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Bref aperçu du contexte politique et social du Sri Lanka
A. Simbasinghe
Article mis en ligne le 16 avril 2009
dernière modification le 25 mars 2009

Le passé multiculturel et d’échange commercial mondial

Le Sri Lanka est une mosaïque de peuples. On distingue les Cinghalais bouddhistes, les Cinghalais chrétiens, les Tamouls hindouistes, les Tamouls chrétiens, les Burghers (métis des colons européens), les Maures sri lankais, les Malais, les Indiens musulmans, les Chinois, les Veddhas.

Tous ces peuples vivaient ensemble, avec leurs identités différentes, sur un même territoire, en partageaient les croyances comme les lieux de pèlerinage. Le mariage métis était aussi pratiqué.

Hormis les guerres de pouvoir entre les différents royaumes de l’île ou avec les empires du Sud de l’Inde, l’histoire du pays n’a pas été marquée par le communautarisme, à l’exemple de l’Inde qui présente une grande diversité de communautés différentes endogames.

Tous ces peuples vivent ensemble depuis des siècles.

Les Veddahs, peuples aborigènes de la forêt, réduits à quelques milliers aujourd’hui, sont considérés comme étant les premiers habitants du Sri Lanka.

L’identité cinghalaise est née avec l’établissement de populations venues de l’Inde du Nord-Est et du Nord-Ouest, à partir environ du Ve siècle avant JC. Cette identité a continuellement évolué, d’une part, en intégrant les populations autochtones de l’île et, d’autre part, en absorbant, tout au long de son histoire, une immigration en provenance de l’Inde du Sud. Ce peuple, après la conversion au bouddhisme de Devanampiya Tissa, puissant roi cinghalais, adopte cette religion, mais tout en conservant des coutumes de l’avant-bouddhisme. Le « bouddhisme » pratiqué par les laïques est en réalité un bouddhisme syncrétique qui, avec les siècles, intègrera les influences hindouistes de l’Inde du Sud.

Les Tamouls « autochtones » du Sri Lanka (en opposition aux Tamouls que les colons britanniques firent venir au XIXe siècle pour l’exploitation des plantations de thé au centre du Sri Lanka), représentent une communauté notable dès le Xe siècle. Cette communauté, actuellement majoritaire au Nord, est issue de la région du Tamil Nadu. Les Tamouls sri lankais ont transformé ces terres arides, désertées par les Cinghalais, et y ont fait prospérer une civilisation particulière.

Dès l’antiquité, grâce à sa position stratégique,le Sri Lanka a commercé avec la Grèce, Rome, l’Inde, l’Asie du Sud Est, la Chine et le Moyen-Orient. L’implantation de l’Islam vient de ces échanges commerciaux avec le Moyen-Orient islamisé. Trois vagues de colonisation ont marqué le Sri Lanka, portugaise, hollandaise et enfin britannique. Les Britanniques ont conquis toute l’île en 1815.

Repli identitaire, guerre, attentats, pogroms et massacre de la jeunesse sri lankaise

Au sortir de l’indépendance du pays en 1948, le Sri Lanka se retrouve confronté aux conséquences d’un legs colonial britannique bien embarrassant. Les Britanniques ont en effet favorisé les minorités tamoules et chrétiennes tant politiquement qu’économiquement, y compris dans les régions à majorité cinghalaise bouddhiste.

En réaction, il se produit alors un repli communautariste, sorte de retour de bâton, en particulier de la part des Cinghalais bouddhistes bien qu’il existe aussi des Tamouls bouddhistes et des Cinghalais hindouistes [1]. Aujourd’hui, les manuels scolaires enseignent essentiellement l’histoire des royaumes cinghalais bouddhistes.

C’est le début d’un conflit ethnique qui se transforme en guerre civile quelques années plus tard.

Plusieurs groupes de contestation revendiquent la défense des droits des Tamouls, notamment les groupes formés d’étudiants et d’intellectuels.
Le LTTE (Tigres de Libération de l’Eelam Tamoule) est l’un de ces groupes. Il a bénéficié de financement et de fourniture d’armement de la part du gouvernement indien et est devenu le seul « défenseur » des droits des Tamouls du Sri Lanka en assassinant les personnes importantes des autres groupes contestataires. Il perpétue d’ailleurs ces assassinats politiques.
Le groupe est très puissant et très bien organisé. Il existe une véritable mafia qui rackette les Tamouls de la diaspora pour le financement de leur groupe. C’est le cas à Paris, notamment dans le quartier de La Chapelle – Gare du Nord.
Leur très charismatique leader est Vellupillai Prabhakaran.

En 1983, le LTTE s’attaque à des soldats du gouvernement dans la zone Nord. C’est alors le début de pogroms anti-Tamouls perpétrés en toute impunité par une minorité de Cinghalais, et orchestrés par des mouvements proches du gouvernement. C’est l’année du grand exil à l’étranger des Tamouls sri lankais. C’est aussi le début du terrorisme du LTTE et de la guerre civile.

Le LTTE est à l’origine, en 1991, de l’attentat-suicide dans lequel le Premier ministre indien, Rajiv Gandhi, trouve la mort. La cause tamoule sri lankaise bénéficie d’un fort soutien au Tamil Nadu où existent des camps d’entraînement et des bases pour les terroristes. Ce qui inquiète l’Inde, car les velléités de séparatisme pourraient aussi affecter l’Union indienne, qui a également récupéré un legs empoisonné du colonialisme britannique : la question aryenne.

La violence au Sri Lanka n’est pas le seul fait du conflit ethnique, il existe aussi un conflit sociopolitique.
Après l’Indépendance, la majorité de la population accède à l’éducation grâce aux efforts de l’État dans ce domaine. Le taux d’alphabétisation est de plus de 90%, y compris dans les zones rurales pauvres où le chômage est important. La jeunesse de ces régions se retrouve ainsi face à l’élite anglicisée de Colombo, bien éloignée de leurs problèmes et vivant dans un système néo-colonialiste d’une économie qui pille les richesses du pays. La société est confrontée à la fois à l’inefficacité du parlementarisme et à la menace de l’expansionnisme indien.
Le JVP (Front Populaire de Libération), influencé par les partis d’extrême gauche sri lankais, par les modèles soviétiques et chinois et par le mode d’action guévariste, émerge dans ce contexte.

La jeunesse rurale, instruite, pauvre et au chômage adhère au mouvement. En 1971, un mouvement social éclate et les premières attaques sont dirigées contre les postes de police. La répression des forces gouvernementales est brutale et se traduit par 20 000 arrestations et 10 000 morts. [2]. Le gouvernement ne veut rien entendre et poursuit la même politique économique et sociale.
Le mouvement reprend avec plus de vigueur et plus de violence en 1987.

Or, en juillet 1987, le Sri Lanka signe un accord avec l’Inde pour en finir avec le LTTE. L’Inde intervient même militairement, mais trois ans plus tard, elle se retire après un échec total.

L’intervention indienne provoque, en 1987, la seconde insurrection du JVP composé d’une nouvelle génération sri-lankaise. Cette insurrection est beaucoup plus violente et s’oppose à l’idée d’un État séparé pour les Tamouls du Sri Lanka.
Des membres du parti politique au pouvoir sont assassinés ainsi que tout partisan du gouvernement.

Le Sri Lanka doit alors faire face à la guerre civile et aux assassinats.
Le nouveau président élu en 1988, Ranasinghe Premadasa, instaure une période de terreur. Ses escadrons de la mort tuent le noyau du JVP, mais aussi les jeunes, les intellectuels, les défenseurs des droits humains, tout opposant au régime. Les universités sont fermées. Les escadrons, non seulement tuent, mais torturent et terrorisent la population. Les cadavres jonchent les rues, les routes et flottent à la surface des fleuves. Cette terreur fait des dizaines de milliers de victimes, plus encore que la guerre civile. Après cette période de barbarie, le peuple est terrorisé et muet.

De 2002 à 2006, un cessez-le-feu est déclaré, et respecté, entre le gouvernement et le LTTE. Aucune issue n’est trouvée. Le LTTE en profite pour se réarmer et se préparer aux actes terroristes et à la guerre.

Depuis, la guerre civile a repris, comme la censure, les morts suspectes de journalistes critiques du régime, les enlèvements, les emprisonnements arbitraires, et la répression de la communauté tamoule par un gouvernement très nationaliste (cinghalais bouddhiste) [3].
Le gouvernement actuel considère que toute personne critiquant l’État, en temps de guerre civile, est un terroriste du LTTE [4].

Quel futur ?

Les analyses sont très pessimistes en l’état actuel des choses.

Le peuple sri lankais est victime de deux pouvoirs qui s’affrontent : le gouvernement et le LTTE. Chacun prônant un extrémisme qui fait de la population la victime et l’otage du conflit.
Réprimés par le gouvernement, les Tamouls du Sri Lanka sont considérés d’emblée comme suspects. Ils sont enlevés, interrogés et parfois assassinés.
Le LTTE les rackette et les enrôle de force dans son armée. La pratique n’est pas récente et comme les combats ont décimé une grande partie de la jeunesse tamoule, ce sont les mineurs — filles et garçons — qui sont touchés.

Les régions à majorité tamoule survivent économiquement dans de grandes difficultés. Que reste-t-il de leur passé prospère ? De leur culture, de leurs artistes exilés, tués ou utilisés pour la propagande des Tigres ?
Et que dire de cette immense diaspora qui depuis tant d’années souffre en exil ?

La situation est de plus en plus difficile, les victimes des combats, des attentats suicides des Tigres sont nombreuses. Les journalistes alternatifs sont assassinés ou enlevés, les intellectuels sont menacés. La population vit dans la peur du retour de la terreur de jadis.

Les Sri Lankais musulmans, pris entre deux feux — les Tigres et l’armée gouvernementale —, ne seront-ils pas séduits par le repli communautaire ? Et que dire pour les Sri Lankais chrétiens, les Burghers, les Malais, les Tamouls des plantations qui ne se sentent pas représentés par ce gouvernement qui prône l’identité cinghalaise bouddhiste ?

Tout cela sans parler de la situation économique du pays, étrangement mise à l’arrière-plan par le gouvernement dans sa logique de guerre. Si celui-ci parvient à vaincre les terroristes dans cette guerre « totale », cela se traduira sans doute par une difficulté supplémentaire à unifier la population du Sri Lanka. [5] Il est certain que l’on ne mesure pas encore l’ampleur des conséquences catastrophiques de la guerre civile pour toute la société.

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