Christiane Passevant
La Révolution du Grand Renoncement de Fabien Ollier et Nathalie Vialaneix
(Sulliver)

« Je tiens à vous dire que l’optimisme règne.

Je tiens à vous dire que l’exploitation règne. […]

Je tiens à vous dire que l’art règne sur la vie et sur le vivant esprit. La vie n’est pas belle mais les images le sont. […]

Je tiens à vous dire que la circulation des objets est entièrement libérée des considérations anthropologiques ; règne la liberté des marchandises.
L’identité tient dans le nombre.
[…]

Le sport enseigne le respect des inégalités.

[et] la barbare frénésie de la musique aide à digérer et aimer le non vouloir. »

Communiqué Multimonde.

La Révolution du Grand Renoncement de Fabien Ollier et Nathalie Vialaneix.

Il n’est pas simple de situer ce roman, La Révolution du Grand Renoncement dans une littérature de genre : fantastique, science-fiction ou bien plutôt roman social et politique ? C’est à peine de l’anticipation, le récit s’inscrit dans un futur plus ou moins proche, hypothétique, mais bien ancré dans une réalité sociale contemporaine. Et si l’on regarde autour de soi… La citation d’Adorno qui ouvre le livre est en cela bien incisive sur notre propre réalité :

« La griffe de notre époque, c’est que personne, sans aucune exception, ne peut plus déterminer lui-même son existence en un sens relativement transparent comme celui qui, auparavant, était donné au terme d’une estimation des conditions de marché. Par principe, tous sont objets, y compris les plus puissants. »

Nous sommes en 2000 et quelque, le Grand Renoncement règne et s’affiche comme une révolution… Place donc au cauchemar du rien, de la «  dégénérescence du vouloir » et de l’abandon de soi ! Le décervelage collectif devient la jouissance suprême. Quant à la résistance, il faut la traiter au plus vite comme une maladie. Dans le monde du Grand Renoncement, « désormais, cette gesticulation éhontée n’a plus aucune aura — enfin les hommes deviennent mûrs. » Les êtres, reformatés, conditionnés jusqu’à l’ultime aliénation renaissent « dans l’objet » et ne se sentent « jamais aussi libre[s] que dans un camp ».

La Révolution du Grand Renoncement de Fabien Ollier et Nathalie Vialaneix

EXTRAITS

CHAPITRE III p. 25-27

Je suis cet homme je suis cette femme je suis cet enfant je suis ce matricule 64 921 vier-und-sechzig neun ein und zwanzig je suis ce lager je suis cette fumée cette puanteur je suis ce pus cette plaie cette odeur de fumier cette graisse à enduire cette matière qui se déchaîne se mêle se cache se révèle se déchire s’apaise se blesse encore je suis sédiment couches de merde de l’humanité cette pierre qui ruisselle ce goût des fourmis écrasées sur la langue cet ocre ce bleu cet or ce vide ce ciel qui m’aspire ce clinquant ce galet que l’on force à choisir entre ciel et terre je suis le regard de cet animal effrayé je suis sa peur son corps je suis votre corps votre chair votre voix vos tremblements vos joies vos bonheurs et même votre renoncement je suis l’increvable noyau de la peur je suis la sérénité je suis le vide je suis le plein je suis l’attachement je ne connais de ports d’attache je vais je viens je passe je passe jamais je ne m’arrête toutes les terres me semblent bruit tumulte cacophonies jusqu’à la nausée je ne sais cette réalité elle m’échappe se délite je ne peux la saisir je ne peux la convoquer je ne peux prendre appui sur elle les images tournent s’entrechoquent se heurtent je ne peux dire je ne sais vouloir me taire fragments secousses séismes j’aimerai le silence je ne répondrai pas à vos questions je ne veux les poser davantage je suis absence je suis mémoire tout se colle à moi je coupe pour laisser couler gicler ce trop-plein je ne connais ni l’ordre ni le désordre des choses je n’ai ni père ni mère ni patrie ni territoires ni même mots ma langue maternelle m’est étrangère elle pue la trahison ma voix accouche de ses inflexions de ses intonations je ne détiens pas mes mots je ne détiens pas ma pensée il ne me reste pas même le silence il ne me reste rien que la peur dernières traces de lutte je me souviens tous ces mots que l’on a rendu à l’absence ces livres que l’on a pas même eu besoin de brûler ils se sont tus d’eux-mêmes ces heures à désapprendre le temps calé sur le coeur de la machine pulsation de l’instant l’une chasse l’autre ni hier ni demain ni même tout à l’heure enfoncé hypnotiquement dans la seconde qui bat dans la seconde qui bat dans la seconde qui bat dans la seconde qui bat sans odeur pour rendre à la mémoire et fracasser la pulsation mortelle dès la naissance je ne peux vouloir je ne peux davantage vouloir ne pas vouloir je suis avec ça affublé du néant comme d’autres de l’oubli je cède des morceaux de mon corps comme s’il ne m’avait été accordé que pour cela amputations féroces la machine ne peut être moi je suis la machine je suis la chose je suis l’objet je ne suis rien je suis tout je suis cette attente je n’attends rien je suis vous je suis Porteur je suis Mutilé je suis Renoncement je suis Volition je suis le déversoir de vos angoisses je suis l’absorption de vos tumeurs le drain de votre peur vous repartez soulagés je repars chargée c’est lourd il m’en faut des errances pour savoir reposer ce fardeau vous ne m’avez jamais rien demandé vous êtes bien trop distraits lorsque vous venez à moi je me pose là je vous regarde je me suis dénoncée je vous attends welcome to the machine je suis Mutilé je suis Porteur je suis sur le seuil je quitte la nef liminale et pose pied à terre je vous attends mon corps est démesuré mes mains cherchent à saisir ce que je ne sais encore mon corps s’engouffre tout entier au bout de ces doigts qui touchent malaxent espèrent connaître reconnaître inventer cette réalité je me suis dénoncée je vous attends welcome to the machine welcome to the machine welcome to the machine welcome to the machine je me suis dénoncée. Je vous attends.

CHAPITRE IX p. 54-59

Le Grand Renoncement est le remède contre la superfluité de l’humanité. Ainsi ai-je bien senti de quoi me parlaient les objets marchands, même si rien ne me prédestinait à les écouter à cause de la vieille bave rouge qui coulait sur ma tête depuis si longtemps. Cette bonne vieille bave de grand-mère et grand-père Cornu qui fait comme un cocon autour de soi et qui veut se transmettre, qui veut la contagion, l’expansion si possible. Bave d’amour, bave de révolte, bave de refus qui englue et empoisse, bave de nécessité à être et vouloir être, peut-être, un humain digne, droit sur ses guiboles qui pourtant dansent la trouille sans arrêt. Quelle angoisse ! De quelle angoisse étions-nous tous épris avant de comprendre qu’il fallait tout rendre de soi, comme une vomissure salvatrice post-festum ?

Je revois cette pelade vivante et sa bave rouge qu’il finissait par transpirer de partout. Jean s’accrochait à la viscosité qui suintait des têtes des humains, de leurs cœurs aussi, quand ils arrivaient à battre encore sans pacemaker. Des lumières paresseuses allaient et venaient, comme des scanners. Tout se passait dans le ventre et en fonction des couleurs, tout éclatait dans le crâne. Les femmes tombaient en syncope sur des airs de noces et je voulait que ce soit dans mes bras qu’elles retrouvent connaissance. Pourtant je savait que plus rien n’était plus possible même si tout était permis. Mais je m’obstinait, je soutenait les choses mordicus, je tenait tête à la réification, je tenait les objets à l’écart de moi, m’en méfiait comme s’ils avaient une peste ou plutôt l’une de ces anciennes maladies vénériennes qui laissent nos os fripés comme du papier mâché. Les plaques rouges, la bave rouge, les champignons rouges aussi, toutes ces reliques du passé, toutes ces reliques d’espoir, ces vieux rêves de liberté humaine, de bouleversement des choses en place, attaquaient mon système nerveux, détraquaient mes sens au point de ne plus rien pouvoir admettre du trop de réalité. Ce trop-plein-là voulait me faire l’amour et, comme un jeune puceau, je me débattait dans les bras de la maîtresse, les trouvant trop puants de désir ou trop collants de tendresse pour justifier, seulement justifier, la paralysie totale de mon muscle pubo-coccygien — paralysé de peur, paralysé d’effroi dans cette lassodomination qui aujourd’hui, le Travail sauve mon âme, me fait jouir, tellement jouir… Je ne tuait pas mes enfants. Je n’enfonçait pas les yeux de ma femme dans sa crème de cerveau. Je n’allait pas travailler en me sentant l’élu de l’objet marchand. Je fuyait devant les responsabilités de l’objectal. Tout marchait à l’envers parce que je voulait l’impossible, je voulait le vouloir-devenir-un-homme-toujours-en-devenir ! Cette folie qui grignote les chairs et circule dans l’estomac comme un acide pour nous faire chier des empathies, des sympathies, des tapes dans le dos, des embrassades, des pulsions de vie, des scansions de non !, des scansions de oui !, des ruades de plaisir, des élans vers les autres, des gestes d’utopie, de l’adrénaline en somme, eh bien quel aveuglement m’empêchait de la voir dans sa tenace et lubrique énergie, mais retournée quant à ses buts, là, juste là sous mes yeux gorgés d’un sang révolu, dans l’objet plein de valeur, plein d’or, plein de surplus de lui-même, absolument autre ? Je n’avait pas le combustible pour que le Grand Renoncement me fasse être Porteur, artiste Porteur, travailleur Porteur, marchand Porteur, objet Porteur, Porteur objet, élu suprême de l’aventure tellement enviée au troisième millénaire : l’aventure de l’exploitation totale. Combien avaient-ils couru après elle, tous ces vieux humains rouillés, sans jamais réussir à la trouver, crevant de désespoir, crevant d’ennui, crevant de faim, de froid à sa porte ? Ils n’avaient rien compris. Ils ne savaient pas faire l’amour à l’objet. Ils ne savaient pas vomir le vouloir-devenir-humain. Ils avaient quelque part cette bave rouge, des fois sous leurs yeux, des fois sous les aisselles, souvent dans les oreilles et dans l’anus. La porte restait close pour les baveux, close pour les Jean-la-pelade de toutes sortes, close pour qui ne se rendait pas, là, juste dans cet endroit du cerveau, et là, juste dans ce creux du ventre, pour qui gardait l’amour comme on cache une arme sous le matelas. Il ne fallait plus aimer pour être l’élu.

Maintenant, je vous dis que ça se rapproche considérablement de moi cette présence matriculée. Je vous dis que ça m’empêche de me tenir droit. Je vous dis que ça vibre dans ma main et que les Contramors devraient déjà être prêts ou prêtes à s’élancer sur cette chose qui
insiste, insiste tellement à ne pas se vomir. Bondissez-lui dessus et vite, bon sang ! Les matriculés doivent comprendre une bonne fois pour toutes qu’ils ne sont plus exploitables. Rien n’y fera, ils pourront s’abaisser tant qu’ils peuvent, le temps de l’exploitation de l’homme est bel et bien terminé. La marchandise a donné force de vouloir à l’objet. Elle donne force de non-vouloir à l’humain pour qu’il se love dans l’objet. Seuls les objets sont exploitables par les objets. Voulez-vous être reconnu par l’objet marchand ? Devenez comme lui, laissez-vous agir par lui, laissez-vous faire, tout ira bien mieux. Mais les matriculés aiment. C’est contrariant. Pourquoi ? Pour qui leur vilain cœur dans leur vilaine carcasse mutilée peut-il bien continuer de battre ? Pas pour ces jeunes enfants à peine capables de courir un cent mètres en moins de douze secondes ? Ils sont difformes ; leurs bras s’envolent comme des papillons tant ils sont maigrelets ; leurs jambes sont courtes, très mal modifiées génétiquement, souvent complètement asymétriques ; certes, les jeunes filles ont de beaux seins — c’est mon péché mignon ! Ces petits monstres de cinq ans avec leurs seins de femmes matures, ça me libère l’endocrine, ça me fait les déchirer d’un coup net et précis — et les jeunes garçons sont montés comme des déménageurs, à tel point que les Contramors en raffolent ; mais rien dans leurs yeux mornes, brûlés de soleil, ou dans leurs bouches piquées par les seringues de dopants expérimentaux, ne peut éveiller un quelconque sentiment d’amour. La pitié, ce serait déjà bien trop !

Pas non plus pour les vieilleries inutiles qui perdent leur module multiréseaux dans une descente d’organes ? Ils vont tous se laisser mourir dans la zone d’irradiation ionique et sont généralement dans un tel état de flétrissure pendant qu’ils se traînent mollement jusqu’à leur tombeau collectif qu’on les confondrait volontiers avec de vieilles pommes sur pattes. La honte de redevenir un peu humain les laisse inabordables, même pour un matriculé, c’est certain. Il faut voir cette trop lente procession de vieilles pommes sur pattes en train de s’arracher les peaux mortes, en train de se tirer les dernières dents, en train de se maudire de retomber dans le fumier humain, en train de rouler leurs yeux dans des orbites sèches, où tout grince, où tout disjoncte. Rien d’étonnant à ce que les spacecars vrombissent de rage devant tant de poussifs et convoquent dans leur nervosité un Porteur jeune loup aux dents d’acier pour écraser ce merdier ambulant ! Impossible d’aimer ça. Impossible de trouver compassion quelque part, n’est-ce pas, matricule 64 921 ? Alors, qui aimez-vous ? Qui vous donne encore ce vouloir minuscule qui grippe vos rouages ? Je finirai par le savoir. Je me rappellerai Jean jusque dans ses intimes putréfactions amoureuses pour envoyer à vos trousses, vos couilles ou vos ovaires les Contramors qu’il vous faut ! Oh, je vous trouverai, je vous donnerai les derniers soins. Ma bouche s’enfoncera dans la vôtre, ma langue fouillera vos volitions, je vous ferai vous vomir et j’avalerai tout de vos relents infâmes pour m’exposer à L’Art Porteur. Vous serez ma dernière œuvre, sale petit matriculé. Le Poste de travail m’a donné la mission de vous traquer par les mots, mais je vous finirai par la bouche ! Le Releasis vous matraquera de ces mémoires d’outre-tombe où l’homme se brisait, se consumait, se liquéfiait d’être un homme. Et vous viendrez à moi ne vous supportant plus d’aigreur dans le gosier. C’est moi qui vous attends, ce n’est pas vous. Laissez des traces de bave rouge, laissez des traces d’ongles, laissez des traces de pisse, laissez des traces de peau, les patrouilles vous trouveront et le Grand Renoncement sera proche. Je vais vous sauver, 64921. Il faut que je sache qui vous aimez !

CHAPITRE X p. 60-63

Un rat. Il y a un rat avec moi. Si près, je pourrais le caresser. Comment a-t-il fait pour entrer ? Elle est où la faille que je n’ai su voir ? Il fait semblant de m’ignorer, se lèche une patte, puis l’autre, puis l’autre, jusqu’à quatre, puis les poils, un par un, mais ses petits yeux noirs me scrutent et m’appellent, les électrodes fichées dans son crâne brillent comme une couronne, ça attire le regard, c’est sûr, il me tend ses jolies fesses lustrées, à faire bander un eunuque ou exploser un Contramor, m’aguiche, me fait de l’œil en remuant nonchalamment sa queue. Et ça susurre, susurre, « Alors, tu l’épouses, ce caisson ? Tu l’épouses ? Dis-moi, allez, dis-moi qui tu aimes ? Qui tu aimes ? Qui tu aimes ? Qui tu aimes ? Laisse-toi aller, laisse aller ton corps, ton âme. C’est si simple, l’objet veut de toi… » Ça laisse rêveur, hein… Songez donc : l’objet te fournira le pain, te livrera sexes, seins, bas des reins, te donnera la vie, la connaissance, la jouissance. L’objet te donnera même un chien. Ça laisse rêveur, hein… Ses petits yeux noirs me scrutent et m’appellent. Et l’autre voix. Songez donc : cette mère nourricière qui se nourrira de ta chair, elle te fournira le pain mais ôtera les mots de ta bouche ; elle te livrera sexes, seins, bas des reins mais te sucera tout le désir ; elle te donnera la vie, t’enterrera vivant ; elle te donnera connaissance, tu ne connaîtras plus l’étonnement, elle te donnera jouissance, ton corps sera froid, elle te donnera un chien et c’est lui qui te promènera. Il se lèche. Ses petits yeux noirs me scrutent et m’appellent, « Laisse-toi aller, laisse aller ton corps, ton âme. C’est si simple, l’objet veut de toi, glisse-toi là, près de moi, glisse-toi là, ça ira. » Rejoindre le paradis de l’obéissance, aucun désir, aucun élan, aucun souffle, c’est si bon de se laisser promener, de se laisser guider dans l’espace béant de l’oubli, de se caler sur ce clavier, cette machine qui parle, m’enjôle, me caresse, cette machine qui me dit quoi penser, elle pense même pour moi, me convainc moi qui n’ai jamais su décider. Je suis pourtant toujours très sûr, très sûr de moi, de ce qu’il faut faire, ne pas faire, dire, ne pas dire, là où il faut aller, ne pas aller, penser, ne pas penser. Je suis toujours très sûr, très sûr de moi, mais voilà, pas longtemps, par saccades, je passe d’une certitude à une autre dans le même temps, dans la même seconde ; je suis à chaque fois convaincu d’une chose puis immédiatement de son contraire. Ce n’est pas que je résiste, je n’ai jamais été capable d’une quelconque résistance, c’est plutôt comme une sorte de danse endiablée où toujours je suis pleinement, entièrement convaincu de chacun des prédicats. Ça grogne malgré moi le hasard, le flou et l’incohérent. Comment m’attraperez-vous si je ne puis me saisir moi-même, je me donne, me reprends, j’y vais, je n’y vais pas, j’aime, je n’aime pas, ilote idole du oui, ilote idole du non. Ses petits yeux noirs me scrutent et m’appellent « Obéis. » Il faut que j’obéisse. Oui. Non. Oui. Non. Oui. Non. Vous voyez, il y a toujours cette autre voix, là, derrière, sous la bosse de mon crâne, cette voix, cette voix, je ne suis pas même sûr qu’elle est mienne. La voilà qui se déchaîne. Le rat finit par entendre, dresse l’oreille. Il se crispe. Les électrodes vibrent tous azimuts, c’est quoi cette voix, ce n’était pas prévu. Je le sens perdre pied, paniquer, le script était pourtant clair, je devais abdiquer, céder, me glisser dans le non-vouloir, me laisser adouber par l’objet, faire acte d’allégeance et faire de mon renoncement un titre de noblesse. C’est quoi cette voix ? Voilà qu’il se lèche frénétiquement maintenant, comme pour se rassurer, il salive à nouveau sur ses poils, faut que ça brille, que ça en jette, que ça en fasse de l’évidence, sa langue râpeuse s’attarde sur son sexe d’un rose indécent, faut que ça brille, faut comprendre, faut comprendre, faut que ça brille. Sa voix se fait stridente « Alors, tu l’épouses, ce caisson. Tu l’épouses ? Dis-moi, dis-moi qui tu aimes ? Qui tu aimes ? Qui tu aimes ? Qui tu aimes ? », et me voilà à mon tour perdu, déboussolé, je fonce sur la paroi, frappe, frappe, griffe, lacère, je veux sortir, qu’on me laisse sortir, le caisson crisse et pue l’odeur âcre de ma peur, l’autre se lèche toujours, Qui tu aimes ? Qui tu aimes ? Qui tu aimes ? Les parois se resserrent, je donne encore un coup, puissant celui-là, violent, à fracasser l’infracassable, je crois que je me suis brisé les doigts, mais ça cède, ça cède, bouffée d’oxygène, j’appuie à nouveau de toutes mes forces, les murs tombent. Un autre caisson. Oui, un autre caisson. Je suis dans un autre caisson. Le rat éjacule. Je frappe toujours. Un autre caisson. Puis un autre, un autre, un autre, un autre, un autre encore. Le rat éjacule, je vais le bouffer. Je le bouffe. Je suis le rat et ses yeux noirs. Le rat est moi. Je suis le rat pris au piège. Je me cogne, me blesse, essaie de rogner ma patte pour me libérer, jusqu’au sang, jusqu’à l’os, je me ronge les tendons, me bouffe la langue. Tout ce sang. Ce trou noir qui m’aspire, le vide, et cette voix, froide, blanche, cette voix qui me glace. Il faut que je dorme, il faut que je dorme. Je veux des histoires, comme autrefois. Se coucher là, attendre, laisser venir les images, celles du passé, celles de demain. Se coucher là, attendre, oublier l’instant, aimer son tortionnaire, ne plus même essayer de comprendre, se bourrer de coton par tous les orifices, faut que rien ne sorte, pas même le sang, pas même les odeurs, pas même mon amour pour celui qui projette ses ombres dans mes lumières et ses lumières dans mes ombres. Faut se coucher là, attendre, laisser venir les images.