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Commencement

Une approche philosophique et théologie de ce concept, pollution millénaire de la pensée occidentale.

Article mis en ligne le 27 février 2023
dernière modification le 21 mai 2023

COMMENCEMENT

⠀ S’aventurer dans le labyrinthe du monothéisme implique, au moins, une relecture du texte fondateur. Certains mettrons un pince-nez, d’autres des lunettes de soudeur à l’arc, d’aucuns brancheront un polygraphe ou un détecteur de fariboles – postures compréhensibles. Ici, nous avons opté pour une lecture d’abord fondamentaliste, pour ne pas dire « lettriste », le récit [1], qu’il soit révélé ou allégorique, se révèle toujours témoin d’une vérité textuelle. La postérité du Livre impose un minimum de sérieux, la multiplicité des thèmes abordés et leurs répercussions à travers les siècles contraignent à approfondir, à décrypter, à déminer et à laisser de côté les préjugés.

⠀ ⠀⠀ COMMENCEMENT

Bereshit, le premier mot de la Genèse annonce la couleur, le texte entre bille « Entête » dans le vif du sujet, dans sa traduction André Chouraqui privilégie la traduction littérale, ici il s’appuie rosh, tête . A lui seul, ce premier mot ouvre des perspectives abyssales. D’emblée, les rédacteurs de la Bible (Bi) s’interrogent sur le fondement, sans aucune arrière-pensée philosophique, il s’agit uniquement de comprendre le monde, la place de l’homme et de s’interroger sur l’origine du savoir dans une perspective strictement religieuse. Le Commencement comme fondement devient la première vérité, base indispensable au développement d’une pensée. Il devient donc un absolu, une vérité chronologiquement première. « Le fondement est la première vérité sur quoi il est possible de construire un savoir ».

⠀⠀⠀ Remarques intempestives

⠀ Le commencement ne serait-il pas un après-coup [2] une rétroaction historisante ? La Génèse débute donc par une fiction à la fois « nécessaire et impossible », une histoire merveilleuse, un conte à rester éveiller et non à dormir debout, car le parcours s’annonce plein d’embûches. En commençant, il s’agit de mettre fin à l’interrogation angoissante de l’origine. Le gouffre ouvert, les théologiens et les philosophes ont leur « pierre de Rosette », la clé de voûte des millénaires à suivre.

⠀ Le Commencement annonce une suite, une histoire comme le « il était une fois » des contes. Le C. est nécessairement ouverture à l’Absolu, la première vérité qui permet de construire un récit crédible. La Génèse raconte l’histoire du monde, l’énigme et le mystère dans lequel l’homme vit. Situation angoissante, recherche de connaissance et d’orientation dans le tumulte mondain. La Bi comble cette anxiété en apportant une explication crédible, compatible avec l’expérience et les modes de pensée du Moyen-Orient. Le Commencement déploie les arcanes du temps et de la matière, il induit un cheminement vers une fin. Il est eschatologie, attente d’un Messie (Sauveur : la concurrence est rude) ou de la fin des temps

⠀⠀⠀ Remarques intempestives

Il faudra attendre Stirner, Kierkegaard et Nietzsche pour secouer le cocotier de la temporalité finaliste. L’instant donc la vie, la pleine existence du moment, la volonté comme affirmation de soi et auto-génération (« Je n’ai bâti ma cause sur rien d’autre que moi ») bouleverseront le petit monde de la transcendance béate ou des vains espoirs.
⠀ L’œuf contient le germe (virus) de la philosophie de l’histoire et de ses pulsions totalisantes que les nouveaux prophètes s’empresseront de diffuser en attendant la prolifération virale dans le WWW (la Toile d’araignée).

⠀ « Autre questionnement : la problématique du Commencement répond à un désir d’origine qui taraude le questionneur. « Pour désirer l’origine il faut être, c’est-à-dire avoir déjà son origine derrière soi… ; il faut déjà être né » (Misrahi p.55). Toute nouvelle vie sera donc un reCommencement.

⠀ Le Commencement sans devenir, sans futur, serait une farce divine. Le devenir recommence la scène primaire à chaque instant, à chaque génération, Kierkegaard l’avait parfaitement compris.

⠀ Le C. est donc la fiction narrative d’un sujet à la recherche de sa raison d’être dans une origine qui trouve sa seule vérité dans son énoncée même. Dans la B., le sujet qui cherche son origine dans le C. fait toujours référence à Dieu, une entité immatérielle connaissable par ses œuvres, mais jamais ne pense l’être. D’ailleurs, l’hébreu permet d’éviter l’énorme écueil de l’être que nous analyserons dans une longue rubrique, car il constitue (l’être) la question fondamentale de la pensée occidentale : la seconde catastrophe méditerranéenne : la pensée grecque.

⠀⠀⠀ Transcendance.

Le Commencement ne peut être sa propre origine. Il ne possède pas de puissance, il procède d’une puissance incommensurable : Dieu. Dès le premier verset surgit une difficulté. Le texte hébreu parle d’Élohîm, étonnante singularité d’un pluriel qui embarrasse les traducteurs. Chouraqui transforme le pluriel en nom Propre, ici le pluriel ne désigne pas le Dieu des dieux, ce qui serait le comble du monothéisme, mais une Entité que le pluriel met en relief. Élohîm n’est pas encore Yahvé ni Adonaï. Les autres traducteurs optent pour Dieu, démontrant la justesse de l’adage «  traduire, c’est trahir ».
⠀ En fait, le C. ne commence pas de lui-même, c’est Élohîm qui se manifeste, se matérialise. Volonté narcissique de se voir, solitude de la puissance brute sans effet, besoin étrange de l’Immatériel de se matérialiser ? Bien des interrogations gisent dans le Commencement. L’énormité de l’acte créateur se veut démonstrative, la puissance d’Élohîm transgresse toute imagination humaine. Par analogie l’homme mesure la grandeur du Dieu unique à sa propre faiblesse. Cela implique un respect total de la transcendance absolue de Dieu, à la fois ineffable et inconnaissable. « La grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, contempler leur auteur » (Sg 13,5). Nous verrons plus loin les méandres de la Création dans une longue notice. Sur ce point le judaïsme formate le christianisme qui reprend l’idée fondamentale de « la preuve par l’acte ». Toutefois, analogie n’est pas raison, sans la Foi la démonstration analogique reste stérile.
⠀ La transcendance est un lieu au-dessus du monde sensible, par définition inconnaissable. Ce lieu ne peut être vide, il est nécessairement occupé par un être transcendant : Dieu, être suprême qui a en soi son origine et sa cause, il est dépassement et fondation du monde. Ce que le néant ne saurait être.

⠀⠀⠀ Remarque intempestive .

⠀ La B. se contente de cette affirmation pure dont l’énoncée se suffit à elle-même. Peu ou pas d’allusion ne concernant la transcendance ni même à l’infini abstrait. Par contre, la pensée grecque n’aura pas cette retenue. A ces débuts, la transcendance monothéiste reste apparentée à la pensée magique. La collusion de Jérusalem et d’Athènes aura des répercussions incontrôlables, comparables à un missile viral à retardement.

⠀⠀⠀ Du côté des philosophes.

⠀ L’influence de la Bible pesa sur les pensées occidentales à tel point que le détricotage devient délicat, les métastases ont envahi le corpus sapiential. L’interrogation sur le fondement et le commencement de la pensée se fonde explicitement ou implicitement sur le modèle biblique.

⠀ Descartes cherchera un « fondement » un fait idéal ou expérimental solide afin de bâtir sur lui une conception de la connaissance ou de l’action, bref une pierre angulaire, une clé de voûte. Le Commencement inaugure la longue chaîne des implications, des déductions. Il est le moule ou les rails de tout acte de connaissance, car il permet de fonder sans à être fonder. Dès son énoncé, le C. met fin à la régression infinie vers une origine qui se dérobe comme l’horizon. « Le principe de raison suffisante » de Leibniz illustre parfaitement le propos, en fin de compte une Causalité finale se situant Entête.
⠀ « Descartes ne part pas du commencement mais y vient régressivement jusqu’à trouver le fondement qui garantira la solidité de sa construction ». Vauday p.25. La méthode cartésienne assisse sur la géométrie garantit la solidité des fondations et la rectitude des enchaînements. Descartes imite la création divine, bien des philosophes auront la même prétention, Icare des aventures sapientiales. Archimède voulait un point fixe pour soulever monde, les systèmes de pensées serviront donc d’ersatz, de baguette magique.

⠀ Du côté de chez Kant, le bétonneur de Könisberg, le Commencement et au cœur de son système de pensée par antinomies successives. On ne peut échapper à la contradiction qu’un C. n’est jamais un premier C. sans, en même temps "présupposer un état qui n’a aucun enchaînement de causalité avec le précédent". Un tel C., celui du monde, est "intemporel" et le fruit d’une Liberté d’agir transcendantale, celle d’être soi-même le C.

Commencement :un mot qui en cache bien d’autres.

« Les hommes ne peuvent rien faire sans adopter la fiction d’un commencement »
George Eliot, Daniel Deronda

⠀ S’émanciper des servitudes académiques et des rites scripturaux corporatistes, permet de spéculer librement, de divaguer sur un thème, de privilégier le fond sur la forme « sans crainte ni tremblements » des fourches caudines des maîtres de la bien-pensance.

⠀⠀ 1 – Le Temps.

⠀ S’il y a un après, la logique impose un avant : l’après-coup suit l’avant-coup. Donc, un changement s’opère dans tout commencement . Acte radical, changement du tout au tout, révolution (linéaire ou circulaire), certes, mais le commencement nage dans un paradoxe, il se pourrait bien il est déjà commencé avant ; il ouvre l’énigme du temps. La fixation d’une date ne résout pas la question : « Si les sociétés s’attachent à réactiver cérémoniellement et imaginairement ce qu’elles tiennent pour leur origine fondatrice, n’est-ce pas en éprouver la précarité et l’incertitude que de lui fixer une fois pour toutes une date précise ? » (Ce qu’affirme avec assurance les créationnistes purs et durs, nous le verrons dans l’article Création.)

1.1 Le Commencement relève de la fiction, donc plus de la littérature que de la théologie (qui clôt le débat par la Foi dans la Transcendance absolue) et de la philosophie qui s’emmêle les crayons dans les spéculations auto-fondatrices. D’où la légitime question : la philosophie comme une fiction tentant de mettre en forme les expériences du vécus et les interrogations existentielles. Un nouveau gouffre s’ouvre, celui de l’invention du réel entre fiction et conceptualisation. La S.F offre la possibilité de lier fiction et spéculation, que l’on pense au cycle Fondation d’Asimov.

1.1.1 - Temporalité et commencement. De fait, le commencement s’énonce au passé. On recherche toujours un témoin du commencement (thème fabuleux pour un cyber-flic). Extraordinaire flash-back : « le commencement vient à la fin », après ses effets. Son développement le rend perceptible. La fin éclaire le commencement, lui donne sens.

1.1.2 Commencement et reCommencement. Puisque le C. est fondateur, ses adeptes insatisfaits prônent un reCommencement, le vrai dont ils seraient les acteurs-créateurs. L’Utopie se réduit à jouer le remake de l’initial ou à ouvrir la saison 2 de la grande fiction. Le commencement = l’an 0 (zéro), le nombre premier sans date et sans réalité.

1. 2Commencement et Big-Bang. A partir de ses effets et par rétroaction (régression ?), il serait donc possible de connaître l’hypothétique commencement original. Même monseigneur Georges Lemaître [3] put calculer au-delà du fait premier, l’explosion et l’expansion du magma. Échec du principe de causalité, le mur invisible dresse sa protection contre le Créateur, rideau de fer avant l’heure. Il y a bien un après, mais l’avant reste mystérieux. Ce que résume parfaitement George Eliot : « Aucun retour en arrière ne nous mènera au véritable commencement ; et, que notre prologue soit au ciel ou sur la terre, ce n’est qu’une fraction de ce fait qui présuppose tout le reste par lequel commence notre histoire ».

1. 2. 1Iconoclaste et iconodule. Si son développement permet d’identifier un commencement, plusieurs questions viennent à l’esprit de l’iconoclaste.
⠀⠀– Un commencement ne sait pas où il va, son avenir dépend d’une multitude d’effets (lois physiques, aléas, diverticules temporels…), sans compter les « faux-départs ». L’errance devient histoire ; cosmologie et cosmogonie forment un couple de jumeaux.
⠀⠀ – Rien ne prouve l’unicité du Commencement biblique. Une nouvelle révolution copernico-galiléenne s’annonce : le multivers, cosmologie quantique et la théorie des cordes. Multivers et Uchronie s’apprêtent à chambouler la belle architecture cosmique construite par nos prédécesseurs. Bien évidemment, les iconodules se reconvertissent à la nouvelle Transcendance, les iconoclastes ressortent les couteaux émoussés par les siècles de certitudes scientifiques.
⠀⠀– Autre hypothèse : le Commencement est continu, non sans fin, l’eschatologie demeure, mais la Création se déroule en permanence. Nous verrons cela dans le chapitre dédié à la création.

1.3Temporalité et commencement 2. Erreur courante : comprendre le commencement comme un instant sans temporalité. Mais commencer prend du temps (Vauday), Élohîm s’atteler à la tâche 6 jours avant de s’octroyer une journée de RRT. La toute-puissance n’est pas instantanée, à moins de se situer hors du temps et de l’espace, le récit (de la création) ne sert qu’à rendre compréhensible l’inouï.

1.3.1ADN et hérédité. Le Commencement / Création fait partie du patrimoine génétique de l’Occident – parti des deux rives méditerranéennes, il contaminera le monde par l’ouest (le Xisme) et par l’est (l’islam). La majorité des penseurs puiseront à la source de l’archéo-modèle initié par la Génèse et secondé ensuite par le Logos : impossible coupure du cordon ombilical, rendant nécessaire de faire table rase du passé sans se ressourcer à des mamelles exogènes : pensée chinoise, bouddhisme ou la galaxie animiste sibérienne et amérindienne.

⠀ 1. 4. « Le premier qui… » . Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes réactive la fiction : « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile ». Le commencement rousseauiste est aussi un acte de volonté, une rupture « épistémologique » et le « rêveur solitaire » précise avec raison « le progrès presque insensible des commencement ». Ici celui de la dénaturation de l’homme – nous traiterons, à part, de l’antinaturalisme du monothéisme. Rousseau met parfaitement en évidence la puissance d’un Commencement réussi qui se transforme en véritable rouleau compresseur, en tsunami de la pensée qui transforme radicalement le monde, une métamorphose radicale. Le Commencement réussi impose l’impossibilité d’un retour en arrière. Rousseau reprend la sortie de l’Eden comme symbole (la propriété remplace la pomme véreuse) et il réintroduit une nouvelle eschatologie. Son geste inaugural se développe par une historisation longue et une dramatisation dont les acteurs se montrent pour la plupart inconscients. Contrairement à ses prédécesseurs désirant une perpétuation-amélioration du passé, «  il ouvre une fenêtre sur un autre avenir  », dont nous connaissons, hélas, les développements futurs.

⠀⠀⠀ Remarques intempestives.

⠀ Resserrons l’argumentation post-rousseauiste. D’abord, la notion de révolution prend figure de commencement/reCommencement. Ici, l’idée de création ex-nihilo ne fonctionne pas. L’année Zéro, la table rase, l’utopie, le Grand-soir prennent la relève, sécularisation manifeste .

⠀ Si le commencement est dans la fin, la fin sommeille dans le commencement. L’eschatologie sent la scatologie. Les prédicateurs d’un reCommencement jouent les « Ponce Pilate tragiques », ils se lavent les mains des hécatombes qu’ils initient. Après eux le Déluge ! En version non biblique : « Les parents boivent les enfants trinquent ».

⠀ Autre exemple à méditer : l’écologie, nouveau récit de l’apocalypse. Le retour à la terre (Éden ou Cévennes) relève du fantasme, de l’île déserte ou de la « Terre Pure » (courant du bouddhisme), il est aussi un des marqueurs de la contagion virale finale. Sauver la terre, l’alibi de l’assassin collectif qui espère une nouvelle Rédemption, mais le Messie a épuisé ses cartouches. Certains croyants (juifs pratiquants) attendent toujours l’Arrivée d’un vrai Sauveur. Il atterrira sur une poubelle géante à ciel ouvert, le sous-sol plein de galeries et de fosses à déchets radioactifs, l’espace transformé en dépotoir à carcasses, la terre fumante d’acides et de liquides viciés. Vaste problématique mise en branle par la « geste » biblique. L’antinaturalisme biblique et le logos grec mènent droit où nous allons. Nous y reviendrons longuement.

Commencement = fiction narrative = acte de langage
ReCommencement = recyclage du mythe = révisionnisme permanent.
C. et rC. réactivent en permanence les germes de la Domination.

1.4.1 – «  Au commencement était l’action ». Trait fondamentale du monothéisme naissant, l’action, l’agir sont l’externalisation de la puissance divine. Rien d’étonnant que le judaïsme fut une religion de la présence au monde et dans le monde (conquête de Canaan, les multiples affrontements avec ses voisins…) La tentation mystique du retrait dans le désert ou de la contemplation béate de la Création lui sont inconnues. La Loi du Sinaï assignera pour toujours une orthopraxie stricte au judaïsme. Avec l’Islam, ils seront les vrais monothéismes : « Il n’y de Dieu que Dieu », caractère impératif de la Loi et des applications strictes, être-au-monde dirigé vers l’avenir et les moyens de se conformer à la tradition. Du côté du Christianisme, il faudra attendre la conversion de l’empereur romain et la reprise en mains de l’Église contre les mouvements de retrait du monde. Cette caractéristique ajoutée à d’autres traits seront dès le départ un argument de l’antijudaïsme préchrétien. La question juive n’est pas close.

1.4.2 – L’action, l’acte de commencer, implique « une alliance avec une matière ou une situation », donc dialogues, négociations, essai(s), batailles ou transactions. Comme l’artiste, le créateur commenceur doit « se jeter à l’eau », il n’y a pas rien pour commencer mais « une eau courante ». La métaphore nous guidera dans le chapitre suivant sur la Création dont les plis et replis cachent des embuscades, des pièges cosmiques et des chausse-trappes divines, des ruses transcendantales supérieures à celle de la raison et de l’histoire.

1.4.3 Le chemin. Le commencement, point de départ, sous-entend une arrivée. Il y a donc trajet. Dans le monothéisme ce parcours est connu, du domaine public, en quelque sorte, toutefois, il n’est pas interdit de penser que seul le chemin existe, sans départ ni arrivée, ni tête ni queue en somme. Remise en cause radicale d’un de nos fondamentaux. Le chemin deviendrait aux yeux des crédules une errance. Erreur, la marche (chevauchée, djihad, virée, déambulation, ballade…) est l’expérience même de soi (ou de moi pour les égologiques). La vie comme expérience, sans blabla, comme Art (Dewey).

1.4.3L’exil. Certains (judaïsme) considère la présence-au-monde (ici pas question d’être-au-monde) comme un exil, d’autres (christianisme) comme une punition, un avant-goût du purgatoire. Nous verrons l’importance de l’exil et les dangers de poser son havresac sur la terre caillouteuse (état d’Israël, certes, mais surtout tout attachement illusoire à un sol dont nous ne sommes pas les propriétaires, mais les invités). Les mésaventures bibliques restent des objets de réflexions universels pour peu que l’on sorte des « sentiers battus » guidés par les GPS du prêt-à-penser des idéologies, des croyances…

1.4.4 Modernité. La réactivation du commencement, à chaque génération, en chacun (Kierkegaard) a pris le nom de modernité, histoire d’expulser le passé et de se tourner vers l’eschatologie travestie en progrès, linéaire, merveilleux technologisé. Marx (un penseur juif parmi d’autres) met en évidence le reCommencement permanent du Capital qui ne peut perdurer que part sa reproduction perpétuelle. Autre pensée monothéiste, le nouveau peuple élu – le prolétariat – sauvera l’humanité du crabe qui le ronge de l’intérieur. Le Capital vieillit aussi vite qu’il se transforme. Les « Temps modernes » ont traversé l’écran, même muet, la petite musique de la Domination tinte à nos oreilles. L’itération comme mouvement perpétuel, tic-tac infini, chaque tic se croit différent du précédent et chaque tac remet la pendule à l’heure. Le modernisme est donc un reCommencement qui cache la misère du précédent. Faire croire à la nouveauté, prendre les « ismes » pour argent comptant, provient de l’art de simuler, voir du simulacre des acteurs de la domination en quête perpétuelle de revitalisation. Présentisme, jeunisme, identité, écologie, bio, longue est la liste des faux-semblants, des mirages.
⠀ Nous touchons, ici, le noyau en fusion de notre problématique dont la technique est devenue l’archétype du reCommencement. La puissance d’invention confirme la perpétuité du commencement, mais en dissimulant le lien de filiation avec les innovations précédentes. Si bien que le progrès est une forme d’amnésie anesthésique.

1.5Commencement et fétichisation. Le C. trouve sa source dans le désir de causalité qui le fétichise comme fin de ce désir, il l’assouvit. Il clôt la régression à l’infini. Commencement = Cause des causes. Il faudra s’attarder sur le cogito comme commencement en convoquant : Descartes, Stirner, Nietzsche, Husserl et autres cogitateurs professionnels.

1.6 La Méditerranée comme commencement. La géolocalisation du C. est une spécificité Moyen-Orientale du monothéisme dans sa phase la plus ancienne. La collusion entre les deux rives de la Mare Nostrum sera un commencement à la source de la domination du monde par des religions monothéistes à partir d’un géocentrisme. Fernand Braudel et ses affidés montreront l’évidence : « Plus qu’aucun univers des hommes, la Méditerranée ne cesse de se raconter elle-même, de se revivre elle-même ». A la fois carrefour des civilisations et centre d’affrontements décisifs, cette mer fermée sera la matrice d’un Commencement et de reCommencements incessants. « Ombilic de la terre », totalité spirituelle pour Hegel, elle est le lieu privilégié de la « raison dans l’histoire », la charnière des impérialismes naissants qui aboutiront à la soumission / domination de l’orient et de l’Afrique avant de franchir le détroit de Gibraltar pour de nouvelles aventures sanglantes. L’expansion, chère aux historiens, préfigure la mondialisation du schème élaboré sous la lumière radieuse de la Méditerranée qui inaugure le vaste mouvement de concentration et de morcellement du monde. L’Universalisme monothéiste s’épanouit sous l’égide de la division pour régner (technique coloniale parfaitement au point). Paradoxe : l’unicité impose la multiplicité, à qui profite l’hypostase ?

⠀⠀⠀ Questionnent post-commencement.

On le voit, le Commencement est « gros » de développements et d’interrogations. Sa gésine parcourt toujours l’histoire de la philosophie comme du monothéisme.

⠀⠀⠀Pour conclure laissons la plume à Patrick Vauday :
« Si on entend par commencement ce que la fiction pose comme point zéro, sans antécédent…, l’absolu du commencement, alors il est vrai qu’il n’en existe pas d’autre version que celle de l’imagination… »

« Tout commencement s’entoure d’une zone d’indiscernabilité et de non-savoir qui tient à ce qu’il est en recherche de sa forme et de son issue, ce qui ne va pas sans transactions circonstancielles avec le milieu dans lequel il se fraye un chemin ».

Nous arrêtons ici notre descente aux enfers vers l’origine improbable d’un commencement. Réflexion que nous reprendrons dans le détail des arcanes de la Création.


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