Divergences Revue libertaire en ligne
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INFORMATIONS CORRESPONDANCE OUVRIERES (I. C. O.)
Morceaux choisi cd l’introduction
Article mis en ligne le 14 mai 2007
dernière modification le 5 mai 2007

I.C.O. a vécu, comme regroupement plutôt original, rassemblant, de 1958 1975, dans un travail commun marxistes et anarchistes et, quoi qu’on en ait dit ou qu’on en dise encore, avec une certaine base idéologique commune. Retracer son histoire, si cela peut permettre de comprendre la genèse de la présente brochure écrite dans le feu de l’action au cours de l’été 1968, n’est pas totalement donner vie à tout un ensemble de relations qui n’étaient pas seulement politiques, à des incompréhensions, à des différends qui ne venaient pas toujours à la surface. Ce que nous allons en dire ci-après est forcément schématique. Il nous importe avant tout de préciser qu’avant 1968, I.C.O. ne regroupait guère qu’entre 10 à 20 camarades à Paris, que ce n’était donc alors qu’un petit groupe même s’il avait des contacts en province et à l’étranger et que les quelque mille exemplaires du bulletin mensuel diffusés après dix années d’existence ne doivent pas trop faire illusion sur l’importance et l’influence que ce noyau militant pouvait alors avoir.

Il y a dans la naissance d’I.C.O. en 1958 et dans sa fin en 1975 une certaine ironie de l’Histoire : si sa naissance fut due à une scission dans le groupe Socialisme ou Barbarie en raison d’une fausse interprétation des événements d’alors et des conclusions organisationnelles qui paraissaient en découler, son éclatement en 1975 fut la conséquence d’une fausse interprétation des suites de mai 1968 et des mêmes conclusions organisationnelles qui paraissaient en découler. En 1958 comme dans les années post-1968, le milieu "gauche de la gauche" pensait que s’ouvrait une période de lutte, voire une période révolutionnaire qui devait se traduire par le regroupement d’une avant-garde dans des structures capables de faire face aux "tâches" qui s’imposaient alors. Ceux qui n’adhéraient pas à ces schémas devaient partir ou être exclus pour ne pas gêner la réalisation du "grand projet".


LES CONSÉQUENCES D’UNE ANALYSE POLITIQUE FAUSSE

La gestation quelque peu complexe d’I. C. O. , si elle tient d’abord aux circonstances historiques de 1958 que nous venons d’évoquer, permet aussi de montrer que ce qui paraît dans de tels événements comme un élément essentiel, se révèle, une fois résolu le problème qui se posait, comme secondaire, faisant apparaître alors des divergences plus profondes dissimulées derrière l’écran de l’urgence, divergences qui entraînent d’autres séparations et recompositions.

Il est difficile de dire si les tenants de la thèse "De Gaulle égale fascisme" ne dévoyaient pas leur analyse des événements par leur volonté de vouloir à tout prix bâtir l’organisation révolutionnaire dont ils rêvaient. Il est certain que dans toute la décennie antérieure, depuis la Libération, toute tentative en ce sens se brisait sur la domination politique et syndicale du Parti Communiste Français et de la C.G.T. qui lui était étroitement liée. Il est tout autant certain qu’au sein du groupe Socialisme ou Barbarie deux tendances s’affrontaient sur la nature d’un tel parti et éventuellement sur la création d’un journal ouvrier d’agitation mais les divergences en restaient au niveau d’affrontements théoriques car le faible nombre des membres excluait tout exercice pratique dans un sens ou dans un autre. Ce qui fut tout autant certain c’est que, opportunisme ou pas, ce furent les tenants de la construction d’une organisation politique "révolutionnaire" centralisée qui soutinrent la thèse "De Gaulle égale fascisme", qu’un tel régime entraînerait des luttes ouvrières conséquentes et qu’il devenait urgent d’être "présent".
L’irruption dans le groupe d’un afflux de nouveaux membres, pour la plupart des étudiants motivés principalement par la révocation des sursis qui leur faisait obligation de partir faire la guerre, fournit les troupes nécessaires au lancement de l’organisation adéquate et une majorité pour imposer une conception semi-léniniste de cet appareil "révolutionnaire".

Face à cette situation, une "minorité" opposait non seulement sa divergence sur l’analyse de la situation et l’urgence qui en découlait de regrouper une avant-garde efficace, mais se trouvait dans la nécessité pratique d’opposer un autre concept d’organisation politique. Lesdits "minoritaires", exclus de fait du groupe Socialisme ou Barbarie, fondèrent un nouveau groupe, Informations Liaisons Ouvrières ( I. L. O.) qui se donnait pour tâche, indépendamment des analyses sur le système capitaliste et la lutte de classe, de tenter de fédérer des groupes d’opposition d’entreprise, voire d’en impulser la création. En fait, le groupe commença à se faire connaître en publiant divers textes, un peu tous azimuts. En effet, le groupe I. L O. pouvait exceller ce travail de discussion et d’analyse car il se composait essentiellement d’intellectuels et d’étudiants et de bien peu de travailleurs. Quant aux travaux pratiques, si l’on peut dire, il en fut tout autrement, non par la volonté préexistante des protagonistes mais tout simplement par le cours des choses.

Tout cela se déroulait dans les derniers mois de 1958 et il importe de faire un retour de quelques mois. En juin 1958, peu de temps après le coup d’État gaulliste du 13 mai, le débat sur la nature politique de cet événement et les conclusions à en tirer n’étaient pas encore éclaircis. Les années précédant 1958 avaient vu le développement, hors et en opposition aux syndicats reconnus, parfois impulsés par des minorités dans ces syndicats, de noyaux actifs se battant à l’intérieur de l’entreprise pour des actions plus radicales (notamment Tribune Ouvrière chez Renault-Billancourt, AGF, Paris, Mors-Jeumont à St Denis, etc..). Une partie de ces noyaux étaient animés par des trotskistes, d’autres par des militants de petits groupes du style S.ou B. Des contacts avaient été pris entre ces noyaux, d’abord sous l’égide d’un Comité des métallos, impulsé par des trotskistes, puis élargi en 1957(4)en un comité interprofessionnel dont l’avenir n’était pas bien fixé en dehors d’être un rassemblement d’expériences diverses de lutte. Les événements de 1958 et leur analyse, dont nous avons souligné les orientations et les conséquences, prenaient aussi toute leur importance dans ce milieu oppositionnel syndical qui tentait de se fédérer. Une réunion élargie de ce regroupement se tint en juin 1958 à la Bourse du Travail de Paris : y participaient non seulement des représentants des noyaux précités, mais aussi de tendances oppositionnelles existant dans le mouvement politique et syndical, des anarcho-syndicalistes de la Fédération anarchiste et d’ailleurs, des militants de la Révolution Prolétarienne, de S ou B , d’I. L. O., divers trotskistes, etc..

A vrai dire, une bonne partie de ces militants n’avaient guère envie de se fédérer avec qui que ce soit mais venaient, nantis des certitudes dont nous avons parlé, pour "pêcher à la ligne" en vue de constituer, chacun de leur côté et sous l’égide de leur organisation, une sorte de succursale ouvrière de leur groupe politique préexistant (même sous sa forme fédérative, I. L. O. n’échappait pas à une telle critique). Dans ces conditions, les débats, qui ne brillèrent guère par leur clarté, ne pouvaient déboucher que sur une sorte de constat d’échec quant à la constitution d’un pôle ouvrier oppositionnel. Il apparut clairement que m me la formule d’un bulletin non inféodé à un groupe ne pouvait voir le jour, car beaucoup parlaient au nom d’une publication déjà existante et d’autres pensaient profiter de la situation qu’ils estimaient propice pour lancer le "journal ouvrier" de leurs rêves (5). Il en était ainsi de S ou B qui se dégageait quelque peu de l’expérience Tribune Ouvrière de Renault pour lancer son "journal ouvrier", Pouvoir Ouvrier, de l’Union Communiste trotskiste qui se dégageait de cette même expérience pour lancer l’organisation Voix Ouvrière autour des feuilles d’entreprise et du journal du même nom.

Il ne restait que quelques laissés-pour-compte qui refusaient de s’inféoder à un noyau quelconque et qui trouvèrent dans la formule avancée par I. L. O. la possibilité de poursuivre un travail commun tout en gardant leur indépendance politique. C’est ainsi qu’à partir de fin 1958, se tinrent des réunions mensuelles de travailleurs d’entreprise, militants ou non, qui prit le nom de "Regroupement Interentreprises" ; sous ce titre des comptes-rendus desdites réunions furent publiés tout aussi régulièrement. Il était évident que cette activité correspondait bien à ce qu’ I. L. O. préconisait. Mais il y avait en fait deux groupes qui coexistaient en bonne entente, partageaient les mêmes analyses et publications, mais ne se mélangeaient pas. Seuls quelques travailleurs du "Regroupement Interentreprises" participaient aux réunions hebdomadaires d’I. L. O. alors qu’aucun des étudiants et intellectuels d’I. L. O. n’assistaient aux réunions du regroupement de travailleurs, tout en étant régulièement informé de ses activités.

Cette distanciation se poursuivit jusqu’en 1962, lorsque la guerre prit fin avec l’indépendance de l’Algérie . Outre ses études économiques et des études sur les luttes sociales importantes, l’activité du groupe I. L. O. était pour une bonne part orientée vers la lutte contre la guerre, ce qui, sans qu’il la néglige, n’était pas la priorité du Regroupement Interentreprises. D’autres questions, plus théoriques, se profilaient sans être directement évoquées. Elles tournaient en fait autour du rôle d’une organisation politique (question que les travailleurs du regroupement ne se posaient pas en ces termes dans leur activité en tant que travailleurs, même s’ils faisaient partie d’un autre groupe politique) et sur ce qu’on pourrait appeler la conscience de classe, celle-ci, pour I. L. O. participant plus d’un volontarisme que des conditions d’exploitation, ce qui était exactement l’inverse pour des travailleurs. La. fin de la guerre d’Algérie fit éclater au grand jour cette contradiction : I. L. O. disparut sans acte de décès et les bulletins du Regroupement Interentreprises prirent le nom d’Informations Correspondance Ouvrières ( I. C. O.), qui devint aussi le nom du groupe.


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