
L’éclipse des classes, l’émergence du genre
Les signes du retour des classes sociales se multiplient [1]. Les expressions « classe sociale », « classe ouvrière », « classe salariale », ou d’autres, réapparaissent dans les titres de livres ou d’articles. Certes cette réapparition s’effectue encore avec une certaine discrétion. Car la disqualification de ce concept semble toujours aller de soi pour la plupart des « intellectuels médiatiques » et pour nombre de spécialistes des sciences sociales. Le paysage social s’est, il est vrai modifié en profondeur en une trentaine d’années, dans la réalité et dans les représentations, notamment savantes et médiatiques. La structure de classe des sociétés capitalistes contemporaines a été bouleversée. L’ancienne classe ouvrière « n’est plus ce qu’elle n’a jamais été » [2]. Et, après l’annonce répétée de son avènement, l’immense classe moyenne censée couvrir 80 % de la population est en train de disparaître à son tour [3]. Mais, la bourgeoisie est toujours là, et on la connaît même beaucoup mieux [4].
Parallèlement au renouveau des classes, la critique de la polarisation du regard sur les seuls rapports de classe s’est affirmée aussi. Les transformations de la place des femmes dans nos sociétés et l’émergence du genre en tant que catégorie d’analyse n’ont pas encore provoqué tous les effets escomptés, tant sur le plan politique que scientifique. Mais, la recherche portant sur les rapports sociaux de sexe s’est malgré tout imposée dans les sciences sociales. Les rapports de génération et les rapports ethniques ou les rapports de « race » sont également l’objet de davantage d’investigations depuis deux ou trois décennies [5]. Mais nous sommes encore loin d’une prise en compte systématique de l’ensemble des rapports sociaux dans les enquêtes et recherches portant sur une structure sociale qui est loin d’être figée. Celle-ci peut en effet davantage être appréhendée comme un entrecroisement dynamique complexe de l’ensemble des rapports sociaux, chacun d’entre eux imprimant sa marque sur les autres.
Le retour des classes a été précédé et accompagné d’un retour récent de Marx. Ses analyses étaient discréditées dans la conjoncture théorique des années 1980 et 1990. Celle-ci était profondément marquée par le contexte politique : le déclin puis l’effondrement de l’URSS, la crise prolongée en Europe et sur d’autres continents du mouvement ouvrier et notamment de son modèle social-démocrate, tant dans sa version (post)-stalinienne que socialiste [6], sans compter les entreprises idéologiques multiformes et systématiques qui toutes visaient à reléguer l’auteur du Capital et les utopies de transformations sociales aux oubliettes [7]. Les batailles politiques et théoriques passées, opposaient « marxistes » et « anti-marxistes », mais aussi de multiples courants se réclamant de Marx. Depuis le milieu des années 1990, son œuvre est dégagée progressivement des ornières positiviste et structuraliste dans lesquelles l’enfonçaient certaines lectures réductrices [8]. La distanciation du rapport des intellectuels, en particulier dans les sciences sociales, avec les organisations politiques, notamment le Parti communiste, est aussi un reflet de cette crise. Mais en même temps elle leur permet une plus grande distance à l’égard des modes partisanes et autres lignes politiques. Ces dernières années un grand nombre de travaux de philosophes et de sociologues ont contribué à relire l’œuvre de Marx dans sa cohérence d’ensemble débarrassée des déformations, des simplifications ou des interprétations problématiques [9].
Il faut rappeler ici que du point de vue de Marx, la réalité sociale est l’unité résultant de l’organisation de l’ensemble des rapports sociaux, unité n’excluant nullement les contradictions entre eux et n’impliquant donc nulle clôture de cette réalité sur elle-même. Ce concept de rapport social comme paradigme de l’intelligibilité de la réalité sociale permet d’éviter la plupart des apories communes aux modèles épistémologiques les plus courants dans le domaine des sciences sociales [10]. Tout rapport social est, par nature, source à la fois de cohésion et de conflit. Il unit (ou lie) les sujets sociaux qu’il médiatise, il constitue un des éléments à partir desquels se constitue l’architecture de la société globale. Mais, inversement, selon des formes et des contenus à chaque fois spécifiques, tout rapport social est, au moins potentiellement, source de tensions et de conflits entre ses acteurs ou agents, individuels ou collectifs. Le rapport social est en somme une tension qui traverse le champ social et qui érige certains phénomènes sociaux en enjeux autour desquels se constituent des groupes sociaux aux intérêts antagoniques. Par exemple le travail et ses divisions ou le partage des richesses produites sont des enjeux centraux autour desquels des groupes sociaux se sont constitués, notamment les classes sociales ou les classes de sexe [11]. Ces groupes sociaux sont en tension permanente autour de ces enjeux. L’articulation d’un rapport social avec d’autres rapports sociaux au sein de la totalité sociale est par ailleurs en même temps source potentielle de contradictions entre ces derniers. L’élément social, la réalité dernière à laquelle l’analyse doit s’arrêter, ce n’est donc pas l’individu (ou les individus) pris isolément, mais le rapport social (ou les rapports sociaux). Un individu seul est une abstraction mentale. C’est en ce sens que Marx a pu dire que l’individu est la somme de ses rapports sociaux ». Les individus doivent se concevoir comme les agents/acteurs de ces rapports sociaux qui en même temps les produisent comme tels dans et par les actes mêmes par lesquels ces individus les mettent en œuvre, en accomplissent les injonctions, dispositions, sollicitations et potentialités. L’analyse doit porter par ailleurs sur le processus de totalisation, toujours inachevé et contradictoire, de rapports sociaux, partiellement cohérents et partiellement incohérents - ce qui n’exclut pas l’existence d’« effets de totalité », c’est-à-dire des rétroactions de cette unité inachevée et contradictoire sur les rapports et processus partiels qui lui donnent naissance. Le social n’est donc pensable ni comme simple addition d’individus, ni comme substance surplombant ces derniers. Il opère comme une réalité produite à travers les interactions multiples entre individus et groupements.
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Le retour des classes sociales fait donc suite, comme nous le soulignions plus haut, à son éviction brutale au cours des années 1980 et 1990. Parmi d’autres, Claude Dubar est revenu dans un article récent sur cette quasi-disparition d’un « discours de classe en tant que discours de type scientifique à prétention politique » [12]. Il l’attribue à trois facteurs principaux qui n’épuisent cependant pas la question : l’affaiblissement des liens entre les intellectuels et le PCF ; l’effondrement du noyau central de la classe ouvrière industrielle ; l’invasion de nouveaux discours et pratiques managériales. Ce rejet du discours de classe est probablement à inscrire dans un mouvement plus vaste encore qui touche l’ensemble des sciences sociales. L’historien britannique Geoffrey Crossick, n’hésite pas à évoquer la quasi-disparition dans les sciences sociales de « variables comme la démographie, la classe, l’économie, la technologie et la géographie ». La focalisation des spécialistes sur la petite échelle a souvent conduit à perdre de vue les variables structurelles. Selon Crossick, « le défi le plus important qui se pose à l’histoire sociale s’inscrit au coeur de ces processus : il s’agit de la décentralisation et de la fragmentation du « social » en tant qu’objet d’analyse. Les identités ont remplacé les structures au coeur de la discipline, et ces identités sont non seulement multiples, instables et fragiles, mais, selon les nouvelles orthodoxies, elles ne sont construites que de manière discursive. Nous sommes loin de l’analyse des groupes sociaux, sans parler de leurs fondements économiques. » [13]. Un auteur comme Anthony Giddens, mais il n’est pas le seul, symbolise bien le tournant qui intervient. Dans un livre paru en 1973, il développe une analyse originale, mais malgré tout assez classique, en termes de classes [14], 26 ans plus tard il devient le théoricien de la Troisième voie blairiste [15]. Il remet en cause le Welfare-State en partant de l’idée que les membres d’une supposée immense classe moyenne refuseraient la solidarité universelle imposée par l’Etat et privilégieraient désormais la responsabilité et l’autonomie individuelle. Il intègre les rapports hommes-femmes et les rapports intergénérationnels à son analyse. Cependant, et c’est là sa faiblesse principale, sa réflexion centrée sur « l’individualisation du social » se double d’un rejet des rapports de classe et plus généralement des phénomènes structurels. La remise en cause de l’ « Etat social », la promotion du marché comme instance ultime de régulation compensée éventuellement par l’action caritative et la montée de l’individualisme contractuel n’ont pas été sans effet sur les lectures proposées de la structure sociale. Dans la vulgate libérale, sur un marché il y a des individus atomisés, acheteurs et vendeurs, éventuellement négociateurs ou plaideurs, il n’y a pas de classes sociales. La forte montée des inégalités sociales depuis le début des années 1980 et le renouveau des conflits sociaux, a conduit une part croissante de sociologues à (re)prendre au sérieux les analyses en termes de classes et à abandonner la rengaine de l’individualisation du social. Ce regain d’intérêt peut s’observer, avec certes des rythmes propres à chacun des pays concernés, dans différents pays européens, en France, en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Le développement à l’échelle internationale du mouvement altermondialiste et des forums sociaux ou l’implication de millions de salariés dans des mobilisations collectives, souvent prolongées, témoigne aussi de ce regain de la conflictualité sociale. La multiplication et la généralisation début 2006 de manifestations partout en France y compris dans des petites villes rassemblant de manière unitaire et massive contre le démantèlement du droit du travail jeunes scolarisés et salariés en est une belle illustration.
La difficile mise à jour des rapports sociaux de sexe
La prise en compte du « sexe social » comme variable structurante est très récente. Elle n’intervient pas en tant que telle dans la littérature sociologique avant les années 1970. Cela a été montré dès 1970 par Nicole-Claude Mathieu : « Le critère de sexe utilisé à tout propos dans les enquêtes de sociologie empirique comme l’une des trois « variables fondamentales », ne possédait aucune cohérence sociologique. (...) Il n’existait pas de sociologie des sexes (des deux sexes), sauf dans le domaine de la famille » [16]. Dans la sociologie française des années d’après-guerre la variable « sexe » est prise en compte dans les études portant sur le mariage. L’enquête sur le choix du conjoint dirigée par Alain Girard à la fin des années cinquante avait spectaculairement démontré que ce choix était homogame, c’est-à-dire qu’il s’effectuait dans un milieu social semblable au sien, même en l’absence de contraintes familiales explicites, donc même quand ce choix était réputé « libre » et « dicté par l’amour ». Cette recherche semblait croiser la variable « sexe » et la variable « classe ». Mais c’est plutôt la profession du père de la femme qui était mise en rapport avec celle du mari [17]. De manière analogue, dans un passé encore récent, la construction des catégories statistiques permettant de mener des études portant sur la mobilité sociale ignorait purement et simplement les femmes, les mères, les filles et les épouses. Même quand les enquêtes n’excluaient pas les femmes, les résultats publiés ne s’intéressaient qu’aux hommes. Dominique Merllié et Jean Prévot signalent à ce propos que l’enquête britannique sur la mobilité sociale réalisée en 1949 portait sur les deux sexes, par contre l’analyse de la mobilité n’a été effectuée que sur les hommes de l’échantillon [18]. L’ouvrage de Claude Thélot paru en 1982 portant sur la position sociale et l’origine familiale s’intitule symptomatiquement : « Tel père, tel fils ? » [19]. L’enquête française sur la mobilité sociale réalisée en 1985 présente des tableaux de mobilité « professionnelle » intragénérationnelle (en cours de carrière), concernant les deux sexes, mais pour la mobilité « sociale » intergénérationnelle (d’une génération à l’autre), le fascicule qui publie les tableaux rassemble 26 tableaux sur les hommes (24 pour les Français de naissance et 2 pour les hommes nés à l’étranger) contre 4 seulement sur les femmes [20]. La différence de traitement des hommes et des femmes dans cette enquête semble s’expliquer principalement par le choix de la profession du « chef de famille » comme variable explicative centrale de la situation du ménage, choix non véritablement questionné par les chercheurs et considéré comme allant de soi pendant des décennies. Pour objectiver le statut de l’unité sociale de la famille, et dans le cas d’un couple marié, les sociologues retiennent alors toujours l’homme comme chef de famille ou du ménage. Ce choix restrictif avait quelque fondement rationnel au cours des années 1950, quant le taux d’activité des femmes mariées était tombé à un niveau particulièrement bas. Par contre, il ne manque pas de surprendre près d’une quinzaine d’années après l’apparition et le développement du mouvement des femmes des années 1968-1975, qui a précisément contribué à rendre visibles des réalités sexuées qui auparavant restaient invisibles, parce que naturalisées. Il se justifie encore moins après la remontée spectaculaire de l’activité professionnelle des femmes intervenue en France à partir de 1960. La myopie était en tous cas tenace. Au milieu des années 1980 nous sommes à mille lieues d’une prise de conscience féministe au sein des sciences sociales, et plus particulièrement au sein des institutions d’Etat chargées de produire des données chiffrées significatives. Il faudra attendre la fin du siècle pour que des directives internationales systématiques recommandant la construction de statistiques sexuées commencent à être suivies d’effet.
La prise en compte systématique d’autres variables structurantes, en dehors de la variable de classe, a été lente et partielle. L’âge (et la génération) feront assez tôt leur entrée en sociologie comme variable possédant une certaine cohérence sociologique [21]. Par contre le sexe, le sexe social bien sûr, construit socialement, et non considéré comme une variable naturelle, mettra du temps avant de devenir une telle variable structurante. On peut faire une remarque analogue en France à propos de l’ethnicité. Cela ne signifie pas que le sexe et l’origine ethnique ne soient pas pris en compte dans des études spécifiques. Madeleine Guilbert et ses collaboratrices ont pu recenser en 1977 plus de 1000 références de recherches consacrées au travail et à la « condition féminine » dans les sciences sociales depuis le XIXe siècle [22].
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Les élaborations théoriques en termes de classes sociales et de rapports de classe sont anciennes. Celles en termes de rapports sociaux de sexe, de rapports sociaux de générations ou de rapports de « race » se développent par contre plus tardivement et progressivement.
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La prégnance du mouvement ouvrier au cours des années 1960 et 1970 et l’influence corrélative de la tradition ouverte par Marx permet de comprendre aussi que pour théoriser les rapports entre hommes et femmes ce sont des approches en termes de « rapports sociaux de sexe » qui vont se développer dans la sociologie française dans le sillage d’une partie du mouvement des femmes [23]. Le système d’oppression et de domination spécifique des hommes sur les femmes sera également théorisé par plusieurs auteurs sous le nom de patriarcat [24]. Avec le reflux des conceptualisations en termes de classes (de rapport de classe et de rapports sociaux) et l’influence croissante des élaborations d’origine anglo-saxonne autour du concept de gender, le genre va se diffuser au cours des années suivantes, lentement en France, plus rapidement dans la plupart des autres pays.
La mise à jour de tels rapports sociaux de sexe (mais aussi de rapports de génération) au sein des sociétés occidentales est donc relativement récente. Ces rapports longtemps occultés étaient restés jusqu’alors pour l’essentiel impensés. Les analyses en termes de genre vont se développer et se diffuser dans un premier temps davantage dans des pays (Etats-Unis ou Allemagne par exemple) dans lesquels les approches en termes de classes sociales (et de rapports de classe) étaient minoritaires dans les milieux académiques au cours des années 1950 et 1960. Inversement en France les analyses en termes de rapports sociaux de sexes (et de générations) commencent à être élaborées dès les années 1970 et 1980 et se construisent à partir d’une lecture critique du paradigme marxien. Elles ne se diffusent malgré tout que très parcimonieusement en sociologie, en histoire ou dans le champ des « études féministes ». La diffusion internationale est encore plus difficile.
Disparition et retour des classes
Avant le tournant néo-libéral les analyses en termes de classe guidaient le regard théorique des chercheurs, y compris quand des individus ou des ménages étaient observés et non des classes sociales « en soi » et « pour soi ». Selon les études, ces analyses de la structure sociale ont pu être menées en termes de répartition entre grands secteurs de l’économie, de taille relative des différentes catégories sociales, ou encore d’amplitude et de formes des inégalités économiques, sociales et culturelles. Selon le point de vue et la définition implicite retenue, la notion de classes sociales a pu prendre des sens et des contours différents et le regard porté sur les réalités observées a pu induire des diagnostics divergents. Dans une approche empirique, le plus souvent, la « classe sociale » est saisie par le biais de catégories statistiques construites, en premier lieu les nomenclatures de catégories socioprofessionnelles (CSP ou CS). Cette variable CS [25] est centrale dans toutes les études empiriques de la consommation, de la mobilité sociale, de la participation politique, de l’habitat, de la scolarisation, etc. Malgré un certain nombre de difficultés, les CS rendent possible des analyses en termes de classes sociales. (...)
Le retour en force d’un discours de classe et d’analyses portant sur les classes confirme par ailleurs l’existence de véritables cycles conceptuels. La présence dans le discours sociologique, et plus largement dans le débat public, de la notion de « classes sociales » suit en effet une alternance de phases hautes et de creux [26]. Ces cycles des concepts et des idées semblent par ailleurs correspondre à d’autres cycles renvoyant aux rapports de force tels qu’ils s’expriment dans la société, notamment ceux que d’aucuns appelaient autrefois les « cycles de la lutte des classes ». L’observation des occurrences « classes sociales » et « classe ouvrière » dans les titres des ouvrages du catalogue de la Bibliothèque Nationale de France au cours du vingtième siècle met en évidence une tendance à la hausse depuis la fin du XIXe siècle avec des fluctuations régulières [27]. Le maximum historique est atteint durant les années 1970-1979. Les deux dernières décennies du XXe siècle enregistrent un reflux considérable puisque le nombre d’ouvrages concernés sera divisé par plus de quatre en l’espace de vingt ans et atteindra son niveau le plus faible du siècle durant la dernière décennie. La quasi-disparition du discours de classe au cours des années 1980 et 1990 peut donc être objectivée assez facilement.
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Pour des raisons d’exposition le livre est découpé en deux grandes parties, dans la première nous examinons les rapports de classe et les classes sociales (chapitres 1 à 3), dans la seconde le genre ou les rapports sociaux de sexe (chapitres 4 à 6), ce qui n’empêchera pas un certain nombre de chassés-croisés.
Le chapitre 1 présente le paradoxe du tournant néo-libéral. En effet le discours de classe tel qu’il se déclinait, dans sa diversité, dans les sciences sociales, jusqu’à la fin des années 1970 s’efface au moment même où la polarisation sociale se renforce à travers la montée généralisée des inégalités sociales. Le chapitre 2 est consacré aux discours de substitution qui s’imposent au cours des années 1980 et 1990 : thèses de la « moyennisation », de l’individualisation du social, de l’invisibilisation des classes ou, plus particulièrement en France, de l’exclusion. Le point commun de ces thèses réside dans la commune occultation du schème du conflit. Dans le chapitre 3, je fais l’hypothèse que les classes amorcent un retour dans le discours sociologique depuis quelques années. Les défis à relever par les analyses en termes de classes ne manquent pas, notamment par rapport aux lacunes des analyses classistes antérieures et aux transformations de la structure sociale intervenues entre temps : modifications des contours et caractéristiques des différentes classes et fractions de classes, transformations induites par la montée de l’activité professionnelle des femmes et effets de la transnationalisation croissante de l’économie. La question de la subjectivité et de la conscience de classe mérite de ce point de vue une attention particulière.
Le chapitre 4 porte sur la Révolution féministe des années 1969-1976, à certaines de ses contradictions et surtout à l’effervescence théorique qui en a résulté visant à penser l’oppression des femmes. Les concepts de patriarcat, de mode de production domestique, de travail domestique, de travail productif et reproductif, d’articulation production - reproduction et de division sexuelle du travail seront dégagés dans une première phase. L’émergence des deux principaux concepts, celui de genre et de rapports sociaux de sexe sera l’objet du chapitre 5. Dans les sciences sociales leurs définitions tendent à se rapprocher car tous deux insistent sur le caractère construit et antagonique des rapports hommes-femmes, même si le second insiste le plus souvent davantage que le premier sur le travail comme levier de la domination et de l’émancipation, et surtout, sur la nécessaire articulation des rapports de classe et de sexe. Enfin, le chapitre 6 dresse un bilan des changements majeurs qui sont intervenus dans les rapports sociaux de sexe au cours des dernières décennies au sein des sociétés occidentales, principalement à partir du cas français. Ces changements ont permis aux femmes d’accéder à une plus grande autonomie, mais les freins de toute nature pèsent en sens inverse : construction asymétrique des identités masculines et féminines, sexuation des filières de formation et des emplois, travail domestique toujours massivement à la charge des femmes, politiques contradictoires des Etats, etc.
En conclusion nous présenterons un plaidoyer en faveur de l’articulation des différents rapports sociaux dans les recherches actuelles et à venir. Pour donner toute son intelligibilité à chacun d’eux et pour rendre compte de la complexité du social il est indispensable de prendre en compte l’ensemble de ces rapports entremêlés. Les différents niveaux, espaces ou champs de la réalité sociale doivent être distingués car cette dernière ne se présente jamais de manière univoque. La situation objective (du groupe considéré : classe sociale, sexe social, classe d’âge ou génération, « race » ou ethnie », etc.) et la subjectivité (des membres des différents groupes) sont à prendre en compte. Enfin, il est nécessaire d’inscrire ces rapports sociaux dans le temps et dans l’espace. Car il s’agit aussi pour nous de se placer dans la perspective de la transformation de ces rapports qui tous impliquent domination, discrimination, stigmatisation et exploitation.