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Christiane Passevant et Nicolas Mourer
Je suis partout. Les derniers jours de Sarkozy
Jean-Jacques Reboux (Après la lune)
Article mis en ligne le 26 septembre 2010
dernière modification le 21 octobre 2010

JUILLET 2011. Les déplacements du président provoquent des manifestations si violentes qu’il se bunkérise à l’Elysée. Sa paranoïa atteint des sommets. Le 14, il est absent des cérémonies. Les rumeurs les plus folles courent. Carla l’a-t-elle quitté ? A-t-il perdu la raison ? Est-il toujours vivant ? En désespoir de cause, Claude Guéant et les stratèges élyséens imaginent un stratagème pour sauver le président. Mais un coup de théâtre va ruiner leurs derniers espoirs…

Je suis partout. Les derniers jours de Nicolas Sarkozy.

Un roman visionnaire de Jean-Jacques Reboux
(éditions Après la Lune)

Avec l’auteur et Nicolas Mourer

http://jesuispartout2010.blogspot.com/

http://nicolasminus.blogspot.com/

Je suis partout, ça ne vous rappelle rien ? Le canard collaborationniste et xénophobe qui paraissait pendant le régime vichyste de Pétain… C’est aussi le surnom de l’actuel président de la République en raison de son omniprésence, de ses gesticulations et de sa manière d’accaparer tous les espaces et dans tous les domaines…

En second titre du bouquin : Les derniers jours de Sarkozy.
Titre alléchant ! Parce qu’encore deux ans de cette présidence, cela parait long, surtout à voir les dégâts réalisés à marche forcée. Beaucoup se disent qu’il va mettre le paquet d’ici 2012, avec ses acolytes, pour installer durablement la régression des droits sociaux. À moins que… Le roman de politique-fiction de Jean-Jacques Reboux serait-il prémonitoire ?

On le souhaiterait, mais l’on connaît aussi la puissance de la propagande pour tromper les gogos, sponsorisée par la finance, et qui l’a porté au pouvoir. Alors il va faire son job et accomplir sa tâche.
« J’ai deux règles », dit son clone dans le livre de Jean-Jacques Reboux,
«  : être ignoble avec les faibles et servile avec les puissants ». Bravo Nicolas minus ! Et le temps presse désormais pour remplir le contrat ! Quant à ceux et celles qui pointent le nez en lorgnant la place de commandeur pour gagner le jackpot, il y a de quoi se poser de nombreuses questions.

Le système est pourri certes, mais là, le régime, le règne d’un émule de Napoléon le petit atteint des sommets dans la manipulation, le cynisme, les propos nauséabonds, la violence et la xénophobie d’État. Les égouts s’emballent et renvoient des relents racistes et orduriers. Il s’agit d’abord d’installer la peur et de flatter le pire pour gagner des votes !

Je suis partout de Jean-Jacques Rebout fait fort : on se retrouve dans la tête du président. En pleine fiction ? Pas sûr. Le récit se nourrit d’anecdotes réelles, de faits connus à peine sublimés et voilà que le lecteur, que la lectrice se retrouve plongé-e dans une réalité-fiction où il est difficile de démêler le vrai de l’imaginaire, tant le personnage est fidèle à son modèle.

Et oui, Nicolas minus parle à sa bite pour se rassurer… La virilité, c’est important pour un président-des-Français (comme on dit) qui atteint des sommets de morgue et de mépris des autres. Pas de limites pour celui qui a été plébiscité par le vote des Français : la France est derrière lui ! La claque habituelle qui le courtise le rabâche suffisamment entre quelques louanges à propos de l’homme providentiel. Le paltoquet du pouvoir et du fric séduit paraît-il encore avec ses réformes bulldozer et improductives.

Et si le récit de Jean-Jacques Reboux… Il faut toujours rêver.

Détournement du discours d’investiture de Nicolas Sarkozy… par Nicolas Mourer :

Mesdames et Messieurs,

En ce jour où je prends officiellement mes fonctions de Président de la République française, je pense à l’état dans lequel je laisserai la France, ce vieux pays qui va traverser tant d’épreuves et qui ne s’en relèvera pas, qui va privilégier une minorité et que j’ai désormais la lourde et fastidieuse tâche de représenter pour satisfaire mon ambition personnelle.

Je pense à tous les Présidents de la Ve République qui m’ont précédé. Je pense à toutes ces grandes figures de l’Histoire qui m’inspirent aujourd’hui : Je pense au Maréchal Pétain qui a sauvé un pays au bord de la crise, qui rendit à l’État sa dignité et son autorité en brisant notamment les tabous de l’immigration.

Je pense à Maurice Papon dont il faut aujourd’hui méditer le message d’espoir et de paix. Je pense à François Mitterrand, figure emblématique du régime de Vichy, un homme qui avait des goûts douteux en littérature mais qui a su initier le financement occulte des partis politiques qui me laisse espérer tant de transactions avec Madame Bettancourt afin que le nouveau parti de la majorité soit prospère.

Je pense à Jacques Chirac, qui pendant douze ans a œuvré pour le développement de l’armement nucléaire, la désignation de l’immigré délinquant alors même que j’étais ministre de l’intérieur ; Jacques Chirac qui a tout fait pour que l’opposition soit de son côté en donnant ses lettres de noblesse à la cohabitation : Chirac/Mitterrand ; Chirac/Jospin : autant de duos dont il était à craindre qu’ils immobiliseraient le pays, mais qui m’inspire aujourd’hui l’ouverture à gauche. Vous savez, si je devais changer de métier, je pense que je serai DRH du Parti Socialiste. Je pense au rôle de Jacques Chirac pour dissoudre l’Assemblée nationale. Cette volonté permanente de démantèlement des institutions sera mienne, tenez vous le pour dit.

Mais en cet instant si solennel, ma pensée va d’abord au pouvoir qui est le mien qui est un pouvoir immense, un pouvoir qui aura une influence néfaste pour les plus faibles d’entre vous, un pouvoir qui se lève pour dire sa foi en un fascisme nouveau, relayé par les médias.

Mes chers compatriotes, j’ai compris, j’ai compris que vous vouliez subir. Je pense à mon pouvoir qui anéantira votre capacité à surmonter les épreuves avec courage, mon pouvoir qui réduira à néant votre volonté de transformer le monde. Je pense avec émotion à cette crainte que vous ressentez, à cette angoisse que vous avez exprimée sous forme de désir en allant voter, à ce besoin de croire en une nouvelle ère de la précarité qui s’ouvre et qui s’est exprimée si fortement durant la campagne manipulatrice qui vient de s’achever.

Je pense avec gravité au mandat que le peuple français m’a confié et à cette exigence si forte qu’il porte en lui. Exigence de me voir m’enrichir pendant que s’exprime plus fortement votre désarroi. Exigence de diviser les Français parce que la France n’est forte que dans l’opposition des uns contre les autres. Exigence de trahir la parole donnée et de faire fi des engagements parce que la confiance doit continuer à être ébranlée, à se fragiliser. Exigence d’immoralité parce que la crise des valeurs doit encore et toujours se creuser, parce que jamais le besoin de détruire les repères n’a été aussi fort. Exigence de réhabiliter les valeurs de la consommation, de l’individualisme, de l’appauvrissement, de l’indécence politique, parce que ces valeurs sont le fondement de notre projet commun pour la France et la condition de la régression sociale. Exigence d’intolérance et de fermeture parce que jamais la violence venue d’ailleurs n’a été aussi forte, parce que jamais il n’a été aussi nécessaire que toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté mettent en commun leur énergie à fuir l’autre, sa différence, ses idées qui dérangent notre capacité à imaginer l’avenir. Exigence de destruction parce que jamais les acquis sociaux n’ont été aussi dangereux pour la France, inscrite dans un monde en pleine mutation où chacun nous haïra, où notre retard sera détesté par nos pays voisins et deviendra vite irrattrapable. Exigence de vulnérabilité et de découragement parce qu’il n’a jamais été aussi nécessaire de lutter contre la confiance en l’avenir et contre cette envie de solidarité qui anime tout un chacun. Exigence d’ordre et d’autorité parce nous avons trop cédé au laisser faire, à la liberté de tous, qui est préjudiciable aux plus vulnérables et aux plus humbles d’entre nous. Exigence de défaite parce que les Français ont trop bénéficié d’une vie oisive et heureuse, parce que les Français en ont assez que leur vie soit toujours plus légère, toujours plus facile, parce que les Français en ont assez des bénéfices qu’on leur octroie de façon arbitraire. Exigence d’inégalité parce que depuis bien longtemps autant de Français n’ont pas éprouvé un sentiment aussi fort de justice. Exigence de rompre avec les comportements du passé, l’antiracisme, la paix sociale parce que jamais les problèmes à résoudre n’ont été aussi inédits.

Le peuple m’a confié un mandat. Je le remplirai. Je le remplirai scrupuleusement, avec la volonté d’être digne de la confiance que m’ont manifesté les Français. Je défendrai l’autarcie de la France. Je veillerai à la partialité et à la soumission à l’égard des plus démunis. Je m’efforcerai de construire une République fondée sur l’absence de droits et le musellement de toutes les formes d’expression. Je me battrai pour une Europe qui menace, pour le désoeuvrement de l’espace méditerranéen et pour l’appauvrissement de l’Afrique. Je ferai du démantèlement des droits de l’homme et de la lutte pour le réchauffement climatique les priorités de l’action diplomatique de la France dans le monde.

La tâche ne me sera pas très difficile et elle s’inscrira dans la durée. Chacun d’entre vous perdra la place qui est la sienne dans l’État. Je veux dire ma conviction qu’au service de la France il n’y a que des camps. Il n’y a que les volontés fermes de ceux qui trahissent leur pays. Il n’y a que des incompétents, des préjugés et des malveillances de la part de ceux qui sont animés par le dégoût de l’intérêt général. À tous ceux qui veulent vivre heureux, je dis que je suis prêt à m’enrichir à leur détriment et que je ne leur demanderai pas de venir demander leur reste, d’essayer de forger des amitiés et de construire l’Histoire. À vous de décider, en votre âme et conscience d’hommes serviles, comment vous voulez que je méprise la France.

Le 6 mai, il n’y a eu qu’une seule victoire, la mienne et je ne veux pas mourir, encore moins pour mon pays ; mon pays qui veut la rigidité mais qui veut aussi la perdition, mon pays qui veut la régression mais qui veut aussi la haine, mon pays qui veut la nullité mais qui veut aussi l’arbitraire, mon pays qui veut le racisme mais qui veut aussi la sécurité. Le 6 mai il n’y a eu qu’un seul vainqueur, moi et je ne veux pas renoncer, je ne veux pas me laisser enfermer dans l’idéalisme et l’utopie, je ne veux plus que l’on décide à ma place, que l’on pense à ma place. Eh bien, à moi qui veux continuer à vivre, à moi qui ne veux pas renoncer, à moi qui mérite votre amour et votre respect, je veux dire ma détermination à réparer sur votre compte toutes les tares que j’ai pu subir par le passé.

Avec moi, tout devient possible.

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EXTRAITS

Je suis partout. Les derniers jours de Sarkozy de Jean-Jacques Reboux (Après la lune)

Judas crucifié

Ficelé sur sa chaise de coiffeur, le ministre de l’Identité nationale était entouré d’une dizaine de personnes assises en arc-de-cercle autour de lui, portant cagoules, foulards, masques, maquillage de clown, passe-montagne. D’autres se tenaient debout à l’arrière, prêtes à répondre aux sollicitations d’un monsieur Loyal en habit de lumière, le visage camouflé par un masque à l’effigie de Mickey, et qui tenait à la main une fiche semblable à celles utilisées par les animateurs de jeux télévisés.

La voix cingla, exubérante, précédée par un magistral coup de cymbale.

– Éric Besson… Merci d’avoir accepté de participer à notre grand jeu Real Identity, sponsorisé, faut-il le rappeler, par la maison Taser X26, fournisseur officiel du ministère de l’Intérieur français… On applaudit bien fort M. Éric Besson, qui nous arrive de Donzère, dans la Drôme.
Applaudissements nourris. Gros plans sur Éric Besson, plus sérieux et renfrogné que jamais.

– Preuuuumière question… Monsieur Besson… Pourquoi persistez-vous à vous montrer plus royaliste que le roi ? Nous savons tous maintenant que le président Sarkozy avait des raisons, on va dire, puissamment pertinentes d’un point de vue psychanalytique, de saper les fondements de notre civilisation française héritière du siècle des Lumières, qui a fait de l’hospitalité aux étrangers un de ses vertus cardinales… mais vous, vous qui n’aviez a priori aucune raison de vous comporter de cette façon aussi brutale avec les étrangers… Vous qui n’avez dans vos ascendants ni vampire hongrois, ni chamane magyar, ni bourreau fasciste, la question se pose, qui nous taraude tous… Pourquoi ? Pourquoi tant de haine ? Ils vous ont fait quoi, les étrangers ? Ils vous ont piqué votre miche de pain ? Vos patins à roulettes ? Votre petit cheval à bascule ? Expliquez-nous s’il vous plaît, monsieur Besson…

L’invité ne pipait mot. Monsieur Loyal tenta de le décrisper d’une pichenette sur la nuque.

– Je ne répondrai pas à vos questions… Vous n’avez aucune légimité démocratique.

– Oh, oh, monsieur emploie les grands mots ! Légitimité démocratique. Mais nous sommes le tribunal du peuple, que diable ! La voilà, notre légitimité.

– Le tribunal révolutionnaire du peuple. Vox populi. Attention, camarade… les mots ont un sens…

Gros plan sur un gros homme en chapeau claque, cagoule et tee-shirt Casse-toi pov’ con.

– Cela va de soi, mon cher Maximilien, je vous prie de me pardonner cet écart de langage. Bon… Deuuuuxième question : quand et qui allez-vous trahir la prochaine fois ? Allez-vous trahir dans l’autre sens… c’est-à-dire en bottant le cul à la droite et en retournant à gauche… ou alors en poussant la barre à droite, en offrant vos services à Marine Le Pen, qui, nous dit-on en régie, serait prête à vous engager dans son gouvernement comme ministre des Étrangers à la Mer ?

– Vous vous croyez drôle, franchement ?

– Je pourrais vous retourner la question. Nous ne sommes pas là pour rigoler, monsieur le ministre, on n’est pas chez Jean-Pierre Foucault, attention !

– Ça suffit. Faites de moi ce que vous voulez, je ne dirai plus rien…

– Même sous la torture ?

Besson avait légèrement blêmi – si c’était encore possible.
Chapeau-Claque lui souffla dans les oreilles.

– Bouhhh. Ah, ah ! On a peur ! Quand on vous dit que les mots ont un sens…

– Ah oui, parce que nous avons les moyens de vous faire parler, ça oui ! Première option : huit jours en Afghanistan, avec ta bite, ton couteau, ta gueule enfarinée, ton K-way, cent euros en poche et le guide du Routard édition 1983…

– Deuxième option : vingt coups de bâtons ! Comme à Guignol ! Il aimait bien Guignol, le petit Éric ?

– Laisse tomber, Ravachol, monsieur est courageux, la torture n’aura aucun effet sur lui… Regarde-moi ce cuir… (L’homme donna un léger coup de poing sur son crâne.) C’est solide, ça. Cuir de vache. La vache de l’Oisans. Ultra-résistante ! Pas vrai ?

Le ministre se tortilla comme il le put sur sa chaise. Plus il bougeait plus la merde imprégnait son froc – il se demandait si ça se verrait à l’écran, ce qui aggrava encore sa honte –, il y avait longtemps qu’il ne s’était pas senti aussi misérable.

– Question n°3. Si je vous dis que derrière ce rideau se cache votre pire cauchemar, diriez-vous que vous craignez de trouver, a) Mme Ségolène Royal armée de sa cravache en cuir de baudet du Poitou ; b) un miroir ; c) votre acte de répudiation signée de la main de Nicolas Sarkozy ; d) le récit de votre nuit de noces par votre ex-femme ; e) une armée de nègres, d’Arabes, d’Asiatiques et de Latinos brandissant fièrement leurs titres de séjour ; f) une conversation post-mortem avec votre papa mort pour la France…

– Mort pour la France ! claqua une voix puissante.

– Vous n’avez pas le droit, gémit Besson. C’est dégueulasse…

– Qu’est-ce que c’est « dégueulass » ? lança une jeune fille avec un fort accent américain. Cheveux courts comme Jean Seberg, silhouette d’une éblouissante fragilité, qui lui rappelait un peu sa fille, enfin, le vague souvenir qu’il en avait, à l’époque où il vivait encore dans le monde des vivants qui se respectent .

– Te fatigue pas, Loretta, je suis sûr que ce connard n’a jamais vu À bout de souffle. Il est comme son maître, aucune culture… Et maintenant, on ouvre le rideau… Surpriiiiise !

Roulements de tambour.
Un clown fit coulisser un rideau. Un isoloir. Nous sommes dans une école, songea le ministre.

– Et voici… Halimatou ! Il est à toi, ma belle !

Une jeune femme noire d’une suffocante beauté jaillie de l’isoloir se planta devant lui. Comme Jean Seberg elle ne portait ni masque ni cagoule.

– Bonjour monsieur le ministre. Je m’appelle Halimatou, je viens du Sénégal et je suis depuis trois ans sans papiers. Je fais mes études dans un lycée du 14e arrondissement. J’aimerais savoir pourquoi vous avez parlé de « mariages gris »… Personne n’a la peau grise sur Terre, ce n’est pas très gentil, tout ça…

Sa voix était d’une infinie douceur. Éric Besson n’avait d’yeux que pour ses souliers. Il avait envie de pleurer. À cause de la merde qui commençait à couler dans la jambe droite de son pantalon. Monsieur Loyal lui attrapa le menton, le forçant à regarder la jeune fille, qui souriait. Puis, aussi vite qu’elle était apparue, elle passa le relais à une vieille femme au visage de cire qui s’empara fermement de son menton. Il détourna crânement le regard.

– Tu me regardes quand je te parle, bonhomme ministre. On t’a pas appris, à l’école ?

Besson crispa les mâchoires, le regard fuyant. Maintenant il avait envie de pisser.

– Ah, ah… je sens qu’il va parler…

– Ben moi je suis plus dubitatif. Monsieur n’a pas la tête de quelqu’un qui va parler, voyons… Monsieur va se taire… Monsieur se terre… dans le silence… les ténèbres.

– Qu’est-ce que c’est, « dioubitative » ?

Les yeux toujours baissés, Besson observait le carrousel des fous qui lui tournaient autour. Dansant en rond comme des Indiens assiégeant le totem, frappant dans leurs mains. Il finit par balbutier :

– Il faudrait que vous me passiez… votre dossier, je… il y a peut-être, il y a sûrement une… faille…

Sa phrase fut accueillie par un éclat de rire général et un chœur de « hou-hou ». Un coup de cymbale ramena le silence.

– Trop tard ! Tu n’es plus en situation de décider, bonhomme ministre. Tu n’es plus rien du tout. Ici tu n’es plus qu’un tout petit microbe… Une mouche tsé-tsé ! Si je veux je t’écrase !

– Un variable d’ajustement !

– Le seigneur du château vient de supprimer le ministère de l’Identité nationale, tu n’étais pas au courant, bonhomme sinistre !

– Qu’est-ce que c’est, « identity national » ?

– Vous ne pourriez pas faire taire cette conne, elle commence à me fatiguer…

– Eh bien, voilà, on devient loquace ! gloussa monsieur Loyal.

– Qu’est-ce que c’est, « lokass » ? Mais pourquoi il me traite de conne, look at me, est-ce que j’ai une tête de conne… Look at him ! C’est lui qui a le visage gris, not me… C’est lui qui se shoote à la deathitude, on dit comment chez vous, deathitude…

– Mortification !

– Thank you, Maximilian…

– Please, Jessica, laisse parler madame Grévin.

– Pourquoi traites-tu les étrangers de cette façon ? Par sadisme ? La jouissance du pouvoir ? Ou peut-être pour te faire du mal ? Serais-tu un bon vieux maaaaasochiste ? Je crois que j’ai percé ton secret, bonhomme ministre ! C’est parce que tu ne supportes plus le reflet de ton visage gris dans le miroir ! Tu te rends compte que tu as raté ta vie, et tu veux te venger sur de pauvres innocents… Alors tu as vendu ton âme au diable le petit Barbare, et pour être sûr que tu ne rêves pas, pour être sûr que tu disposes bien de tout ce pouvoir, tu t’infliges des sacrifices implacables, tu te scarifies la peau jusqu’aux viscères, et plus tu souffres plus tu trouves ça bon de souffrir, ça te fortifie, ça t’enivre, ça te rend puissant, et tu continues parce que si tu t’arrêtes tu vas ressentir un grand vide et que tu as très peur du vide, c’est ça ? J’ai l’impression que tu ressembles beaucoup à ton maître et saigneur le petit Nicolas, non ? Aurais-tu peur de la solitude, bonhomme ministre ? Ou peut-être… de la mort ? Ou peut-être tout simplement… de l’intelligence… Serais-tu un idiot, bonhomme
ministre !

– UN IDIOT ! cria la foule. UN IDIOT !

Éric Besson hurlait intérieurement. Sa vessie pesait des tonnes. La femme de cire lui pinça doucement la joue.

– Mais il va me répondre ce mal poli ? Tu ne comprends pas le français ? Tu veux que je te le dise en quelle langue ? Yorouba ? Oualof ? Swahili ?
Petite tape sur le bout du nez. La femme de cire approcha son visage à quelques centimètres de celui du prisonnier en poussant un rugissement de lionne.

– Raaaaaaaaarrrrr ! Bon, allez, je m’en vais, moi. Je serais capable de lui arracher la langue tellement il me donne envie de vomir ce moustique…
Un coup de cymbale retentit, plus puissant que les précédents.

– Tu fais ça pour quoi, alors ? Pour l’argent ? Pour ta carrière ? Pour te venger de Ségolène ?

– Ah, ah, ah… Ah, ah, ah, ah…

– C’est pas une réponse, ça !

L’invité était livide.
C’est à ce moment que monsieur Loyal aperçut la clef USB en pendentif autour de son cou.

– Oh, mais ça nous avait échappé, ça ! SÉCURITÉ !!! Que contient donc ce magnifique colifichet, bonhomme ministre ? Des amulettes ? Du poison ? Voyons voir un peu ça…

Le ministre se liquéfia. Tenta désespérément de se libérer de son joug. Monsieur Loyal arracha le collier et le tendit à la femme au masque de cire.

– Vous n’avez pas le droit…

– Que contient cette superbe clef USB, bonhomme ministre ? Les 50.000 réactions au débat sur l’identité nationale qui te fut offerte à Noël 2009 par ton directeur de cabinet ? La liste des 30.000 expulsés de l’an dix ? Le grand livre des recettes du Haut-Atlas ?

Éric Besson dans un soubresaut tenta de se libérer et emporta avec lui la chaise de coiffeur.

– Je vous emmerde ! Tous ! Vous pouvez faire de moi ce que vous voulez, je ne dirai plus rien… Plus rien, vous m’entendez !… Vous m’entendez !

– Nous vous avons parfaitement entendu, monsieur Besson. Eh bien, je crois que le moment est venu de rendre l’antenne… Votre verdict, madame Grévin ?

– Verdict négatif, les amis. Monsieur n’est pas digne d’entrer dans mon panthéon de cire. Vous pouvez le remettre en rétention…

– La rétention ! scanda la foule. La rétention ! La rétention !

CUT.
Voix off.

Ainsi vient de prendre fin sous vos yeux, mesdames et messieurs, la confession publique de celui qui fut le premier et le dernier ministre de l’Identité nationale de la République française.

Éric Besson attendit encore, encore et encore. Une heure passa. Puis deux. Il avait uriné sous lui. On lui avait pris sa montre et son téléphone portable. On lui avait pris sa précieuse clef USB. On l’avait dépouillé de sa dignité. On lui avait tout pris.
Il avait l’impression d’être… un étranger.
Il attendit.
Qu’avait-il de mieux à faire ?

Bienvenue chez les Ch’tis

Comme tous les dimanches matin. Martine Aubry prenait son petit déjeuner en compagnie de son mari lorsqu’on sonna à la porte de sa maison lilloise. Un moment d’intimité sacré que le couple aimait savourer car ils étaient rares à cause des activités de madame la Première secrétaire.

– Laisse Martine… J’y vais.

– Merci mon chéri.

Elle avait à peine eu le temps de croquer le coin d’un croissant – son péché mignon – que celui-ci la héla.

– Martine, c’est pour toi !

Martine Aubry se leva en faisant « zut de bique » – c’était son mot, zut de bique. Succulents, ces croissants !

– Oui. C’est pour quoi ? Vous…

Une ombre se tenait dans l’entrée. Une ombre hirsute, comme une apparition, presque irréelle. L’homme leva la main gauche. Une main tremblante. Il faisait peur.

– … je ne fais pas la quête, rassurez-vous…

– Oui… Que puis-je pour vous ?

– Tu… vous… on se tutoyait autrefois…

– On se tutoyait ! Si vous le dites c’est que ça doit être vrai… On
se connaît ?

– Oui, je… Je suis…

Martine Aubry considéra le petit homme au sourire triste qui lui faisait face. Barbe de huit jours, cheveux gras, costume bleu marine fripé, mocassins usés jusqu’à la corde, il portait une écharpe rouge alors qu’on était en plein été et tenait à la main un grand sac de marque Franprix. Un autre détail attira son attention : il ne sentait pas franchement la rose.

– J’ai eu quelques petits pépins, fit le visiteur d’une voix implorante. Tu ne me reconnais vraiment pas, camarade ?

– Camarade ?

– Oui, je… c’est assez délicat… On a comme qui dirait…

La maire de Lille venait de comprendre. Saloperie de crise ! Première fois qu’elle était confrontée à ce genre de situation. Zut de bique, zut de bique…

– Milité ? Ah… pardonnez-moi, mais… enfin, je veux dire, pardonne-moi… mais je ne te remets pas, je suis vraiment désolée !

– Ça n’est pas grave, Martine, marmonna l’homme. Moi-même… j’ai du mal à me… remettre…

– Mais qui es-tu, « camarade » ?

– Tu n’es pas obligée de m’accorder l’hospitalité, répondit le vagabond.

– Mais non… allons… c’est simplement que…

Martine Aubry s’approcha de l’inconnu – mon Dieu qu’il sentait mauvais !

– Bon sang ! C’est pas vrai… Éric ?

Elle avait le frisson.

– C’est bien moi, oui. Éric… Tu peux m’appeler Judas si tu veux… Tu peux me claquer ta porte au nez, je comprendrai…

– Ben ça alors… Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ? Tout le monde te croyait…

– … mort. Oui, je suis mort, Martine. Je suis mort et j’ai ressuscité. Comme le Christ. Comme le Christ je porte ma croix…

– Entre, ne reste pas là. Tu veux prendre une… douche ?

– Non. Non… Je ne suis pas encore prêt pour cela…

– Prêt ?

L’homme toussota.
– Je… j’ai appris beaucoup de choses pendant tous ces jours… Il faut que je poursuive ma route vers la lumière… Veux-tu que je te récite une poésie ?…

– Une poésie ? Mais… où étais-tu, bon Dieu ! On t’a vu à la télé… Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

Pour toute réponse, Éric Besson – car c’est bien de lui qu’il s’agissait, mes ami(e)s – leva les bras au ciel. Et fit cette surprenante déclamation :

– Frères humains qui après nous vivez, n’ayez les cœurs contre nous endurcis… Car si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plutôt de vous, merci…

– Éric… Mais qu’est-ce que tu…

– Vous nous voyez ci attachés, cinq, six… Quand de la chair que trop avons nourrie… Elle est piéça, dévorée et pourrie… Et nous les os, devenons cendre et poudre… De notre mal personne ne s’en rie… Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre…

– Attends Éric, je reviens. Tu ne vas pas partir comme ça…

– Si frères vous clamons, pas n’en devez avoir dédain quoi que fûmes occis…

Martine Aubry quitta un instant le perron de sa villa. Elle avait la chair de poule.

– Chéri, viens voir, c’est incroyable…

Dans le couloir elle buta sur son époux qui venait aux nouvelles, un peu inquiet.

– Mais qui est-ce ? Qui est ce type ?

Son époux jeta un œil intrigué sur le perron. Plus personne. La rue était déserte.

– Mais où est-il ? Où est-il passé ?

– Je ne sais pas, chéri. Le temps de me retourner pour t’appeler et il a disparu. C’est comme s’il s’était… dissous…

– Mais qui était-ce ? Il n’est pas venu comme cela par hasard…

– Je ne sais pas, mentit-elle. Il n’a pas dit son nom. Je lui ai proposé de prendre une douche, de s’arrêter un moment… de manger un morceau… mais il n’a pas voulu… Il a récité La balade des pendus et il est reparti… Zut de bique…

– Toi et ta charité chrétienne… Tu es bien la fille de ton père !

– Chéri !

– Je te charrie, allons… Quelle époque !

Je suis partout. Les derniers jours de Sarkozy, Jean-Jacques Reboux (Après la lune)