Laissant de côté toutes les normes élémentaires du journalisme, j’écris à
la première personne.
Après l’appel d’un groupe de syndicats à réaliser une manifestation dans
la ville de Maracay contre les mesures économiques, la criminalisation de
la protestation et pour la justice dans le cas des travailleurs assassinés
pour avoir exigé des améliorations dans leur travail, trois personnes du
groupe des droits de l’homme Provea, parmi lesquelles je m’inclus, et deux
membres du journal El Libertario, dont je fais aussi partie, partirent
avec d’autres camarades de Caracas en solidarité avec les revendications
ouvrières.
Aux alentours de deux heures de l’après-midi (vendredi 12 mars 2010), un
groupe de 200 à 300 personnes se réunit sur l’intersection de l’avenue
Bolivar avec Ayacucho de la ville. Nous reconnaissions certains visages,
des syndicalistes de gauche de vieille date et venant de différents
endroits du pays, mais la majorité des individus présents étaient affiliés
à diverses organisations syndicales comme l’Union Nationale de
Travailleurs (UNETE). La présence policière de Poliaragua (Police de
l’Etat d’Aragua) était disproportionnée, et ils coupèrent rapidement les 4
rues que pouvait emprunter la manifestation. A tout instant l’attitude des
autorités fut celle de la confrontation et de ne pas permettre le
développement de l’activité. 30 minutes ne furent pas passées quand la
police se mit a tiré des bombes lacrymogènes pour disperser les
manifestants, et procéda aux premières arrestations de manière
indiscriminée. Après avoir respiré les gazes toxiques et m’être ressaisi,
j’accompagna Roberto Gonzalez, secrétaire exécutif de la fédération du
secteur pétrolier qui faisait des déclaration à la chaîne de télévision
régionale TVS – Maracay, et alors qu’il parlait à un journaliste un groupe
de plus de 30 policiers se mit à nous encercler. Dès que la caméra fut
éteinte ils se jetèrent sur nous et nous montèrent de force dans leur
véhicule. Dans la bousculade, ils me quittèrent pour la rompre par la
suite la pancarte que j’avais à la main et qui lisait : ’Pour l’autonomie
libertaire et contre la répression des mouvements sociaux’. Nous étions 12
personnes dans la camionnette de police, parmi eux se trouvait deux
activistes de la Ligue des Travailleurs pour le Socialisme (LTS). Nous ne
fûmes ni informés des charges retenues contre nous ni de l’endroit où nous
étions emmenés.
Nous arrivâmes au commissariat générale de l’état d’Aragua, situé dans la
zone de San jacinto. Les autres détenus, dont une femme, furent obligés à
s’asseoir parterre. On nous enleva les documents de identité et, peu
après, on nous amena dans un bureau où il remplirent les formulaires
d’entrée, avec nos données. Dans une autre salle, ils nous obligèrent à
nous déshabiller, nous filmant le visage avec une caméra. Un policier
obèse, habillé en civil, nous demandait pendant l’enregistrement ’Qui vous
a donné les ordres ?’, ’Qui vous a donné les ordres ?’. Après cela, ils
nous mirent à 8 dans une cellule de 2 mètres par un, en compagnie d’un
mineur qui était dans cette cellule depuis 6 mois pour vol aggravé. On ne
pouvait pas tous s’asseoir au même temps. Alors que la chaleur nous
suffoquait, lentement, le mineur urina dans une bouteille de soda. Une
fonctionnaire d’un niveau inférieure du service du Procureur arriva nous
informant que les charges étaient ’Obstruction de la voie publique,
incitation à la délinquance et résistance face à l’autorité’. Sans
beaucoup d’enthousiasme elle nous dit, avant de partir, que nous serions
présentés le lendemain au Ministère Publique. Plusieurs fonctionnaires du
service de Défense du Peuple (organisme chargé de défendre les citoyens
face aux abus du pouvoir), dont l’intermédiation nous permit de quitter,
après quelques heures, le trou où on nous avait mis. Deux avocats de
Provea arrivèrent de Caracas, et presque avec eux, la nouvelle qu’un ordre
de haut niveau avait été donné pour notre enitère libération, comme si on
essayait d’effacer notre passage par ce Commissariat. Après avoir attendu
une autre heure on nous rendit nos affaires. Sur les séquelles de ce qui
avait dû être une forte pluie, un groupe important de camarades nous
attendait. Nous sortîmes tous et toutes ensembles, accolades, baisés,
applaudissements, une réunion improvisée.
En peu d’heures l’information concernant notre détention avait fait le
tour du monde. Beaucoup de camarades ont tout fait pour nous aider,
quelques communiqués traversaient déjà cette mer qu’est Internet refusant
la répression et réclamant notre libération, des appels téléphoniques se
suivaient depuis différents endroits du monde. Depuis la capital le coût
politique d’une détention de trois activistes des droits de l’homme fut
été pesé et, aussi bien le Procureur Général que la Défense du Peuple,
personnellement, contactèrent les autorités régionales pour exiger notre
remise en liberté immédiate. Quel dommage qu’une telle vitesse n’existe
pas pour les autres cas de rétention pour le fait d’avoir réaliser une
manifestation. Si tel était le cas, il n’y aurait pas plus de 2.200
personnes soumises aux régimes de présentation au tribunal après avoir
passé une odyssée comme la nôtre. Avoir ce type de traitement est un
triste privilège. Ceci n’efface pas pour autant le fait que, une fois de
plus, une manifestation de travailleurs fut barrée et réprimée par les
autorités, qui, tout comme le montrent les faits, s’est convertit en une
politique d’Etat.
Une autre réflexion est liée à ce que j’appellerai, vu le peu d’idées en
tête en raison de ma fatigue, la politique du scandale. Notre libération
rapide, qui je le répète n’est pas monnaie courante dans des cas
similaires, fut le produit dans une large mesure du fait que la nouvelle
se répandit instantanément à travers les réseaux sociaux, comme Twitter,
mais en particulier les moyens de communication massifs pas liés à l’Etat.
Ce qui est paradoxal c’est que l’information fut amplifiée par les médias
pour lesquels nous ressentons de grandes réserves, tels que Globovision et
El Nacional, mais ignorée par ceux qui sont censés accompagner les luttes
populaires. Pour citer un exemple rapide Aporrea. Pour des gens qui se
définissent comme ’agence populaire alternative d’information, revue
digitale ouverte et interactive du mouvement populaire et des
travailleurs’, la manifestation d’aujourd’hui 12 mars à Maracay n’a pas
existé – par contre il y eut une grève à Rome -, ni la répression ni la
détention de deux dizaines de travailleurs et dirigeants syndicaux. Comme
je l’ai déjà dit au cours d’une autre occasion il faut contraster
l’information des médias ’alternatifs’ avec ceux des médias privés et non
pas le contraire, tel que ça se fait dans le reste du monde. Il faut,
parfois, tirer les conclusions qui s’imposent de cette situation.
J’écris ceci de chez moi, sous la protection de ma compagne et de ma
chienne, adoptée au cours d’une journée de balade dans les rues d’Aproa.
Et la possibilité de dormir avec une compagnie si agréable je la dois à
toute une infinité d’amis et d’amies qui se sont mobilisés rapidement et
que je dois remercier personnellement, et non pas à travers une liste où
je pourrai commettre l’injustice d’oublier quelqu’un. Ils et elles savent
qu’ils/elles sont et sont à ce moment même en train de recevoir cet
e-mail. En tant qu’être humain, en tant qu’anarchiste et comme défenseur
des droits de l’homme j’espère ne pas trahir leur dédication, et continuer
ce chemin qui n’est autre qu’accompagner et fortifier, si une telle
arrogante prétention est possible, la lutte des personnes qui confrontent
le pouvoir, pour leurs dignités et leurs droits, qui sont les miens
également. Merci.