Lyonnais, Arthuis, etc. Curieusement, on n’entend guère les socialistes. Il est vrai que les Fabius, Delors, Bérégovoy et DSK sont les principaux artisans de la mise de la France sous la coupe des marchés financiers internationaux. La perte de confiance se voit dans le fait que les injections massives d’argent frais par les banques centrales (la FED a injecté 900 milliards de dollars depuis juillet 2007, va rajouter 800 milliards pour rassurer les marchés fin septembre 2008, à ajouter à 10 000 milliards de dette publique des USA car le Trésor doit rembourser ladite FED) au lieu de rassurer accélèrent la baisse des actions et autres titres.
Maintenant passons aux conséquences économiques de la crise financière. Les gogos, poussés par les gouvernements, qui ont investi dans des assurances-vie ou des compléments de retraite par capitalisation risquent de l’avoir dans le baba de même que les heureux bénéficiaires de fonds de pension privés : d’ores et déjà, ils peuvent songer à économiser au lieu de consommer. Il en est de même pour les petits épargnants qui avaient placé leurs économies dans des médiocres portefeuilles boursiers, cela au moment où Sarkozy dans sa grande prescience vient de taxer de 1,1 % les revenus boursiers des classes moyennes (les riches y échappant par suite du bouclier « fiscal » de plafonnement de tous les impôts à 50 % du revenu). Parallèlement, le crédit revolving sur l’immobilier est terminé, ce qui va amener une crise de la construction immobilière et le chômage qui va avec, à ajouter aux licenciements dans les banques et les assurances. Les USA vont vers une crise de sous-consommation (ça tombe bien, ils produisent en Chine ou ailleurs dans le Tiers-Monde). Du reste, nombre de ménages US sont désormais insolvables. Les valeurs immobilières et foncières s’effondrent, ce qui ne peut qu’encourager une épargne de précaution. Les banques de dépôt ne peuvent plus prêter : elles sont tombées en dessous de leurs réserves obligatoires (en gros 10 % des crédits qu’elles peuvent consentir), la valeur de leur titre a fondu ; leurs clients préfèrent mettre leur argent dans une lessiveuse. Du coup le crédit à la consommation et à l’investissement va subir des coupes drastiques, ce qui va accélérer la récession économique et le chômage par mévente de tous les biens d’investissement : autos, frigos, télés, etc.
Les beautés de la capitalisation individuelle (retraites, assurances) sont apparues toutes nues, sortant du bénitier de Benoît XVI : c’est trop incertain ; etc. La Chine et les pays émergents (pour l’instant peu touchés) vont moins vendre aux USA et à l’Occident, ce qui les amènera aux aussi à la récession, sauf s’ils prennent le parti, enfin, d’investir dans la production et la consommation nationale au lieu de faire tirer leur expansion par la demande internationale exigée par les firmes multinationales qui se sont implantées chez eux au détriment des travailleurs de leur pays. On peut donc s’attendre à une sérieuse récession économique et, à mon humble avis, durable car ce qui est atteint ce sont les mécanismes mêmes du capitalisme et peut être plus encore : la confiance envers le capital et ceux qui l’ont soutenu à savoir les politiciens et les médias. Sauf si les PVD se mettent à acheter à l’Occident pour leur propre développement. Par exemple la Chine pourrait remettre en cause son deal avec les USA : tu m’achètes de tout et je te prends tes bons du trésor qui financent tes guerres et tes déficits. Là, l’empire du bien en prendrait un sacré coup dans les badigoinces, de même que le reste de l’Occident et le monde créancier en dollars.
Déjà, on demande des régulations, déjà on réclame l’intervention de l’Etat sur la circulation des capitaux, la sincérité des comptes, la nature des produits financiers, etc. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle et cela amorce un retour à la régulation de l’économie. Gageons cependant que ce retour demeurera capitaliste…jusqu’à la prochaine crise. Cela ne nous amènera pas, hélas, à un changement de logique du système. Et cela pour des raisons que je ne puis expliciter ici. C’est une bonne nouvelle aussi car si la consommation baisse, notamment celles de pétrole et de ciment, la planète aura un court répit. Vive la crisis grecque ; pour la gauche anticapitaliste et de la décroissance, c’est le moment opportun à saisir, le kairos grec.