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A propos de Tesson et du Printemps des poètes.
André Markowicz
Article mis en ligne le 30 janvier 2024
dernière modification le 1er février 2024

. C’est pour cela que nous donnons à nos lecteurs connaissance de ce qu’a écritAndré Markowicz, traducteur reconnu de la littérature russe et co-éditeur d’ouvrage de poésie de Mesure. Repris de son compte Facebook.

André Markowicz

Pour conclure, en douze points, et poursuivre.

I.
J’ai dit dès le début que le premier défaut, – un défaut majeur – de la tribune publiée dans Libération était qu’elle n’était pas adressée à la bonne personne, ce qu’ont redit deux jours plus tard et Le Monde et Libération : non que j’y voie, bien sûr, une quelconque influence de ma part, mais juste l’effet de l’évidence. – Il y a banalisation de l’extrême-droite non de la part de Tesson, qui est ce qu’il a toujours été (et j’ai eu le temps de glaner quelques textes, anciens et nouveaux, il n’y a aucun doute sur la chose), mais de la part de la direction de ce « Printemps ». […]

II.
Ce qu’il faut dénoncer à propos du Printemps des poètes est le système de prébendes, j’allais dire, familiales qu’il illustre, système qui permet toutes sortes de dérives, dont cette banalisa-tion d’idées réactionnaires (appelons ça au minimum d’anarchiste de l’ultra-droite) : une ba-nalisation, justement, banale, puisque Sophie Nauleau a nommé comme parrain quelqu’un qu’elle connaît depuis longtemps, et avec lequel elle entretient des relations d’amitié. C’est, au minimum, un échange de bons procédés entre amis, sur fonds publics. Si ce système peut être transformé, réformé, si quelque chose peut réellement être changé suite à ce scandale, je ne pourrai qu’en être content.

III.
En même temps, j’ai découvert le budget 2024 de ce Printemps des poètes : 240.000 € en tout, si j’ai bien compris. Desquels, évidemment, doivent être déduits les frais de fonctionnement, les salaires (je ne sais pas quel est le nombre des salariés). Je ne connais pas les salaires, mais, à l’évidence, ce doit être moins de la moitié qui peut être reversée aux artistes (en comptant dans cette deuxième moitié les frais de déplacements, etc.). C’est-à-dire que les sommes re-versées en vrai sont absolument dérisoires, sachant qu’il y a des centaines d’artistes qui sont concernés. De cela, de cette déshérence-là, je n’en avais pas idée.

IV.
Là était la deuxième faiblesse, elle aussi gravissime, de cette tribune. Le peu d’argent versé par l’Etat (peu importe ici par quelles instances, région, ministère etc.) est réparti entre une quantité astronomique de gens qui n’en vivent pas, mais en ont besoin pour vivre. Peut-être pas pour leur salaire (quoique évidemment si), mais pour avoir un minimum de visibilité dans un milieu buissonnant, numériquement important, – une foultitude (la vitalité contemporaine de la poésie est essentiellement liée à internet et la facilité pour n’importe qui de produire : ce qui, pour les générations précédentes, restait dans les cahiers, ici, est produit sur écran. Ce que je dis là est tout sauf une critique). L’impression que donne cette tribune – une impression peut-être pas unanime, mais en tout cas très partagée – est que les gens qui l’ont écrite ména-gent l’instance qui les paie. C’est-à-dire qu’ils ne protestent que sur papier, mais qu’ils ne sont pas prêts à renoncer à leurs cachets, qu’ils ne feront pas grève, eux. C’est pour cela que j’ai parlé de pleutrerie.

V.
Il se trouve que je connais quand-même (sans, pour la plupart, les avoir jamais vus) un certain nombre de signataires de cette tribune, à cause de mes chroniques sur ce non-lieu qu’est FB. Echangeant avec eux (j’ai passé beaucoup de temps à ça également), j’ai découvert avec sur-prise que, pour la plupart, ces amis n’avaient pas lu la tribune jusqu’au bout. Une bonne quin-zaine d’interlocuteurs m’a répété ça. Ils avaient signé contre l’extrême-droite (ce qui était dit dans la première partie de la tribune) et n’avaient lu qu’en diagonale, ou pas du tout, la deu-xième. Je ne suis pas sûr que ce soit très sérieux.

VI.
Or, la partie finale de cette tribune frappe par son ridicule, et son caractère, dirons-nous, hors de propos, sinon inepte. D’abord, se revendiquer « poète » m’a toujours semblé très gênant, à plus forte raison que tu parles de « poètesses, de poètes, enseignants, bibliothécaires, etc... » comme si, poète, c’était un métier comme celui d’enseignant. – Mais la conclusion de cette tribune était inepte par le fait qu’elle affirme ce que la poésie est censée être et où elle est supposée se trouver (et toujours dans un « nous » qui ne peut être que de mauvais aloi quand on parle de quelque chose qui est de l’ordre du rapport intime avec le monde et la langue). La conclusion de la tribune est inepte pour une raison fondamentale : là encore, elle ne frappe pas à la bonne porte. Les institutions, par nature, n’ont pas à savoir ce que c’est que la poésie, parce que ça ne les concerne pas. Ce qui les concerne, ce sont les conditions matérielles qui lui permettraient de parvenir à son public, et uniquement cela : c’est déjà énorme, et, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a du chemin à faire avant d’y arriver, surtout avec le gouverne-ment actuel. Avec l’État, par nature, on ne doit parler que de moyens, de structures, d’objectifs, de politique. Toute autre conversation donne l’impression d’une cuistrerie.
*

VII.
Je continue de penser que « le style, c’est l’homme » (et non l’inverse), c’est-à-dire qu’une idée mal exprimée est moins une idée fausse que le signe qu’il y a quelque chose de faux dans la personne qui parle. Faux, ou inabouti, irréfléchi. Bref, cette tribune n’était ni faite ni à faire, et je ne parle pas cette erreur incroyable sur la préface écrite par Tesson pour un roman de Jean Raspail, alors que c’était un récit de voyage, accusation effacée par la suite (et pourtant Ras-pail reste Raspail qu’il écrive un roman ou parle de ses expériences de voyage). Je ne sais pas comment elle a été écrite ni par qui, mais, visiblement, très vite et très mal. C’est cela – et cela seul – qui a ouvert la voie au déferlement de haine qui l’a accueillie. Parce que l’occasion était trop belle, pour une grande partie de l’institution, de la classe politique, de je ne sais trop qui, de s’en prendre non pas aux signataires (à eux aussi, bien sûr, d’autant que, pour la plu-part, de fait, personne ne les connaît dans le grand public, et que parler de 1200 poètes en France, c’est enfoncer une porte ouverte que de dire que c’est juste pathétique. Des poètes, n’importe où, dans n’importe quel pays, dans n’importe quelle génération, il y en a, quoi, cinq-dix maximum, et c’est une loi universelle, absolument normale), non pas tant aux signa-taires, donc, qu’à l’idée même du subventionnement de la culture (de la poésie) par les ins-tances publiques.

VIII.
Cette tribune prêtait le flanc à toutes les critiques possibles, et l’occasion était là. Du coup, ç’a été un front commun, d’autant plus étonnant qu’il réunit le Parti communiste et Valeurs ac-tuelles, avec, à chaque fois, le sentiment qu’on peut y aller sans problème, au nom d’une va-leur fondamentale, qui est la liberté d’expression : parce que, de fait, si la poésie est plurielle (c’est heureux), pourquoi Tesson n’aurait-il pas le droit de parler ? Et pourquoi la poésie se-rait-elle plus légitime si elle était de gauche ?... Je n’énumère pas une nouvelle fois toutes les critiques possibles, – plus on y pense, plus on en trouve.
*

IX
Et pourtant, et c’est là essentiel, cette critique partait d’un constat important, et tragique : oui, les idées de l’extrême-droite sont de plus en plus banalisées, et, oui, il y a une droitisation de plus en plus radicale du débat politique et de la société en général. Et, oui, la nomination d’un homme comme Tesson en est un signe parmi des dizaines et des dizaines d’autres. Et oui, il y a bien urgence, et danger immédiat, imminent, de basculement. D’autant plus que les régimes autoritaires, dans le monde entier, ont le vent en poupe, – je ne vous fais pas un dessin. Bref, oui, il faut absolument réagir, essayer, d’une façon ou d’une autre, d’éveiller les consciences.

X.
Pourquoi ai-je parlé ? Où est-ce que je me situe ? Est-ce que je signe la contre-tribune pour soutenir Tesson, est-ce que je partage quoi que ce soit avec Valeurs actuelles ou le Figaro ? Bien sûr que non. Mais puis-je rester indifférent quand je vois ceux qui se proclament les dé-fenseurs des opprimés non seulement essayer de ménager la chèvre et le chou (critiquer, mais pas la bonne personne, et ne pas remettre en cause leur participation à telle ou telle entreprise qui se passerait sous son parrainage), et, surtout, se ruer, avec une rage et un mépris dignes, réellement, de la droite la plus extrême, sur toute parole qui exprime un désaccord (voyez les qualificatifs envoyés à Nicolas Mathieu), – dès lors que l’on demande un minimum de rigueur, et, même si on m’accuse d’être dominateur et vaniteux, un minimum d’humilité. – Gardez vos élans lyriques pour vous, mettez la poésie absolument où vous voulez (ça vous regarde, et ça ne regarde que vous). Ce que je demande, c’est un minimum de rigueur, de réflexion, et, pour tout dire, de courage.
Parce que, les gens – les systèmes – que vous avez en face, eux, et la rigueur, et la force, ils l’ont, hélas, et ils s’en servent, pour approfondir leur pouvoir.
Fallait-il m’exprimer en public, – fallait-il, comme on me l’a fait comprendre, « ne pas déses-pérer Billancourt » ?... À force de ne pas le désespérer, on l’a vu se transformer en ce qu’il est aujourd’hui.
*

XI.
Suivant les fils de discussion sur ma pauvre personne, j’ai vu quelque chose que je connais : – la joie de l’effet de meute. Ce que je dénonce aussi, c’est la banalisation de la radicalisation de l’ultra-gauche : dès lors qu’on est pas d’accord avec ce que vous dites, on est un traître, un merdeux, on « vomit », on profère des « logorrhées » etc. etc. – Ces vocables, Françoise Mor-van les subit depuis trente ans de la part des nationalistes bretons (avec toutes les variantes féminines possibles sur l’hystérie, les ovaires qui jouent etc. etc. – proférées indifféremment par des hommes ou par des femmes). Elle les subit pour une raison fondamentale : parce qu’elle remet en cause non pas tel aspect ou tel autre de ce qu’on appelle « le mouvement breton », mais son idée même, sa nature, son histoire. À des gens qui pensent qu’ils sont de gauche et se dévouent à une nation opprimée, elle montre, avec ironie et tous les documents possibles, d’où vient leur idéologie, – c’est-à-dire de l’extrême-droite catholique et royaliste du XIXe et de Maurras. Ce que Françoise fait, c’est une chose fondamentale : elle gâche la joie de la militance, et, qui plus est, la joie de la militance minoritaire, la joie du dévouement à une cause qu’on pourrait croire évidente : ce serait si simple de croire au slogan "Bretagne-Colonie", et c’est si gratifiant.. Hélas, les choses sont autrement plus compliquées.
Celui ou celle qui gâche la joie du groupe qui se dévoue à l’opprimé, alors même qu’on se dévoue si généreusement, et que la cause est tellement évidente et juste, est la bête à abattre. Il soude le groupe dans la haine qu’on lui porte. Parce que le combat, même voué à l’échec, est en lui-même sa joie. On sait qu’on est perdu, mais on est sûr que c’est pour la bonne cause. Et on existe – ensemble, dans ce « nous » qui nous fait nous sentir tellement moins seuls. C’est si facile, et c’est si rassurant.

De là cette nécessité de faire des florilèges des insultes reçues par les pétitionnaires et d’y mettre tout ensemble, en sortant les phrases de leur contexte, en les coupant, ou en donnant l’impression d’une solidarité de tous dans les attaques : là encore, c’est une façon de souder le groupe. Souvenez-vous de la phrase de l’homme du « Sous-sol » de Dostoïevski : « Eux, ils sont tous, et moi – je suis seul ». Et ça le rend tellement heureux dans son malheur, ce type, et ça le rend tellement aveugle.

XII.
Les méthodes employées pour ne pas voir ce qui n’est que l’évidence dès lors qu’on fait un pas de côté expliquent pourquoi cette gauche-là, celle, finalement, du communautarisme, ne contribue qu’au désastre contre lequel elle prétend se dresser : cette gauche, par ses méthodes de groupe, par son impréparation, par le manque de rigueur de ses discours, participe au dis-crédit d’une cause pourtant si juste et se marginalise elle-même de polémique en polémique. Ce n’est pas pour rien que les mouvements communautaristes (wokisme et autres) sont les plus puissants dans des pays où le pouvoir du libéralisme est le plus fort, comme les USA et la Grande-Bretagne : les communautaristes, je le répète, par la fragmentation des luttes, et par la banalisation de leur radicalité (puisque le combat des minorités qui ne cessent de se diviser entre elles ne peut que devenir de plus en plus radical), sont les meilleurs soutiens des poli-tiques libérales.
C’est aussi pour cette raison que, dans ces circonstances, je suis là où je suis (sur ma page), et ni là ni ailleurs.