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Groupe Fels
Forêts, prairies... et actions de résistance
Heiligendamm G8
Article mis en ligne le 12 mars 2008
dernière modification le 6 mars 2008

« G8 2007. Heiligendamm blockiert ! » (« Heiligendamm bloqué ! ») : c’est ce qui est écrit sur un tee-shirt de la campagne anti-G8 au cours de laquelle, au début de juin 2007, 10 000 personnes ont bloqué les voies d’accès au sommet du G8, à Heiligendamm. On peut trouver bons ou mauvais les tee-shirts politiques ; et la signification du message imprimé ne correspond pas toujours à l’événement en cours. En l’occurrence, il s’agit d’une estimation générale des événements du mouvement de protestation : « Nous avons gagné ! », c’est ce que veulent dire les tee-shirts ; la question est de savoir si cela est vrai et ce qui subsistera de cette vague de protestations. Pour le groupe Fels (Für eine linke strömung, « Pour un mouvement de gauche » ), les blocages massifs contre le sommet du G8 agissent dans le même sens que la Berlin-Umsonst-Kampagne, pour mieux vivre en dépensant moins (www.berlin-umsonst.Tk), et la Mayday Parade contre la précarisation (berlin.euromayday.org). Ils montrent que l’expérimentation de différentes formes de protestation et une politique de gauche nécessaire – comme dans le cas de ce blocus – peuvent être couronnées de succès.

deusche Ausgabe

À Heiligendamm, on pouvait non seulement voir les divers groupes de critique et de protestation contre la globalisation réunis échanger leurs expériences pratiques de la résistance, mais aussi constater que les débats sur le rapprochement entre la critique fondamentale des événements et les formes de résistance collective avaient à nouveau le vent en poupe.

Blocage dans un champ de blé

« Blocus du G8 – voies d’accès barrées », c’est ainsi que se présentent les vainqueurs. « Shalalala », criaient des milliers de personnes lors de la manifestation de clôture en traversant Bad Doberan, le dernier jour, se réjouissant d’avoir durablement et efficacement privé le sommet du G8 de ses voies et infrastructures d’accès, et ainsi concrètement dénoncé sa « légitimité ». Pourtant, quelques jours auparavant, personne, ou presque, n’avait compté sur un tel résultat.

Revenons en arrière : après un bon début de semaine de protestation, le tableau était assombri (intervention brutale de la police sur le lieu de la publication du bilan, manque de solidarité dans l’action après la grande manifestation du 2 juin à Rostock). Les médias, dont la fièvre était attisée par la politique et la conduite de la police après la grande manifestation, se demandaient si, à cause des provocations continuelles de la police à l’égard des 10 000 manifestants, la grande marche du lundi 4 juin pour réclamer la liberté de mouvement n’allait pas être interrompue encore loin de son objectif, la ville portuaire. La veille du sommet, certaines actions contre l’arrivée de Bush étaient réprimées. Tandis que l’ambiance dans les camps de Wichmannsdorf, de Reddelich et de Rostock connaissait des hauts et des bas, les activistes du blocus déclenchaient comme prévu de nombreuses actions. On estime à 25 000 le nombre de participants à ces journées, depuis la formation de groupes d’encadrement, en passant par l’astucieuse victoire contre les rangs de la police grâce à la « tactique des cinq doigts », pour finir par les actions concrètes de blocage.

Au cours de débats et d’assemblées de délégués, on a discuté de la stratégie, et surtout de l’objectif à atteindre : contester la légitimité du sommet du G8 par la mise en œuvre concrète de véritables blocages. Une des actions de gauche les mieux organisées de ces dernières années était sur le point de démarrer. La difficulté la plus grande, avant le franchissement des barrages de police, était de décider, après débats, si, au regard des événements des jours précédents, les blocages devaient vraiment avoir lieu.

Surtout, les membres de la coordination d’Attac, la première partisane du blocus du G8, voulaient reléguer les blocages sur des voies de peu d’importance et réduire ainsi le blocus à une action purement symbolique. Heureusement, cela ne s’est pas passé ainsi, les nombreux adhérents de la base d’Attac, plus déterminés et plus courageux que ses représentants officiels, ayant protesté avec véhémence et s’étant joints aux blocages. Pour finir, la base d’Attac, avec des milliers d’autres participants, a fait en sorte que la police, malgré ses tentatives, n’a pu empêcher la colonne déferlante de s’approcher mètre après mètre de la brèche minuscule ouverte dans la clôture qui protégeait Heiligendamm. La force et la détermination reposaient sur quelques caractéristiques de la campagne contre le G8 : la transparence et la franchise dans la planification et l’accomplissement de l’action, les discussions générales concernant les stratégies et le blocus lui-même, un engagement collectif dans les actions envisagées rendu possible par une préparation approfondie. Ce sont là les raisons qui ont fait que ni les tentatives d’intimidation des journées précédentes, ni les canons à eau, ni les groupes de policiers n’ont pu empêcher le succès du blocus du G8.

Ce qui en ressort, c’est que la radicalité dans des alliances larges et des mobilisations très diverses est possible et utile. Et que la désobéissance de masse est réalisable, même en Allemagne. Il est donc très important de conclure des accords fermes et transparents qui permettent à des milliers de personnes provenant de divers horizons, et pour la plupart inorganisées et sans expérience, de s’engager dans une puissante action collective.

Les couleurs de la résistance, unies ou divisées ?

Près de 80 000 personnes ont répondu à l’appel à la grande manifestation vers Rostock. Cette manifestation a été l’événement auquel la plupart des organisations, des groupes et mouvements politiques ont participé ensemble, presque sans l’appui des grands appareils et de leurs dirigeants. Malgré cette large fusion, les positions de la gauche radicale ont pu s’exprimer. Dans la participation aux débats, aux messages émis par la direction de la manifestation, à la rédaction de l’appel à manifester, comme dans la constructions de nos propres barricades, nous étions engagés dans le cadre des Interventionstischen Linken, en abrégé IL (www linke-intervention. org) – les gauches interventionnistes. Le blocage « make capitalism history » a sûrement été l’un des plus importants de la manifestation. Tandis que les participants de l’Euromayday manifestaient déguisés en superhéros ou encore dans des costumes extravagants pour dénoncer le capitalisme, la précarisation et le racisme, beaucoup d’autres défilaient contre l’ordre mondial actuel vêtus de façon ordinaire. Les nombreux représentants du Schwarzer block (le Bloc noir ) et leurs altercations avec la police ont été considérés par quelques activistes comme un contrepoint bienvenu à une manifestation classique et sans relief

On a dit que les différences de positionnement entre les gauches radicales, qui rejettent le capitalisme et le dialogue avec les gouvernants, étaient ici apparues très nettement. Certes, il est vrai que la protestation militante est loin d’avoir succombé aux manœuvres médiatiques et politiques ; cependant, il faut se demander si l’incompatibilité des positions de la gauche radicale avec l’ordre au pouvoir ne s’est pas aussi « révélée » à la faveur du blocus dans la mesure où des milliers de personnes bien organisées et déterminées, malgré les nombreux barrages de la police, ont pu conquérir leur chemin sur les voies d’accès au Sommet. Et, de la même façon, ne peut-on pas considérer comme contradictoire le fait que les participants à la manifestation pour la liberté globale de mouvement n’aient pas cédé aux provocations de la police, respectant ainsi l’encadrement pour la protection des fuyards ?


Heureux ensemble ?

« La manifestation contre le G8 a été un grand succès. » Un point de vue qui n’est pas seulement celui de la gauche, mais qui est aussi adopté par Angela Merkel. Est-ce que cette manifestation n’a rien apporté, et représentons-nous seulement la face démocratique d’une République fédérale d’Allemagne dont le pouvoir politique actuel peut se permettre d’être contesté ? Naturellement, cela vaut la peine de chercher à savoir en quoi nous avons dérangé le bon déroulement du Sommet

Le premier jour de la rencontre du Sommet, les délégations devaient se rendre dans les hôtels et non à Heiligendamm, comme à vrai dire cela avait été prévu. Seules quelques poignées de journalistes ont été emmenées par des bateaux militaires dans la zone sécurisée ; ils ont ainsi pu donner des informations concernant la conférence de presse du début. Il était impossible, la plupart du temps, de gagner le lieu de la rencontre par voie terrestre, et il est difficile de savoir quelles entraves et incivilités se sont concrètement produites dans le déroulement prévu. Ce qui est certain, c’est que des images d’un sommet du G8 assiégé et non dépourvu d’aléas se répandent dans le monde et que les rencontres du G8 des deux prochaines années se tiendront dans une île même si, entre-temps, la mobilisation après Heiligendamm se révèle être un succès.

Que maintenant les délégations des gouvernements du G8 parlent de succès n’est pas surprenant, à la faveur d’une mise en scène médiatique massive ; pour nous, il existe différents indicateurs de succès. Si nous considérons la pluralité et la puissance de la protestation, comme également les nombreuses questions que l’on doit réétudier, en revanche les représentants de la République fédérale d’Allemagne ont le regard fixé sur la présentation, par les médias, de leurs interventions dans les débats du G8. Par ailleurs, les mécanismes du pouvoir peuvent agir par rapport à la manifestation et, par exemple, on peut en détourner le sens ou se l’annexer. Donc, résistance et pouvoir n’existent pas indépendamment l’un de l’autre. Le contre-sommet de Gleneagle, en Ecosse, en 2005, en est un bon exemple : les représentants du gouvernement britannique avaient cherché sur divers points une coopération avec l’Union des protestataires et purent, favorisés par les défaillances des gauches radicales, influer sur le contenu de cette Union.

En raison d’un relatif isolement des gauches radicales, la critique fondamentale de la mondialisation n’a pratiquement pas fait surface. Même le G8 de Cologne, en 1999, est un exemple de ce genre de récupération. Gerhard Schröder y avait affirmé que la tâche du G8 était de donner un visage social à la mondialisation de l’économie et avait essayé ainsi de couper les ailes à la critique ; en fin de compte, il avait tenté de se légitimer lui-même ainsi que les autres représentants du G8.

Cependant, Heiligendamm a été différent : même quand on a essayé d’atténuer l’effet du blocus, c’est justement cette forme d’action qui, dans les médias et pour les habitants, a transmis le message d’un refus très clair à l’encontre de ces négociations avec le G8. Et, vraiment, les milliers de personnes qui pendant presque deux jours ont occupé avec ténacité les rues devant Heiligendamm ont « incarné » le désir d’une rupture fondamentale avec les conditions actuelles de la mondialisation. Même le « make capitalism history block » a exprimé clairement cette exigence, et sa participation à la grande manifestation n’a pas été négligeable. L’appel à la grande manifestation a lui aussi été énergique avec ses déclarations très claires contre la guerre mondiale, et les activistes de l’altermondialisme, telle la représentante des Verts allemands, Claudia Roth, ne pouvaient qu’y souscrire.

Colza et froment, les énergies renouvelables utilisables pour les transports

Les groupes et organisations les plus divers ont profité des rencontres du G8 pour permettre au mouvement altermondialiste d’apparaître lui aussi à Heiligendamm. Des événements de ce genre ne sont toujours qu’un début. Maintenant, nous devons reprendre nos ébauches de politisation et d’organisation et faire entrer dans nos discussions quotidiennes, avec les vilenies de ce monde, les expériences positives d’Heiligendamm telles que la désobéissance de masse. Que ce soient les luttes contre la précarisation ou la campagne contre l’État sécuritaire, la mobilisation contre les défilés nazis, ou les centres de rétention pour les étrangers expulsables, ou tous les autres nombreux domaines dans lesquels les gauches luttent pour un monde meilleur.

Tandis que ce blocus est encore bien présent dans nos esprits, nous pourrions nous créer une sorte de mémoire collective et utiliser en les modifiant les expériences partagées. Le concept du blocus peut-il s’utiliser aussi contre les défilés nazis ? Une action collective publique de désobéissance de masse peut-elle être menée contre les conditions du travail précaire ? Ou contre la discrimination raciale ? Même si le monde n’a pas bougé après le G8, des possibilités de changement sont apparues qui peuvent élargir nos champs d’action et libérer de nouvelles énergies. Et c’est justement pour cela qu’il est important que nous ayons le sentiment d’avoir été des gagnants et des gagnantes durant ces heures passées à Heiligendamm, et que nous le conservions pour d’autres luttes. Et ceux qui souhaiteraient porter ce message sur eux peuvent nous le faire savoir, il reste encore des tee-shirts.

Archives du groupe Fels concernant les manifestants contre le G8.